LA FRANCE PITTORESQUE
Révolution française de 1789 (Abrégé de la)
Partie 2 : depuis l’après Bastille
jusqu’aux journées des 5, 6 et 7 octobre 1789
(D’après « Histoire populaire de la Révolution française » (par Isidore Mullois), paru en 1856)
Publié le mercredi 15 avril 2020, par Redaction
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Du discours du roi Louis XVI prononcé à l’Assemblée le lendemain des événements de la Bastille, au retour du roi monarque et de sa famille à Paris suite aux journées des 5 et 6 octobre 1789, en passant par la nuit du 4 août désarticulant la monarchie et entérinant sa chute prochaine, la Révolution gagne en force, entre brigands soudoyés, disette délibérément entretenue et rumeurs savamment colportées discréditant le roi et la reine
 

Pendant que se massacrait à Paris, le parti de la cour, ignorant les événements, s’amusait à Versailles en sécurité. Il cherchait à réveiller l’enthousiasme des officiers commandant les régiments disposés pour dissoudre l’assemblée et étouffer les criailleries des Parisiens. Le roi, auquel on avait tout caché, est informé par un ami fidèle, le duc de la Rochefaucauld‑Liancourt, des événements du 14 juillet, et à la suite de cette confidence se décide à se rendre à l’assemblée.

Le 15, Louis XVI se rend au sein des députés, et, dans un discours admirable de simplicité et de tendresse pour son peuple, excite plus d’une fois d’unanimes approbations. « Je sais, dit-il, en s’adressant aux députés, qu’on a donné naissance à d’injustes préventions ; je sais qu’on a osé publier que vos personnes n’étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de revenir sur des récits aussi coupables, démentis d’avance par mon caractère connu ? Eh bien, c’est moi, qui ne fais qu’un avec ma nation, qui me fie à vous. Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le salut de l’État. »

Arrivée de Louis XVI dans la capitale trois jours après les événements de la Bastille. Gravure de Jean-François Janinet (1790)
Arrivée de Louis XVI dans la capitale trois jours après les événements de la Bastille.
Gravure de Jean-François Janinet (1790)

L’assemblée parut touchée de la bonne foi et de la condescendance du roi, qui s’offrait à rappeler Necker et qui avait ordonné aux troupes de Versailles de se retirer. Quarante de ses membres furent chargés d’aller annoncer aux Parisiens le parfait accord qui régnait entre le roi et l’assemblée, en même temps que la prochaine venue du roi dans la capitale. Un Te Deum solennel y fut chanté à l’occasion de ces heureuses nouvelles.

Dans la matinée du 17 juillet, une femme dont la mise annonçait une personne de distinction pénétra dans les appartements du roi. S’adressant au marquis de la Queille qui s’y trouvait, elle lui dit qu’elle désirait faire une communication importante. Le marquis fit avertir le duc de Villeroy, capitaine des gardes. « Monsieur le duc, dit cette femme, j’ai à vous déclarer que tout à l’heure, passant au bout de la grande avenue, des hommes arrêtés près de tel arbre (elle le désigna) s’entretenaient du roi. L’un d’eux disait : Le roi croit arriver à Paris, il y entrera mort ; son cadavre sera traîné dans les rues. Remarquez, Monsieur, que je ne suis ni ivre ni folle. »

Le capitaine des gardes entra chez le roi et l’instruisit du fait qui venait de lui être révélé. « Quelle extravagance » dit le roi. Et apprenant la réponse du roi, cette femme ajouta : « Je ne suis ni ivre ni folle ; au surplus, si l’on attentait aux jours du roi, la France et la postérité sauront l’avis que j’ai donné. Monsieur, vous aurez à répondre de ce qui peut arriver », écrit en 1806 François Huë, huissier de la chambre de Louis XVI dans ses mémoires Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI.

Le capitaine des gardes parut touché de l’insistance singulière de cette femme, et supplia le roi de renoncer à son projet. « Non, monsieur de Villeroy, pour le salut d’un seul je ne dois pas permettre que plusieurs soient en danger. J’ai promis d’aller à Paris, j’irai. Mon peuple sait que je l’aime, je me confie à lui. »

Dans la nuit du 16 au 17 le roi avait mis ordre à ses affaires ; une protestation contre tout ce à quoi il pourrait être contraint de souscrire, soit à Paris ou ailleurs, avait été, remise par lui, en présence de la reine, à Monsieur, en même temps qu’il déléguait à ce dernier la lieutenance générale du royaume. Quelques instants avant son départ, il s’était confessé et avait communié. Pendant que ces préparatifs se faisaient, le comte d’Artois, les ducs d’Angoulême et de Berry, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d’Enghien allèrent chercher à l’étranger une sécurité qui leur était désormais refusée sur le sol de la patrie.

À onze heures le roi monta en voiture accompagné du duc de Villeroy, du duc de Villequier, du maréchal de Beauveau, du marquis de Nesle et du comte d’Estaing. La milice bourgeoise de Versailles, à peine armée, les vêtements en guenille, accompagnait le roi. Bailly, en qui se trouvaient réunies, depuis la mort de Flesselle, les deux dignités de maire de Paris et de prévôt des marchands, s’était rendu à la tête du corps municipal jusqu’à la barrière de Chaillot, pour recevoir le roi.

Louis XVI est reçu à Paris par Bailly à l'hôtel de ville le 17 juillet 1789
Louis XVI est reçu à Paris par Bailly à l’hôtel de ville le 17 juillet 1789. Gravure anonyme du temps

Dès que le roi parut, Bailly s’avança au devant de lui et lui offrit sur un plat d’or les clefs de la capitale. « Sire, dit-il, j’apporte à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville de Paris. Ce sont les mêmes qui furent présentées à votre illustre aïeul Henri IV. Il avait reconquis son peuple et aujourd’hui le peuple a reconquis son roi. » À quatre heures, la voiture du roi arrive à l’hôtel de ville, escortée des vainqueurs de la Bastille que commande La Fayette, récemment nommé général en chef de toutes les gardes nationales de France. Cette foule belliqueuse paraît encore ivre de son triomphe du 14.

Le roi ayant mis pied à terre au bas du grand escalier, dut, pour le monter, passer sous une voûte de piques croisées sur sa tête. C’étaient les fourches caudines de la monarchie. Parvenu dans la grande salle, quelques larmes mouillèrent ses yeux, et il ne put que prononcer ces admirables paroles : « Mon peuple peut toujours compter sur mon amour. »

Après que Lally-Tollendal l’eut harangué dans un langage où se reflétaient toutes les passions politiques de ces temps orageux, Bailly lui présenta la cocarde aux trois couleurs. Il dut être pénible à Louis XVI de se parer de cet emblème qui jusqu’alors n’avait eu qu’une destinée presque factieuse ; cependant il l’accepta devant le peuple. C’était approuver tout ce qu’avait fait ce même peuple et reconnaître officiellement la Révolution. Après avoir confirmé La Fayette et Bailly dans les nouvelles fonctions que le peuple leur avait conférées, il retourna à Versailles où il fut accueilli avec transport.

À peine le roi a-t-il quitté Paris, que des bruits perfides suspectant ses intentions, et semés habilement, détruisent en un clin d’œil la confiance que sa présence avait réveillée dans les cœurs. Depuis le 14 juillet, l’autorité royale était méconnue dans les provinces du royaume. La cherté des grains, comme un vent furieux, soufflait sur le peuple, désormais à l’abri de l’action des lois, les plus criminelles pensées excitées encore par de vieux ressentiments contre la noblesse. Des actes de brigandage, d’assassinats et d’incendie, signalèrent à jamais à la postérité épouvantée ces jours de licence et de calamités publiques.

À Versailles, l’Assemblée marchait à grands pas à la consommation de l’usurpation qu’elle méditait. Le roi n’était plus pour elle qu’un faible roseau qu’à la première résistance elle se proposait de briser. En attendant, elle savourait orgueilleusement l’encens que quelques corps de l’ordre des fonctionnaires de l’État venaient lui offrir servilement à sa barre. Les meneurs révolutionnaires, certains d’être appuyés par l’Assemblée dans l’accomplissement de leurs projets sanguinaires, ne gardaient plus de mesure, et avaient jeté le masque. Le duc d’Orléans, qui, selon l’expression que Sénart prête à La Fayette, ne devait prendre la couronne « que la main gantée comme un bourreau », travaillait de son côté à l’accomplissement de son funeste projet.

Séance de l'Assemblée nationale constituante du 4 août 1789 présidée par Isaac Le Chapelier lors de laquelle l'abandon des privilèges est décidée. Gravure d'Auguste-Étienne Guillaumot (1844-1890)
Séance de l’Assemblée nationale constituante du 4 août 1789 présidée
par Isaac Le Chapelier lors de laquelle l’abandon des privilèges est décidée.
Gravure d’Auguste-Étienne Guillaumot (1844-1890)

Cependant Foulon avait été arrêté à Viry-sur‑Orge, aux environs de Fontainebleau, et dirigé sur Paris. Cet ancien directeur des subsistances pouvait avoir des fautes à se reprocher, mais devaient-elles lui valoir la mort odieuse qu’il subit ? Il fut, au mépris des lois les plus saintes de la justice et de l’humanité, pendu à un réverbère. Voici comment un auteur rapporte la mort de Berthier, gendre de Foulon, qui fut arrêté dans le même temps.

Celui-ci, après être tombé en défendant sa vie, « est abandonné au peuple : mille bras se précipitent sur lui, il est percé de coups. Un homme plonge ses mains dans les entrailles de Berthier, va, y chercher son cœur encore vivant, l’arrache, monte à l’hôtel de ville, entre dans la chambre du comité, et les yeux égarés, les mains fumantes, il leur présente cette offrande abominable.

« Le corps de Berthier est coupé par morceaux, on se dispute ses chairs ; les uns s’emparent de la tête, la mettent au bout d’une pique, d’autres portent son coeur sur un long coutelas. Ils partent aux acclamations de la multitude, parcourent les rues de Paris, arrivent enfin au Palais-Royal. Là, les yeux avides se repaissent à loisir : mais bientôt un monstre à face humaine convoite ces restes sanglants et les dévore avec un sentiment d’appétit » (Mémoires du marquis de Ferrières, avec une notice sur sa vie, des notes et des éclaircissement s historiques, 1821-1822) — Charles-Élie de Ferrières (1741-1804) fut député de la noblesse de la sénéchaussée de Saumur aux États généraux.

L’Assemblée intervint-elle pour arrêter ces sanglants désordres qu’avaient fomentés les sicaires de ses principaux membres ? Non, elle attendit qu’ils s’apaisassent d’eux-mêmes ; après quoi elle invita par une adresse le peuple français à maintenir l’ordre et la tranquillité. Necker venait d’être rappelé ; mais dans l’intervalle de son départ à son retour les choses avaient tellement marché, que d’une apparente nécessité qu’il était alors, il était devenu un pis-aller impossible. Bien que sa marche jusqu’à Paris ressemblât à celle d’un triomphateur, il n’eut pas plutôt repris le timon du vaisseau monarchique, qu’il vit bien que ses forces seraient insuffisantes pour le dégager des écueils qui l’entouraient.

M. de Bezenval, que sa fermeté et sa fidélité à faire son devoir de soldat avaient compromis dans les premiers troubles de Paris, était détenu au Châtelet. Necker, plutôt par calcul que par compassion pour l’infortune imméritée de son compatriote, demanda la grâce de ce prisonnier aux électeurs de Paris qui avaient l’air de fêter son retour aux affaires. Cette grâce fut accordée ; mais le jour même le comité, revenant par un biais hypocrite sur ce qu’il avait décidé, déclara : que ne jouissant pas du droit de rémission, il était forcé d’annuler l’ordre de mise en liberté, qu’il avait signé. L’assemblée, enchérissant sur cette détermination, décréta que M. de Bezenval et les autres prétendus conspirateurs seraient jugés. Necker, humilié, garda rancune aux révolutionnaires, et ceux-ci ne tardèrent pas à entraver ses projets et à préparer sa chute.

Le 4 août, dans sa séance de nuit, l’Assemblée abolit la féodalité, entraînée par la chaleureuse improvisation du beau-frère de La Fayette, le vicomte de Noailles. Jusqu’à ce jour, le flot révolutionnaire, malgré ses mugissements sinistres, a encore été contenu, n’a encore rien enlevé d’essentiel à la monarchie ; pour être inclinée, elle n’est pas abattue, un peu de vigueur peut lui rendre son premier équilibre ; après ce grand événement qui la désarticula, sa chute fut certaine, malgré le titre illusoire de restaurateur de la liberté que l’Assemblée venait de décerner à l’infortuné Louis XVI.

Cortège armé des femmes en route pour Versailles le 5 octobre 1789. Estampe anonyme du temps
Cortège armé des femmes en route pour Versailles le 5 octobre 1789.
Estampe anonyme du temps

Le peuple, redoutant les machinations du parti de la cour et l’effet des démarches du comte d’Artois à l’étranger, se livra à des violences sans nom. La France, jadis laborieuse, ne fut plus couverte que de vagabonds armés levant hardiment des contributions sur le riche, qui devait se trouver heureux quand avec sa fortune on ne lui enlevait pas la vie. Les châteaux, les couvents, furent brûlés ou dévastés. Dans le Midi et l’Auvergne, des bandes incendiaires marquaient leurs ravages par des monceaux de ruines et des assassinats.

Au milieu de ce craquement épouvantable d’une société agonisante qui doit être rajeunie, comme ce personnage de la fable, par l’horrible décapitation, la déclaration des droits est soumise à la sanction du roi, qui l’approuve. Mais l’émeute recommence à hurler de sa voix lamentable au sein de la capitale. La faim est le prétexte, et le duc d’Orléans l’âme de ce nouveau soulèvement.

« Des femmes échevelées, des hommes ivres, dit M. de Falloux, ouvrent le cortège qui va grossissant à travers les faubourgs ; les meneurs, armés de haches, se mêlent aux rangs de la garde nationale et entourent M. de La Fayette, qui est contraint de les conduire à Versailles.

« Une députation de femmes pénètre chez le roi ; elles le trouvent debout, le regard calme et le maintien assuré. Que voulez-vous ? dit-il. Du pain, répondent quelques voix glacées par l’étonnement et peut-être par le respect. Louise Chabry, chargée de prendre la parole, balbutie quelques mots sur la misère du peuple et semble prête à perdre connaissance. Le roi se tourne vers elle avec bonté : Mes amis, dit-il, si vous êtes malheureux, ce n’est pas ma faute ; je le suis plus que vous. Je vais donner des ordres pour que l’on conduise, de Senlis et de Lagny, des farines à Paris. Puissent-ils mieux être écoutés que ceux que j’ai donnés jusqu’à ce jour.

« Il parle à tous le même langage, et ces bouches, stipendiées pour le maudire, laissent échapper des sanglots et des bénédictions. Cette avant-garde désarmée redescend sur la place, en criant Vive le roi ! À ce cri imprévu répondent des cris de fureur. Louise Chahry allait être pendue à la lanterne si quelques gardes du corps, fendant la foule, ne l’avaient arrachée aux assassins. Ces hordes bivouaquèrent, dans la nuit du 5 au 6 octobre, sous des hangars, dans les églises, sur les bancs de l’Assemblée nationale », rapporte dans son Louis XVI paru en 1840 l’historien et homme politique Alfred de Falloux (1811-1886).

Pendant que La Fayette, qui se trouve être sans le savoir complice du crime odieux dont le duc d’Orléans a préparé l’exécution, décide l’Assemblée à lever la séance pour prendre un peu de repos, ajoutant qu’il répond de tout, les stipendiés du duc préparent leur exécrable attentat. « À six heures, nous apprennent les Mémoires du marquis de Ferrières, des femmes et des hommes armés se rassemblent sur la place. Des tambours les rappellent ; ils se rallient à un étendard semé de flammes rouges et bleues. D’abord cette multitude s’agite en tous sens ; elle se divise ensuite en plusieurs colonnes, comme si elle avait obéi à différents chefs. Des cris de fureur contre les gardes du corps se font entendre. »

Il convient ici de signaler que lors d’un repas donné par la cour au régiment de Flandres quelques jours plus tôt, et auquel assistaient les gardes du corps, la calomnie avait répandue le bruit qu’on avait foulé aux pieds la cocarde nationale. Le parti d’Orléans, s’emparant habilement de cette arme, ameuta tous les districts de Paris, et causa ainsi tous les malheurs qui éclatèrent au 6 octobre. Le parti n’eut qu’un regret, celui de n’avoir pas réussi à faire égorger le roi et la reine lors de cette sanglante journée.

Des troubles éclatent entre les femmes parisiennes et la garde nationale versaillaise le soir du 5 octobre 1789. Gravure de Jacques-Philippe Caresme (1734-1796) sous-titrée Bravoure des femmes parisiennes à la journée du 5 octobre 1789
Des troubles éclatent entre les femmes parisiennes et la garde nationale versaillaise
le soir du 5 octobre 1789. Gravure de Jacques-Philippe Caresme (1734-1796)
sous-titrée Bravoure des femmes parisiennes à la journée du 5 octobre 1789

« Une des colonnes se présente à la grille royale, elle était, fermée Une autre colonne pénètre par la grille de la chapelle qu’elle trouve ouverte ; un garde national de la milice de Versailles la guide vers l’escalier du roi. Miomandre de Sainte-Marie et quelques gardes du corps y courent : Mes amis, s’écrie Miomandre, vous aimez votre roi, et vous venez l’inquiéter jusque dans son palais. » Personne ne répond. La colonne continue d’avancer. Les gardes du corps se renforcent dans leur salle ; bientôt les portes sont rompues, ils se voient contraints de l’abandonner.

« Les conjurés se portent à l’appartement de la reine, en disant : Nous voulons couper sa tête, arracher son cœur, fricasser ses foies, et cela ne finira pas là ! Miomandre vole à la porte de la première antichambre, l’ouvre précipitamment, crie à une dame qu’il aperçoit : Sauvez la reine, on en veut à ses jours ! Je suis seul contre deux mille tigres, mes camarades ont été obligés de quitter la salle. Miomandre, après ce peu de mots, attend courageusement les conjurés. Un d’eux lui porte un coup de pique, Miomandre le pare. Un second prend la pique par le fer, décharge un coup qui le renverse. Reculez-vous, dit le même garde national qui marchait à la tête de la colonne. La foule s’écarte.

« Cet homme prend la mesure de la tête de Miomandre avec la crosse de son fusil, lui en donne un coup de toutes ses forces ; le chien entre dans le crâne : Miomandre, baigné dans son sang, est laissé pour mort... Les conjurés, maîtres de la salle des gardes, brisent, enfoncent les portes de l’appartement de la reine, pénètrent dans sa chambre à coucher, s’avancent jusqu’à son lit, le percent de plusieurs coups de pique.

« S’apercevant que la reine s’est sauvée, ils se jettent dans l’antichambre du roi, attaquent la porte de l’Œil-de-bœuf. Les gardes du corps, retranchés avec des tables et des tabourets, ne pouvaient tenir longtemps ; déjà, les panneaux, frappés à coups redoublés, volaient en éclats : le duc d’Orléans allait jouir du fruit de ses crimes. Les grenadiers des anciens gardes françaises accourent, chassent les conjurés des postes intérieurs. Tandis que les conjurés, maîtres du château, en inondent les appartements, des hommes habillés en femme répandent parmi le peuple que M. de La Fayette est un traître, qu’il faut s’en défaire.

« Un des principaux conjurés, revêtu d’un habit d’officier de la garde nationale, une croix de Malte à la boutonnière, recommande à une troupe d’hommes et de femmes qui se pressent autour de lui et, auxquels il glisse de l’argent, de ne respecter que M. le dauphin et monseigneur le duc d’Orléans. Il faut avoir la tête de la reine et de M. de La Fayette. La Fayette est un traître ; il n’est parti de Paris que malgré lui et très tard. Étant au pont Louis XV, il s’est écrié : « Est-il possible que je trahisse mon roi ! » À ce discours, un homme d’une figure affreuse, déguisé en femme, montre une espèce de faucille et jure que ce sera lui qui coupera la tête à cette gueuse. Les femmes applaudissent, assurent que ce monsieur a raison, qu’ils veulent avoir le duc d’Orléans sur le trône et tuer M. de La Fayette ; qu’on leur a donné de l’argent pour cela.

« La place d’Armes et les cours du château offrent un tableau encore plus hideux des fureurs populaires. Des troupes de femmes et d’hommes, armés de piques et, de fusils, poussaient de tous côtés les gardes du corps. MM. des Huttes et de Varicourt sont amenés à la grille royale ; on les couche par terre, un homme à grande barbe leur coupe la tête avec une hache.

Louis XVI paraissant le matin du 6 octobre 1789 au balcon donnant sur la Cour de marbre, au château de Versailles, et s'engageant à se rendre à Paris, accompagné de sa famille. Gravure de Jean-François Janinet (1790)
Louis XVI paraissant le matin du 6 octobre 1789 au balcon
donnant sur la Cour de marbre, au château de Versailles, et s’engageant à se rendre à Paris,
accompagné de sa famille. Gravure de Jean-Fraçois Janinet (1790)

« Alors une joie barbare éclate parmi cette horde sauvage : les uns trempent leurs mains dans le sang des deux gardes égorgés, s’en frottent le visage ; d’autres dansent en chantant autour de leurs cadavres. Quelques hommes proposent d’aller canonner l’hôtel des gardes du corps. Non, répond le plus grand nombre, il vaut mieux les pendre, ce sera plus amusant. Tous se dispersent et courent à la chasse des gardes du corps, comme à la chasse d’un gibier. Plus de trente gardes, saisis dans différents endroits, sont conduits sur la place d’Armes ; on se prépare à les immoler ; l’homme à la grande barbe brandit sa hache dégouttante de sang et appelle à haute voix des victimes...

« La Fayette arrive avec une compagnie de grenadiers ; il est indigné du spectacle qui s’offre à ses yeux : Grenadiers, j’ai donné ma parole au roi qu’il ne serait fait aucun mal à MM. les gardes du corps ; si vous me faites manquer à ma parole d’honneur, je ne suis plus digne d’être votre général, et je vous abandonne : sabrez ! Les grenadiers fondent sur cette troupe d’assassins et leur arrachent leur proie. »

Mais la foule dispersée se réunit le lendemain, 6 octobre, et demande que la reine paraisse au balcon, seule. Marie-Antoinette hésite un instant, puis, bravant la conséquence de l’exigence populaire, elle s’y présente fière et dédaigneuse ; un conjuré la couche en joue, mais n’ose accomplir son crime tout à fait. Bientôt un nouveau mot d’ordre circule dans les rangs : « Le roi à Paris !... le roi à Paris », s’exclame la foule.

Le roi se rend aux vœux des conjurés, et obtient que les gardes du corps seront épargnés. Mais le parti des orléanistes de l’Assemblée, composé de Mirabeau, de Barnave, de Chapelier et des Lareth fait envoyer au roi une députation porteuse d’un décret déclarant que, pendant la session ouverte, le roi était inséparable de l’Assemblée.

Le roi parut touché de cette preuve de sollicitude ; puis, ainsi que s’y attendaient bien les auteurs de cette comédie, il déclara qu’il irait à Paris, mais qu’il donnerait des ordres pour que l’Assemblée pût y continuer ses travaux. Mirabeau, en apprenant cette réponse, demanda que la relation de cette grande journée établissant la concorde fût envoyée à tout le peuple des provinces, ne pouvant manquer de calmer son effervescence.

En milieu de journée, le roi quittait Versailles pour Paris, avec sa famille. « Les têtes de MM. Huttes et de Varicourt, portées au haut de deux piques, ouvraient la marche. Suivaient quarante à cinquante gardes du corps à pied, sans armes, escortés d’une troupe d’hommes armés de haches et de piques. Venaient ensuite deux gardes du corps en bottes, blessés au cou, la chemise ensanglantée, les vêtements déchirés, tenus par deux hommes en uniforme national, l’épée nue à la main. On voyait plus loin un groupe de gardes du corps à cheval, les uns en croupe, les autres sur la selle, ayant un garde national monté derrière eux et entourés d’hommes et de femmes qui les forçaient de crier : Vive la nation ! de boire et de manger avec eux.

« Une multitude, mélange confus d’hommes à piques, de cent-suisses, de soldats du régiment de Flandre, de femmes couvertes de cocardes tricolores, portant des branches de peuplier, d’autres femmes assises à califourchon sur des canons, précédaient et suivaient les carrosses du roi. Tous les fusils ornés de feuilles de chêne en signe de victoire, un feu roulant de mousqueterie, des cris : Nous amenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron, auxquels succédaient des injures grossières à la reine, des menaces contre les prêtres et les nobles, tel fut le cortège insultant et barbare au milieu duquel le roi, la reine et la famille royale arrivèrent à l’hôtel de ville de Paris » (Mémoires du marquis de Ferrières).

Ce fut encore Bailly qui reçut le roi le soir venu. Au compliment que ce magistrat fit au malheureux monarque, Louis XVI répondit : « C’est toujours avec plaisir et avec confiance que je me trouve au milieu de ma bonne ville de Paris. » Bailly répéta ces paroles au peuple, qui les applaudit.

Arrivée du roi Louis XVI et de sa famille à Paris le 6 octobre 1789. Gravure de Bertrand Andrieu (1761-1822)
Arrivée du roi Louis XVI et de sa famille à Paris le 6 octobre 1789.
Gravure de Bertrand Andrieu (1761-1822)

Le 7 octobre au matin, les mêmes femmes qui avaient donné à Versailles le spectacle de leurs vices et de leurs fureurs couvrirent la terrasse du château sous les fenêtres de la reine, et demandèrent à la voir. Ce fut en entendant le bruit de cet attroupement que le jeune dauphin se jeta avec effroi dans les bras de sa mère et s’écria : « Bon Dieu ! maman, est-ce qu’aujourd’hui sera encore hier ? »

La reine se montra. La plus hardie de la troupe, d’un ton de protection bienveillante, lui dit qu’il fallait maintenant qu’elle éloignât tous ces courtisans qui perdaient le roi, et qu’elle aimât les habitants de sa bonne ville. « Je les aimais à Versailles, » répondit Marie-Antoinette, « je les aimerai de même à Paris. — Oui, oui, dit une autre femme, mais au 14 juillet vous vouliez assiéger la ville et la faire bombarder, et au 6 octobre vous deviez vous enfuir aux frontières. — On vous l’a dit, répliqua doucement la reine, et vous l’avez cru ; c’est là ce qui fait le malheur du peuple et celui du meilleur des rois. »

Une troisième femme lui adressa quelques mots en allemand ; la reine lui dit qu’elle ne le comprenait plus, qu’elle était si bien devenue Française qu’elle avait même oublié sa langue naturelle. Des bravos et des battements de mains retentirent. Les femmes demandèrent alors à Marie-Antoinette de faire un pacte avec elles. « Eh ! comment, reprit la reine, puis-je faire un pacte avec vous, puisque vous ne croyez pas à celui que mes devoirs me dictent et que je dois respecter pour mon propre bonheur ? » Elles la prièrent de leur donner les rubans et les fleurs de son chapeau ; la reine les détacha elle-même et les leur donna. Toute la troupe se partagea ces fleurs et ces rubans, et, pendant plus d’une demi-heure, ne cessa de crier : « Vive Marie-Antoinette ! vive notre bonne reine ! »

On cite encore une belle parole de la reine. Interrogée sur les insultes qu’elle avait subies, elle répondit : « J’ai tout vu, tout entendu et tout oublié. »

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