LA FRANCE PITTORESQUE
12 janvier 1920 : naufrage
du paquebot Afrique,
le « Titanic français »
(D’après « Le Figaro » du 13 janvier 1920, « Journal des débats politiques
et littéraires » du 15 janvier 1920 et « 100 ans après, retour sur le naufrage
du "Titanic français" tombé dans l’oubli » (par Franceinfo) publié le 11 janvier 2020)
Publié le dimanche 12 janvier 2020, par Redaction
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Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1920, le paquebot Afrique sombrait au large des côtes françaises. Sur les 602 personnes présentes à bord, 568 ont péri noyées, et 34 ont survécu au naufrage de ce navire qui assurait la liaison entre Bordeaux et Dakar au Sénégal. Parmi les victimes, il y avait près de 200 tirailleurs sénégalais.
 

Le paquebot entreprend son 58e voyage à destination des comptoirs coloniaux français en Afrique. Mais alors que les lumières des côtes françaises sont encore visibles, le navire est pris dans une tempête et submergé par les vagues. Privé d’électricité et ses moteurs à l’arrêt, le bateau qui transporte 602 passagers et 500 tonnes de marchandise sombre au large de la Vendée.

Dans les jours qui suivent, le naufrage n’est évoqué que brièvement dans les journaux et passe relativement inaperçu, malgré le lourd bilan humain. Dans son numéro du 15 janvier 1920, le Journal des débats politiques et littéraires rapporte en ces termes les circonstances tragiques du naufrage, reconstituées grâce aux témoignages des rescapés :

Le paquebot Afrique. Carte postale des années 1910
Le paquebot Afrique. Carte postale des années 1910

« L’Afrique, qui avait quitté Bordeaux vendredi soir [9 janvier], essuya une violente tempête dans le golfe de Gascogne. Au large de la Coubre une voie d’eau se déclara. Les foyers des machines furent noyés et les cabines de première classe inondées. Le Ceylan se porta samedi au secours de l’Afrique, mais l’état de la mer ne permettant ni remorquage, ni transbordement, les commandants des deux navires décidèrent de fuir la tempête, qui devenait de plus en plus violente, en se dirigeant vers le Nord.

« Ils arrivèrent ainsi à l’ouest du plateau des Roches-Bonnes. C’est contre ce massif rocheux que l’Afrique, dont le gouvernail n’obéissait plus, vint toucher et donner de la bande vers 3 heures du matin. À cette heure, le commandant de l’Afrique envoya par son appareil de télégraphie sans fil ce dernier radio : Je coule. Je suis exactement entre les roches des Barges, le banc des Roches-Bonnes et les Baleines, à la pointe de l’île de Ré.

« Le Ceylan louvoya dans le triangle indiqué et, au petit jour, rencontra des épaves diverses et put recueillir des naufragés groupés sur des radeaux. D’autres remorqueurs venus de Rochefort et de Lorient secondèrent le Ceylan dans sa tâche de sauvetage. Les opérations de sauvetage furent d’ailleurs de la plus extrême difficulté, en raison de la violence de la tempête. C’est ainsi qu’un vapeur de secours, l’Hippopotame, a dû renoncer à accomplir sa mission et se réfugier en rade du Palais.

Il n’est, hélas pas douteux que de nombreux passagers, qui s’étaient réfugiés dans les canots de sauvetage, ont été engloutis par les vagues furieuses et que d’autres, dans la panique, se sont jetés affolés dans la mer. »

Dans son édition du 13 janvier, Le Figaro avait déjà retracé les circonstances de cette tragédie :

« Le triangle formé par les Roches-Bonnes, les Barges et les Baleines se trouve à 130 kilomètres de La Rochelle. Les Roches-Bonnes sont les plus rapprochées de ce port, les Baleines sont, à l’extrémité ouest de l’île de Ré et les Barges à l’ouest des Sables-d’Olonne. Le paquebot Afrique, peu après sa sortie de la Gironde, entra en pleine tempête. Battu par d’énormes lames, il subit de telles avaries qu’il dut virer de bord après deux longues journées de lutte contre les éléments.

« Le 11, il chercha à gagner le port de La Pallice pour se mettre à l’abri et procéder à des réparations urgentes mais sa marche devint si difficile qu’il lançait par T.S F. : Sommes en détresse, envoyez secours. Le paquebot Ceylan qui avait quitté Bordeaux 24 heures après l’Afrique, se porta au secours de ce dernier, lequel n’avançait plus qu’avec une machine, l’autre étant immobilisée par une avarie. Le Ceylan ne put passer la remorque au navire en détresse tant la mer était démontée, il dut se contenter de le convoyer à distance.

« De temps en temps, l’Afrique disparaissait, pourtant le Ceylan parvenait à naviguer quand même de conserve avec lui tout l’après-midi de dimanche. Dans la nuit de lundi, le paquebot en détresse lançait un nouveau T.S.F. alarmant : Avons touché les Roches-Bonnes. Et, peu après, un second télégramme désespéré : Envoyez d’urgence remorqueur. Crains ne pouvoir tenir jusqu’au jour.

« En même temps, le Ceylan perdait de vue les signaux de l’Afrique et prévenait la côte. Le Ceylan se mettait à la recherche de l’Afrique qui annonçait encore qu’il procédait à l’évacuation du bord et que cette opération était très difficile par suite de l’inclinaison du navire.

« Il n’y avait plus de doute : le paquebot coulait et, par le temps épouvantable qui continuait à régner, il était de toute urgence de se mettre à la recherche des embarcations qui portaient des naufragés. Le Ceylan fit appel au paquebot Anversville, qui avait quitté Bordeaux en même temps que lui. De son côté, la Marine envoyait les remorqueurs Cèdre et Victoire.

« Pendant toute la matinée du lundi, les recherches restèrent vaines. Enfin, à midi, on aperçut une première embarcation portant onze naufragés transis par le froid et on put les hisser à bord. À trois heures de l’après-midi, on retrouvait une seconde embarcation avec quinze naufragés. »

Le naufrage du paquebot Afrique, reconstitué d'après le témoignage d'un rescapé. Dessin paru dans Le Miroir du 25 janvier 1920
Le naufrage du paquebot Afrique, reconstitué d’après le témoignage d’un rescapé.
Dessin paru dans Le Miroir du 25 janvier 1920

Pendant des semaines, les corps des victimes vont s’échouer sur les côtes françaises. Certains sont même repêchés dans les filets des chalutiers mais le drame ne suscite pas beaucoup d’émoi et les naufragés restent dans l’anonymat. La faute d’abord à la compagnie maritime qui multiplie les déclarations mensongères à la presse et qui minore le nombre de victimes.

La faute revient en partie au contexte de l’époque explique l’historien Daniel Duhand, auteur d’un film sur le sujet. « Là, on se trouve après la Première Guerre mondiale. Les gens en ont marre des catastrophes et puis ça tombe juste le weekend des élections présidentielles. Voilà pourquoi c’est tombé un petit peu dans l’oubli. »

Une très longue procédure judiciaire va opposer les familles des victimes à la compagnie maritime des chargeurs réunis. Et finalement, après douze années de guérilla, les demandes d’indemnisation des familles sont refusées. La catastrophe et les disparus tombent définitivement dans l’oubli et aucune enquête ne fera la lumière sur les causes de l’accident.

Mais 100 ans plus tard, Luc Corlouër, dont le grand-cousin était maître d’équipage sur le navire, a son idée sur la question. « On sait qu’il y a un moteur qui a été noyé et donc le bateau s’est arrêté. On sait que la mer était démontée. On sait que le navire n’était pas dans un état formidable. Donc la conjonction de ces événements a conduit à la catastrophe, à la tragédie. »

Cent ans après le drame, l’épave du paquebot gît toujours par 40 mètres de fond. La plupart des victimes reposent dans les cimetières de l’île de Ré, la terre la plus proche des lieux du naufrage.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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