LA FRANCE PITTORESQUE
Origine du nombre sept
(D’après « Bulletin de la Société préhistorique française », paru en 1916)
Publié le lundi 17 février 2020, par Redaction
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Comptant parmi les plus marquants, le nombre sept est en relation étroite avec l’histoire humaine, religieuse et scientifique : sept péchés capitaux, sept merveilles du monde, sept plaies d’Égypte, sept paroles de Jésus en croix... Les sept planètes — du moins considérées comme telles, le Soleil et la Lune en faisant partie — connues dans l’Antiquité et le nombre de jours que compte la semaine ont-ils amené l’Homme à considérer le 7 comme intimement lié à l’âme du monde ?
 

Le problème de l’origine du nombre sept se rattache au problème général de la genèse des premiers nombres. Aussi bien ceux qui ont tenté d’élucider cette question, sans tenir compte des problèmes parallèles et convergents, ont abouti aux solutions les plus diverses. On a souvent supposé que le nombre sept tirait son importance, sa valeur et son origine du nombre des étoiles des deux Ourses. Deux savants appartenant à la Société préhistorique française ont cru de leur côté devoir expliquer la genèse de ce nombre par celui des Pléiades.

Dion Cassius écrivait au début du IIIe siècle : « Ce sont les Égyptiens qui, les premiers, ont divisé le temps en semaines ; les sept planètes leur ont fourni cette idée et ils en ont tiré les sept noms des sept jours de la semaine ». Il n’eut sans doute pas fallu le pousser beaucoup pour qu’il explique les vertus, la perfection, la sainteté du nombre sept par celui des planètes.

Colosse de Rhodes (représentant Hélios, le dieu Soleil), l'une des sept Merveilles du monde. Gravure de Georg Balthasar Probst réalisée vers 1750
Colosse de Rhodes (représentant Hélios, le dieu Soleil), l’une des sept Merveilles du monde.
Gravure de Georg Balthasar Probst réalisée vers 1750

Philon, Clément d’Alexandrie et vingt autres écrivains, subissant sur ce point l’influence de Babylone et de la Chaldée, étaient persuadés qu’il en était ainsi. À ceux qui veulent faire dériver le nombre sept de celui des planètes, on peut objecter que ce nombre fut de cinq avant d’être de sept, et qu’il ne fut porté à sept qu’en y joignant le soleil et la lune, c’est-à-dire les deux grands luminaires qui rentraient tout d’abord dans un système binaire beaucoup plus ancien et tout à fait indépendant. Parmi les modernes, Peignot (dans son article intitulé Recherches sur l’époque où les premiers Chrétiens et les Romains ont commencé à adopter la semaine inséré dans les Mémoires de l’Académie de Dijon en 1829), et plus tard Roscher, font dériver le nombre sept de la durée des phases de la lune, quatre périodes de sept jours. Le nombre sept serait né, d’après eux, de l’analyse du rythme lunaire.

Des philologues comme Jodin estiment que le corps humain fut le premier à fournir cette notion. Les vertèbres cervicales, dont le rôle est si important dans le squelette, sont au nombre de sept ; et « l’on a dû dire les saillies cervicales, avant de dire les sept ».

Mais, si nous nous rappelons que le Çatapatha Brahmana — texte religieux en prose rédigé dans l’Inde antique — mariait les sept étoiles de l’Ourse aux sept étoiles des Pléiades et que, d’autre part, les Tsabiens de la Mésopotamie associaient le culte des sept planètes à l’adoration des sept astres de la Grande Ourse, nous sommes conduits à nous demander si ces divers septénaires ne se rattachent pas à une conception d’ensemble.

Varron, écrivain romain qui au premier siècle avant notre ère a rassemblé beaucoup d’observations sur la vertu du nombre sept, paraît avoir compris que ce nombre empruntait sa perfection (et aussi son origine) non pas à une source unique, mais à des sources multiples, principalement astronomiques. « Ce nombre, dit-il, forme dans le ciel la Grande et la Petite Ourse, ainsi que la constellation nommée chez nous Vergiliae et chez les Grecs Pléiades. Les étoiles errantes, qu’on appelle erraticae (errantes) et que P. Nigidius appelle errones, sont au nombre de sept. Tel est aussi le nombre des cercles célestes qui ont pour centre l’axe du monde...

« Le zodiaque fournit aussi un exemple de la vertu du nombre sept. En effet, le solstice d’été a lieu quand le soleil passe dans le septième signe, à partir du solstice d’hiver ; de même le solstice d’hiver a lieu quand le soleil a parcouru sept signes à partir de celui d’été. On compte aussi sept signes d’une équinoxe à l’autre ».

Varron rappelle ensuite que la lune achève sa révolution en quatre fois sept jours. « En effet, dit-il, dans l’espace de vingt-huit jours, elle est revenue au point d’où elle est partie. » Il ajoute qu’il y a à remarquer ici deux choses : d’abord que la lune décrit son cercle en quatre fois sept jours et ensuite que le nombre vingt-huit est la somme des différents nombres dont se compose le nombre sept (1+2+3+4+5+6+7=28).

L’étude ethnographique de la genèse des nombres conduit à une théorie qui réunit et justifie dans une mesure toutes les hypothèses précédentes. Toutefois on ne saurait la saisir, si l’on ignore que les Primitifs ne distinguaient pas le nombre du groupe nombré. Le nombre n’étant pas primitivement différencié de ce qui est compté, il s’ensuit que des ensembles différents composés d’un même nombre de parties reçoivent des noms différents et que les langues sauvages possèdent toute une série de mots pour désigner une même espèce de choses, selon qu’il y en a deux, trois ou quatre, etc.

Les Primitifs emploient des mots spéciaux pour désigner les objets nombrés, mais n’ont pas de nombre. Ils désignent très bien des ensemble-nombres, sans posséder des nombres différenciés. Le nombre est pour eux uni à l’objet et leur en paraît indissoluble, explique en 1910 l’anthropologue Lucien Lévy-Bruhl dans Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures. Ils comptent généralement au moyen des diverses parties du corps, pieds, mains, articulations, etc. ; et les premiers noms de nombres ne sont pas des noms abstraits ; ce sont les noms des divisions de l’instrument de mesure. « On ne saurait dire, dit Haddon, que Nabiget soit le nom du nombre cinq ; il veut dire seulement qu’il y a autant d’objets en question qu’il y a de doigts dans la main. »

La Grande Ourse. Gravure extraite d'Uranometria, atlas des constellations réalisé par l'astronome allemand Johann Bayer et publié en 1603
La Grande Ourse. Gravure extraite d’Uranometria, atlas des constellations
réalisé par l’astronome allemand Johann Bayer et publié en 1603

Le dégagement des nombres abstraits ne s’est opéré que très lentement et en commençant par les nombres les plus faibles. On connaît, en effet, des peuplades qui n’ont pas de nom de nombre supérieur à deux ; d’autres qui ne dépassent pas le nombre trois ; d’autres encore qui atteignent tout juste au nombre quatre, etc. Le nombre ne s’est dégagé de la gangue des choses qu’en devenant la base d’un système de numération ; mais qui dit numération primitive dit classification. Nombrer les choses par deux, trois, quatre, etc., c’était les classer par couples, par triades, par quadriges.

La division du cosmos en deux, puis en trois, puis en quatre parties, etc., détermina l’emploi de ces nombres cosmiques, comme base de système de numération. Le nombre étant significatif des divisions cosmiques et par suite de la force qui y circule et qui en constitue l’énergie, est étroitement lié à la représentation du cosmos et ne s’en distingue pas. Or le nombre qui exprime la totalité des divisions du monde, qu’il s’agisse du deux, du trois, du quatre ou du cinq, exprimant en même temps le principe de l’activité de l’univers, désigne à la fois la totalité du mouvement et la totalité de l’étendue et en constitue la loi essentielle et fondamentale.

Il s’ensuit donc, tout naturellement, que les choses qui sont dans l’univers seront divisées, comme l’univers lui-même en deux, trois, quatre ou cinq parties ; d’où l’application du nombre cosmique à une infinité de sous-groupes du même nombre. Pour cette opération extensive, le nombre cosmique recevait un nom que l’on associait à chacun des ensembles partiels qui était censé refléter le nombre type du cosmos. Mais, du même coup, le nombre abstrait, tout en gardant une valeur sacrée et une vertu mystique, était créé et le nom du nombre, qui devait un jour désigner une pure abstraction, se dégageait de sa gangue concrète.

Il vint un jour où le sept exprima à son tour le terme et la totalité, l’achèvement et la perfection, non pas une totalité et une perfection abstraite, mais la totalité et la perfection de l’univers. Le nombre sept s’identifia par suite à l’âme du monde, plus précisément à la forme que cette conception revêtait chez les Primitifs, c’est-à-dire au mana, principe dynamique impersonnel et sacré, source du déroulement du cosmos dans le temps et dans l’espace.

C’est ainsi que, chez les Chaldéens, « Bel est l’association des sept éléments cosmiques représentés par les planètes : il est en soi, dit l’archéologue et assyriologiste François Lenormant (1837-1883), l’unique, le maître et le premier ; il constitue une unité abstraite qui préside aux sept éléments et aux mille manifestations de la vie » (La magie chez les Chaldéens et les origines accadiennes , 1874).

C’est en vertu d’une même conception que des Chrétiens comme Eusèbe affirmaient qu’en rapprochant les sept voyelles on peut en former le nom ineffable du Très-Haut, car il ajoutait : « Je ne sais où un sage de la Grèce avait puisé la même idée que l’on croit entrevoir dans ces paroles : sept lettres voyelles expriment la gloire de mon nom et je suis le Dieu immortel, le père de tous les êtres. Je suis aussi la fin immortelle de toutes choses ; et c’est moi qui ai réglé l’harmonie des corps célestes. » Ce dieu immortel n’est, en effet, que l’âme du monde, sorte de semi-personnification du mana ou de l’énergie universelle.

Philon écrivait de son côté : « Le nombre sept est comme vierge entre les autres nombres et de son naturel il n’a point de mère ; il est fort proche de l’unité et du commencement de toutes choses ; il est la forme des planètes. Pour ces raisons et plusieurs autres, le nombre de sept a esté prisé et honoré, vray est que le principal a esté que par iceluy le Créateur et Père de l’Univers a esté manifesté et cogneu ; car l’entendement imagine en ce nombre, comme en un miroir, Dieu bâtissant le monde et le gouvernant (1) » (le nombre des étoiles des Pléiades visibles à l’œil nu n’est que de six) : on ne saurait mieux reconnaître que ce nombre représente le principe actif du Cosmos et, par suite, sa signification cosmique.

Concordance entre les planètes et les jours de la semaine. Enluminure extraite du manuscrit 1351 de la Bibliothèque municipale de Lyon intitulé Breviari d'amor (XIVe siècle), par Maître Ermengaud. Dans l'Antiquité, on dénombrait sept planètes visibles à l'oeil nu : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, le Soleil et la Lune
Concordance entre les planètes et les jours de la semaine. Enluminure extraite du manuscrit 1351
de la Bibliothèque municipale de Lyon intitulé Breviari d’amor (XIVe siècle),
par Maître Ermengaud. Dans l’Antiquité, on dénombrait sept planètes visibles à l’oeil nu :
Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, le Soleil et la Lune

Le nombre abstrait n’est pas né de la considération d’un seul objet et le nombre sept n’a pas été engendré par la connaissance des sept étoiles de l’Ourse ou par le décompte des sept vertèbres cervicales ; mais il naquit dès qu’on eut réussi à concevoir l’univers comme une hebdomade à sous-divisions septénaires. Ainsi les Ourses et les vertèbres cervicales ont pu contribuer chacune pour leur part à mettre en relief le nombre sept et par suite à le détacher des choses concrètes. Les points cardinaux chez nombre de peuplades primitives sont d’abord de deux, puis de quatre, et passent ensuite à six, à sept, en y ajoutant d’abord le zénith et le nadir, puis le milieu.

On peut donc penser que la détermination du nombre des étoiles des Ourses et de celui des Pléiades, surtout de ces dernières, qui fut porté à sept par esprit de systématisation, fut contemporain de l’époque où l’homme, s’élevant au-dessus du système de classification par six, arriva à distinguer presque simultanément toute une série d’hebdomades, parmi lesquelles, certes, les sept jours de la semaine, les sept planètes, les sept Ourses (grande et petite), ne furent ni les moins importantes ni les moins influentes. Ce n’est qu’après avoir reconnu, expérimenté ces hebdomades matérielles, ces sous-divisions du cosmos, que l’homme réussit à s’élever à une notion semi-mythique et semi-abstraite d’un pouvoir septénaire, qui fut l’origine de la notion abstraite.

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