LA FRANCE PITTORESQUE
Cage de mine à parachute de Fontaine :
une invention salutaire et révolutionnaire
(D’après « Revue du Nord de la France » paru en 1892
et « Le Petit Parisien » du 3 juillet 1892)
Publié le samedi 2 mai 2020, par Redaction
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Le 3 juillet 1892, la ville d’Anzin (Nord) inaugurait un monument élevé à la mémoire d’un de ses enfants, le mineur Pierre-Joseph Fontaine, inventeur en 1849 d’une cage de mine dotée d’un parachute amené à se déclencher en cas de rupture du câble, dispositif bientôt généralisé depuis dans toute l’Europe car prévenant de lourdes pertes humaines, permettant d’accélérer l’extraction et soulageant le travail des mineurs
 

Le monument, élevé à la gloire de Pierre-Joseph Fontaine et représentant un galibot, jeune ouvrier mineur, remerciant le célèbre inventeur, était l’œuvre de deux artistes anzinois, Constant Moyaux, l’éminent architecte de l’Institut, et Corneille Theunissen, le jeune et vaillant sculpteur qui exposait l’année précédente au Salon du puissant groupe Pendant la Grève. Constant Moyaux n’était pas seulement l’architecte du monument, mais aussi le président du comité d’érection. Il était surtout le promoteur de l’œuvre ; c’est à son activité, son dévouement, son grand esprit de justice et de reconnaissance qu’Anzin devait de pouvoir rendre hommage à l’humble ouvrier qui sauva des milliers d’existences.

Dans une lettre adressée à Francisque Sarcey, collaborateur des grands journaux de l’époque tels Le Temps ou Le XIXe Siècle, Constant Moyaux rapporte qu’il a « connu un ouvrier mineur qu’un accident mit dans l’impossibilité de continuer son métier. Incapable de reprendre la pioche, il eut l’idée de suivre l’école communale, où il devint vite un bon sujet. On put dès lors lui confier, dans un magasin de bois, un petit emploi qui consistait à inscrire les marchandises qui entraient ou sortaient. C’était un poste bien modeste, mais qui lui donnait des loisirs et du pain, et vous avez déjà deviné que notre homme était intelligent. »

Monument rendant hommage à Pierre-Joseph Fontaine, à Anzin (Nord)
Monument rendant hommage à Pierre-Joseph Fontaine, à Anzin (Nord)

Il l’était en effet. Ses loisirs furent tout profit ; et l’on put bientôt dire que son accident avait été un coup de fortune, aussi bien pour lui que pour la Compagnie des mines d’Anzin, qui l’occupait. Quoique boitant très fort, Fontaine ne cessait pas d’être prêt à tous les dévouements : un jour, l’incendie menace de détruire les ateliers du chantier de construction, et notre mineur se fait si bien remarquer par son courage et son sang-froid qu’une médaille d’argent lui est décernée pour sa belle conduite.

C’est à cette époque que, sans cesse préoccupé de l’amélioration du sort de l’ouvrier mineur, sachant par expérience quelle fatigue et quelle grande perte de temps lui causaient la descente et la montée aux échelles, il imagina cet appareil d’une simplicité merveilleuse : la cage guidée à parachute, qu’il présenta à ses chefs et qui devait transformer radicalement radicalement les charbonnages. Évidemment Fontaine n’avait eu en vue que de préserver la vie de ses camarades, mais sa découverte devait avoir un bien autre effet.

Autrefois, les ouvriers gagnaient le fond des mines au moyen d’échelles placées dans un puits spécial. Il leur fallait ensuite, après une rude journée de fatigue, remonter aux échelles qui ne mesuraient pas moins de cinq à six cents mètres. Aussi préféraient-ils, pour peu qu’ils fussent asthmatiques, cas fréquent chez ceux qui vivent dans la poussière, rester huit jours sous terre, ou bien il fallait leur permettre de remonter par le puits d’extraction, ce qui occasionnait de nombreux accidents.

Avec le parachute Fontaine, les échelles disparurent. Les tonnes furent remplacées par des cages guidées qui descendaient et montaient avec la vitesse d’un train express. Une minute suffisait pour parcourir verticalement six cents mètres. Si la corde cassait, la cage restait fixe sans qu’on se doutât même que la corde était cassée. Si le mécanicien n’arrêtait pas sa machine, la cage ne dépassait pas des points d’arrêt déterminés.

Le parachute Fontaine était un appareil simple : deux traverses — la supérieure en fer, l’inférieure en bois —, deux bras articulés terminés par des griffes aciérées et qui peuvent se déplacer dans la traverse de bois, évidée selon son axe de symétrie. Si le câble se rompt, la détente d’un puissant ressort, placé au bas du parachute, provoque immédiatement l’écartement des bras et la pénétration des griffes dans les bois de guide, immobilisant la cage.

Cage d’extraction à parachute (système Fontaine). Le câble s’est cassé ; le ressort
détendu a refoulé les grappins dans les guides, et le convoi reste ainsi suspendu
dans le puits en attendant le sauvetage. Gravure extraite de La vie souterraine
ou Les mines et les mineurs
, par Louis Simonin (1867)

L’apparition de la cage guidée à parachute fut un événement dans les charbonnages, et voici ce qu’en disait Monsieur Compte, ingénieur des mines, dans un rapport publié en 1852 : « Les échelles offraient certainement le moyen le plus sûr de pénétrer dans la mine et d’en sortir ; mais leur usage, surtout quand l’exploitation se faisait à une grande profondeur, avait le grave inconvénient, non seulement d’exiger une notable perte de temps, mais une dépense de force musculaire exerçant sur la constitution des hommes une influence déplorable.

« Avec la cage guidée à parachute, cette descente et cette montée des ouvriers peut se faire sans risque. Fontaine s’est proposé de prolonger la durée des câbles d’extraction et de prévenir les terribles accidents dont les mineurs sont victimes quand ces câbles viennent à se casser ; il a utilisé, dans cette vue, les guides en bois récemment montés à la fosse Tinchon [1850] et imaginé un parachute destiné à retenir sur ces guides, en cas de rupture de la corde, la cage dans laquelle les ouvriers se placent. »

Tous les puits de mines, aussi bien à l’étranger l’étranger France, en furent pourvus ; mais ce ne fut pas seulement pour garantir l’ouvrier qu’on les employa, ce fut surtout parce que l’extraction pouvait être aussi rapide que l’on voulait. En effet, les cages sont à trois ou quatre compartiments pouvant chacune recevoir une berline, sorte de wagonnet en tôle, d’une contenance contenance cinq hectolitres. Avant l’emploi des berlines, on se servait, pour le transport souterrain du charbon — du point d’extraction au puits, ensuite, quand il était monté au jour, du puits au tas d’approvisionnement — de lourdes brouettes qui rendaient fort pénible et dispendieuse la main-d’œuvre.

Il n’y a aucune comparaison avec l’emploi de la cage à parachute. Les berlines roulent alors par vingt, trente à la fois dans les galeries, traînées par un cheval, sur un petit chemin de fer qui aboutit au puits où on les pousse une à une dans les compartiments de la cage. Une minute après, elles retrouvent à l’arrivée au jour un autre chemin de fer un peu en pente, elles vont d’elles-mêmes au culbuteur qui les vide, et des gamins les ramènent dans la cage qui va redescendre. Tout cela se fait en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire ; c’est à peine si le charbon est en quantité suffisante pour occuper la machine.

On dit que le temps c’est de l’argent. Fontaine en fit de l’or pour les sociétés houillères. C’est par centaines de millions qu’il faut chiffrer les bénéfices réalisés à l’aide de son procédé si ingénieux et si simple. Il faut encore ajouter à l’honneur de Pierre-Joseph Fontaine, qu’avant sa découverte les quatre cinquièmes des mineurs conscrits étaient déclarés impropres au service à cause de leurs pieds plats ; ce défaut de conformation, qui provenait de l’usage journalier des échelles, car les mineurs descendaient pieds nus, ne se trouva plus désormais.

Pierre-Joseph Fontaine. Détail du monument lui rendant hommage à Anzin (Nord)
Pierre-Joseph Fontaine. Détail du monument lui rendant hommage à Anzin (Nord)

Un détail donne bien l’idée de la persévérance de Fontaine : c’est dans un grenier qu’il se retirait pour chercher, étudier, préparer son invention ; or, ses recherches durèrent sept ans, et pendant toutes ces années il s’enferma chaque jour plusieurs heures par jour dans ce grenier, n’y laissant pénétrer personne.

Pierre-Joseph Fontaine fut dans l’aisance, mais ne posséda pas une grande fortune, eu égard à l’importance des services qu’il avait rendus, et bien qu’il fût breveté en France, en Belgique et en Angleterre. Il fut décoré de la Légion d’honneur après avoir obtenu à l’Exposition universelle de 1855 une médaille d’or de première classe. Fontaine était surtout sensible aux ovations que lui faisaient ses anciens camarades quand ils le rencontraient. C’est que tous se souvenaient des dangers qu’ils couraient autrefois, c’est qu’ils n’ignoraient pas qu’ils échappaient chaque jour à la mort grâce à l’engin protecteur imaginé par Pierre-Joseph Fontaine, c’est qu’ils savaient que ce dernier leur avait rendu l’existence et le travail plus facile.

Constamment amélioré, le parachute Fontaine s’avéra d’une efficacité sans faille lors des 29 ruptures de câble qui se produisirent entre de 1851 à 1859, sauvant durant cette seule période 140 mineurs.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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