LA FRANCE PITTORESQUE
Sorciers, sorcières et sortilèges
au pays de Montbéliard
(D’après « Revue de folklore français », paru en 1933)
Publié le mercredi 18 décembre 2019, par Redaction
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Contes et légendes ayant trait aux faits et méfaits des sorciers et sorcières du pays de Montbéliard nous enseignent qu’à vouloir les défier, les personnes téméraires s’exposent, au mieux à quelque grosse frayeur, au pire à être physiquement malmenées, une grande méfiance étant de surcroît de rigueur, sachant ces êtres aux pouvoirs maléfiques doués de la capacité d’adopter l’apparence d’un animal pour mieux tromper leur monde
 

La haute chasse passe au-dessus de tous les villages, mais elle se dirige toujours vers le mont Vaudois, ou elle en vient. Comme l’indique son nom (vauderie, en vieux français, équivaut à sorcellerie), c’est un lieu de maléfices et d’apparitions : c’est aussi un endroit où l’homme préhistorique a laissé de nombreuses traces de son séjour. Il semble probable que le Vaudois, centre de la menée fantastique nommée la haute chasse, fut une montagne sainte avant d’être un rendez-vous de sorciers.

La haute chasse
Il est imprudent de s’y trouver à certaines heures : un soir, des gens d’Étobon (Haute-Saône), village situé à quatorze kilomètres du Vaudois, en causaient entre eux. L’un dit : « Je ne le croirai pas que je ne le voie et ne l’entende. » « Si tu en as le courage, répondit un autre, viens au Vaudois quand je te le dirai, tu verras et tu entendras ». L’homme accepta et, l’une des nuits suivantes, tous deux se mirent en route. Arrivés au Vaudois, ils entendirent des cris pareils à ceux d’un bouc ; des hurlements d’autres animaux s’y mêlèrent ensuite, et cela finit par composer une musique étrange, où des voix et des instruments de toutes sortes se faisaient entendre. L’homme revint à Étobon et ne fut plus incrédule au sujet de la haute chasse ou des sorciers.

Sabbat des sorcières. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de De lamiis phitonicis mulieribus par Ulrich Molitor (1489)

Sabbat des sorcières. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de
De lamiis phitonicis mulieribus par Ulrich Molitor (1489)

Le village de Luze (Haute-Saône), au pied du Vaudois, est le théâtre d’une autre légende : pendant une veillée, on parlait des choses étranges qui s’y passaient la nuit. Une femme dit : « J’y vais aller, au Vaudois, et je suis sûre qu’il ne m’arrivera rien ». Elle partit, ayant un chat dans son tablier. Arrivée au sommet, elle cria : « Y hiâ di Vâdois y sô ! » (Au haut du Vaudois je suis). Une voix répondit : « Ste n’aivô p’ton minon-minâ d’aivô toi, djamnais te ne paitehiros de ci ! » (Si tu n’avais ton minon-minâ avec toi, jamais tu ne partirais d’ici). Elle revint toute en émoi, mais sans accident.

À Arcey (Doubs), la haute chasse passait à la Côte du Mont : les gens qui en faisaient partie se rassemblaient dans les bois. Ils se réunissaient en cercle autour de grands feux et s’envolaient ensuite dans les airs. Si, en les voyant, on disait : « C’est la haute chasse », rien ne se produisait, mais si on disait : « Ce sont les sorciers », tout disparaissait.

Un vieux sonneur de cloches d’Héricourt (Haute-Saône) disait avoir, avant 1870, vu et entendu la haute chasse. Étant de nuit au Vaudois, il l’entendit passer avec le vacarme accoutumé et vit en même temps une boule ou un anneau de feu surmontant une grosse pierre. Il eut peur et n’osa que faire une marque à deux arbres qui se trouvaient à droite et à gauche de la pierre ; il s’enfuit ensuite. Quand il revint, il retrouva bien ses deux arbres marqués, mais la pierre et la boule ou l’anneau avaient disparu. Il se repentit toujours de sa poltronnerie et disait depuis : « J’ai manqué ma fortune ».

Pour rejoindre la haute chasse, les sorciers se changeaient parfois en animaux : une nuit, pendant laquelle on l’entendait passer entre Chagey et Genéchier (Haute-Saône), un homme du premier de ces villages vit un chien gambader devant lui, auquel il jeta une pierre. Le chien se retourna et se changea en homme, qui disparut.

La haute chasse est distincte du sabbat dans certains villages ; elle se confond avec lui ailleurs. Un homme d’Arcey passait par les bois de Saulnot : il vit des gens réunis en cercle autour d’un grand feu. Il voulut se cacher, mais un des assistants l’interpella en lui criant : « Es-tu des nôtres ? » L’homme, effrayé, répondit : « Oui ». On lui présenta alors un livre pour le signer. Au lieu d’écrire son nom, l’homme fit une croix sur le livre. Aussitôt, tout disparut. L’homme rentra, tremblant, chez lui.

Au haut de la Halle, à l’angle fait par le chemin d’Étobon et la route de Belverne (Haute-Saône), passait, une nuit, un homme appelé Pierre Fridot : il vit des gens formant un cercle autour de cinq chandelles allumées. Il ne reconnut personne, sauf un de ses voisins, qui lui dit : « Pire, péesse âlon » (Pierre, passe à côté). Il passa sans accident, mais rentra tout effrayé (cinq chandelles était un nombre rigoureusement fixé par la loi romaine pour un mariage ; on sait que le sabbat consistait surtout en mariages momentanés, souvent incestueux.

Les principaux endroits du sabbat étaient : la Combe-Peugeot, entre Vandoncourt et Hérimoncourt (Doubs) ; le Grammont, près de Beaucourt (Territoire de Belfort) ; le Château des Fées, entre le Vernois (Jura) et Désandans (Doubs) ; le mont Bart, près de Montbéliard : tous ces endroits ont fourni souvent, en abondance, des instruments néolithiques, et certains ont livré des squelettes sous cistes ou sous tumulus. Pour le Grammont, de Beaucourt, au début du XVIIe siècle, un joueur de cornemuse, nommé Girard, y conduisit le sabbat : il fut, pour ce fait, exécuté à Porrentruy, en 1611.

Sorciers et sorcières
Les sorcières étaient autrefois appelées dgenâtches (en vieux français guenauches, même signification) ; à six lieues environ de Montbéliard, près de Porrentruy (Suisse), un gouffre d’où sort l’Allan, affluent du Doubs, se nomme le Creu-Gena, ou Creux aux dgenâtches ; un chemin voisin s’appelle la voie des dgenâtches, ou route des sorcières. Aujourd’hui, dgenâtche se dit comme injure à une femme méchante ou de mauvaise vie. Les mêmes lieux où passe la haute chasse servent aux réunions des sorcières : à la Thure, près de la Cinseau, un homme de Chagey les a vues s’envolant dans les sapins ; elles étaient vêtues de longues robes blanches et montaient en l’air les pieds les premiers.

À Étobon, à l’étang Camus, un homme, nommé Bourquin, sortit un soir sur le pas de sa porte. Tout à coup, il entendit dans les nuages des bruits extraordinaires, produits, comme il le pensa d’abord, par des sorcières qui passaient en volant. Au lieu de rentrer chez lui et de s’y enfermer, il répondit aux bruits en criant : « Hou ! Hou ! ». Aussitôt, deux sorcières s’abattirent auprès de lui, l’une à sa droite et l’autre à sa gauche, en lui disant : « Te vôs veni d’aivô nôs. » « Nian, répondit-il, y ne vô pé » (Tu viendras avec nous. — Non, je ne veux pas). Elles le saisirent alors chacune par un bras, le portèrent en l’air jusqu’au ruisseau qui sort de l’étang et lui dirent : « Ai te fâ sâtai. — Nian, y ne sâterai pé. — Te sâteret. — Y ne sâterai pé. — Youpsasa ! Bourquin, youpsasa ! » (Tu sauteras. — Je ne sauterai pas. — Tu sauteras, etc.). Elles firent sauter le pauvre homme, tantôt d’arrière en avant et tantôt d’avant en arrière, jusqu’au lendemain matin. Il fut alors délivré, mais rentra chez lui à demi-mort de fatigue.

Ce genre de conte est assez commun. Un jeune homme de Chagey, qui allait voir une jeune fille à Échenans-sous-Mont-Vaudois (Haute-Saône), fut arrêté entre les deux villages par des êtres qu’il ne put distinguer et qui lui répétaient : « Te ne péésseret pé ! Te ne péésseret pé ! » Bien qu’il ne vit pas ce qui l’en empêchait, il ne put avancer. Quand il revint sur ses pas, il n’éprouva aucune difficulté.

Sorcière adorant un démon. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de Cosmographia Universalis par Sebastian Münster (1544)

Sorcière adorant un démon. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de
Cosmographia Universalis par Sebastian Münster (1544)

Pendant une nuit troublée par des bruits pareils à ceux de la haute chasse, un garçon de Belverne allait à Frédéric-Fontaine : en passant par le fond de la Pissotte (vallon mal famé), deux hommes inconnus le saisirent et le firent danser toute la nuit en disant : « Youpsasa ! Nôs y voici dlai sent di foussée ! Youpsasa ! » Quand ils le laissèrent, le jeune homme ne put aller en avant et revint sur ses pas.

À Échenans-sous-Mont-Vaudois, les sorcières se réunissaient au mont d’Urcerey : au moyen de sorts, les sorcières de vocation forçaient toutes les vieilles filles du village de devenir sorcières comme elles ; bon gré, mal gré, il leur fallait enfourcher le balai en poussant le cri : « Aille ! Poi dans bôs, poi dans brences, poi dans breussons ! ».

Au village d’Offémont, près de Belfort, il y avait autrefois deux bossus ; l’un, toujours de mauvaise humeur, ne pensait qu’à jouer de méchants tours à ses voisins ; l’autre était toujours serviable et gai. Celui-ci partit un jour pour Héricourt. Ayant voulu prendre un chemin de traverse, il s’égara, si bien qu’il fut surpris par la nuit alors qu’il se trouvait sur le mont d’Urcerey, en face du Vaudois. Il ne savait où se diriger, quand il vit un feu briller dans l’obscurité. Il marcha de ce côté et tomba au milieu d’un cercle de sorcières qui faisaient leur sabbat. Elles lui crièrent : « Qui va là ? ». Il répondit : « Le petit bossu d’Offémont. » « Approche ici ». II s’approcha du feu et se rendit agréable autant qu’il put. Une des sorcières dit : « Puisqu’il est si gentil, il faut lui enlever sa bosse ». Deux sorcières lui tinrent les bras et une autre lui rasa sa bosse, si vite que c’est à peine s’il sentit le froid du couteau. Elles le lâchèrent ensuite en lui disant : « Va-t-en et ne reviens jamais ici ou mal t’en arrivera ».

Il s’en retourna chez lui, tout joyeux de se sentir aussi droit que le plus beau garçon du village. Il trouva à se marier avec une gentille femme, qui le rendit très heureux. Par jalousie, l’autre bossu devint plus méchant que jamais : comme il était aussi soupçonneux que méchant, il crut que l’avis de ne pas retourner au sabbat était pour l’empêcher d’être délivré de sa bosse et, depuis, il rôdait chaque nuit autour du Vaudois et du mont d’Urcerey. Enfin, un soir, il vit la flamme et s’approcha. On lui cria : « Qui va là ? » Il répondit : « Le petit bossu d’Offémont ». Une des sorcières le saisit en disant : « Nous avions défendu qu’on vînt voir notre sabbat : on va te punir. Qu’on apporte la bosse de l’autre ! » Comme il était bossu de dos, on lui mit celle-ci sur la poitrine et, sa vie durant, il resta bossu des deux côtés. Ce conte se retrouve en Wurtemberg et dans plusieurs provinces de France.

Les sorcières recevaient du diable une poudre (poussat, ou poussot) renfermée dans une petite boîte. Quand elles la répandaient dans l’air, cette poudre attirait la grêle ; si elles en jetaient sur gens ou bêtes, elle causait des maladies graves. La pire des grêles était amenée par le mélange, en prononçant des paroles magiques, de cette poudre avec l’urine des sorcières.

À Bolsenheim (Bas-Rhin), on doit se signer devant les croix pendant le jour, mais se garder de le faire la nuit : on verrait alors les sorcières passer dans les airs. Dans le Haut-Rhin, pour reconnaître les sorcières, il faut, pendant la messe du jour de Pâques, regarder les femmes de l’assemblée à travers un œuf pondu le Vendredi Saint : les sorcières sont vues avec un cuveau sur la tête. Elles hantent le Vaudois la nuit et appellent les passants en disant : « Viens ! Viens ! Je t’attends ». Si on les écoute, malheur en provient.

Une sorcière appelée Niellotte était redoutée à Coisevaux (Haute-Saône) et dans les environs. Elle mourut vers 1880 et tenait son pouvoir de ses parents, sorciers eux-mêmes, faisant faisait un signe de croix (à noter chez une protestante) sur les gens ou les bêtes à qui elle en voulait, et les animaux tombaient en sortant de l’étable. Il fallait dépaver l’écurie pour ôter le charme : on trouvait alors un paquet de cheveux. Les parents défendaient à leurs enfants d’accepter d’elle des fruits ou toute autre chose. Elle insistait, disant : « N’aie pas peur, je ne veux pas te faire du mal, ni grever [faire tarir] votre vache ». Mais on n’acceptait pas.

Un peultie (tailleur) d’Étobon avait une femme sorcière et n’en savait rien. Une nuit, il s’attarda à tirer l’aiguille : sa femme quitta le « paille » (chambre habituelle) pour aller à la cuisine. Comme elle ne revenait pas, le tailleur alla à la « beuillotte » (judas, petite ouverture vitrée d’une porte) et vit sa femme se déshabiller en même temps que deux autres sorcières : elles prirent sur la pierre, devant le four, un pot où il y avait de la graisse et s’en frottèrent tout le corps. Elles dirent ensuite : « Tôt poi dechu les brances et les bressons », et s’envolèrent aussitôt par la cheminée. Voulant faire comme elles, le tailleur se frotta de la graisse du pot, mais dit : « Tôt poi dedans les brances et les bressons ». Aussitôt, il fut lancé au dehors par la cheminée et, toute la nuit, il fut lancé d’une branche à l’autre et d’un buisson à l’autre, pendant qu’il entendait les sorcières rire et se moquer en volant au-dessus de lui.

Le lendemain matin, il se retrouva dans sa cuisine, la figure et le corps égratignés et les habits déchirés. Les femmes du pays lui demandaient : « Où êtes-vous allé, tailleur ? On vous a griffé ». Il donna pour excuse qu’il était tombé dans ses fagots, mais n’essaya plus jamais de voir ce que faisaient les sorcières. Celles-ci venaient souvent de Frédéric-Fontaine : elles se réunissaient à la fontaine Danrô, sous trois gros hêtres et au milieu de trois grandes pierres.

Sorcières concoctant un orage de grêle. Gravure (colorisée ultérieurement) exteaite de De lamiis phitonicis mulieribus par Ulrich Molitor (1489)

Sorcières concoctant un orage de grêle. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de
De lamiis phitonicis mulieribus par Ulrich Molitor (1489)

Comme toujours, le mont Vaudois est favorisé pour les apparitions mystérieuses : on y entend fréquemment un chasseur invisible appeler des chiens invisibles dont on distingue les aboiements ; à quatre kilomètres au sud-ouest, sur la côte qui va de Couthenans à Coisevaux, un chasseur fantastique criait parfois des nuits entières après ses chiens : il avait des cornes et des pieds de bœuf et les gens des environs le redoutaient grandement.

Aux Verrières (Suisse), le lieu dit « le Creux » est un mauvais endroit, qu’il faut éviter la nuit : un esprit y revient. Auprès du chemin des Valettes, au Grand Étang, une vieille femme de Courmont, rentrant le soir, vit un esprit flottant dans l’air ; un bûcheron, qu’elle appela, le vit comme elle. Dans les mêmes parages, un homme, passant au Crépon, entre les Valettes et les Verrières, vit, la nuit, un buisson d’épines noires, qui se trouve à cet endroit, flamber comme dévoré par le feu. L’homme s’enfuit ; mais quand, plus tard, il repassa par là, il revit le buisson intact, comme il l’avait toujours connu.

À Chenebier (Haute-Saône), un homme s’était pendu au bois des Perchelles. Les charbonniers qui fréquentaient ces bois affirmèrent l’avoir plusieurs fois revu le soir, quand-ils rentraient de leur ouvrage. Autrefois, dans le Pays des Bois, qui comprend les communes du Magny d’Anigon, de Belverne, de Frédéric-Fontaine, de Clairgoutte, d’Étobon, d’Échavanne et de Chenebrier, apparaissait un homme noir, qui entrait dans les maisons et prenait tout ce qui était à sa convenance. Il terrorisa pendant longtemps les villages et finit par ne plus reparaître. Il cacha les trésors immenses qu’il avait amassés sur le Chérimont (montagne où apparaissent des animaux fantastiques : cheval, lièvres, etc.. ; il y passe une ancienne voie romaine). L’endroit de la cachette est le lieu d’où l’on peut apercevoir à la fois sept clochers, soit deux pour Chenebier et un pour Échevanne, Étobon, Belverne, Clairegoutte et le Magny d’Anigon.

Une dame blanche revient au Château de Montbéliard, quand un malheur menace la maison régnante : elle fut vue par une dame d’honneur de la princesse Élisabeth-Madeleine, née de Hesse-Darmstadt, laquelle mourut quelques jours après ; en 1650, le 19 août, le prince, rentrant de la chasse, au soir, avait été effrayé par « autour de son carrosse, des étincelles de feu beaucoup, avec des fantômes qui l’ont toujours accompagné jusqu’au jardin de Blamont ».

À Hérimoncourt, à la Combe Peugeot, apparaît, ou se fait entendre, le Vielleux de la Combe. Il faut se garder de l’approcher ; ceux qui l’ont tenté n’ont plus été revus. De même, un fantôme blanc apparut près d’une roche située aux environs de la Bouloie et qui portait, en lettres de sang, les initiales P.K. Cette roche, se nomme encore la Roche P. K.

Animaux fantastiques
Comme bête fantastique, le lièvre dépasse de loin tous les autres animaux : on ne compte plus les chasseurs ou braconniers ayant eu affaire à des sorciers déguisés en lièvres.

Un braconnier de Gonvillars (Haute-Saône), surnommé Foisset, étant à l’affût, vit un lièvre sautiller devant lui : il visa et tira, mais le coup ne partit pas, et ce fut ainsi plusieurs soirs de suite. Il en parla à un voisin qui lui dit : « Si tu y retournes, tu n’as qu’à mordre le canon de ton fusil, le coup partira ». Foisset retourna au bois, revit le lièvre, toujours sautillant devant lui, et mordit son canon avant d’ajuster. Quand il pressa la détente, le coup partit et le lièvre se changea en une femme qui passait pour sorcière. Elle fut plus de trois mois sans sortir de chez elle et, quand elle se montra de nouveau, elle était boiteuse et le resta toute sa vie.

À Belverne, pendant un certain temps, chaque fois que l’instituteur venait remonter l’horloge de l’église, ce qu’il faisait à quatre heures du soir, un lièvre apparaissait et traversait la route. Plusieurs des gens du village tirèrent sur lui, mais le coup ratait toujours. Enfin, sur le conseil d’un homme instruit dans les choses du « secret », un chasseur se décida à mordre le chien de son fusil avant d’ajuster. Cette fois, le coup partit et le lièvre dit : « Oye vouais ! que tu m’as fait mal ! » et disparut. Le lendemain, un homme du village avait le bras en écharpe et cela lui dura longtemps.

Aux Verrières, une femme se changeait en lièvre : un soir, un chasseur tira sur l’animal ; il redevint femme et dit : « Tu es bien heureux de m’avoir manquée : si tu m’avais blessée, tu serais mort ». Et elle disparut.

À Etobon, au pied d’un coteau (lou Côtâ), existait un ancien puits : à la nuit, un lièvre blanc en sortait et s’échappait sans que nul pût le prendre ou le tuer. On a comblé le puits et le lièvre blanc ne se montre plus. Dans les mêmes parages du Côtâ, les charbonniers virent longtemps un lièvre qui venait passer auprès d’eux et que rien ne dérangeait : les fusils rataient ou les tireurs manquaient leur coup. Un soir, un chasseur, à l’affût, vit un lièvre : il le tira et le lièvre roula comme mort. Quand le chasseur voulut le ramasser, le lièvre se releva, mais un second se releva aussi, comme dessous le premier : tous deux éclatèrent de rire et disparurent.

Sorcières préparant un onguent. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de Warhafftige Zeitung von den gottlosen Hexen par Reinhard Lutz (1571)

Sorcières préparant un onguent. Gravure (colorisée ultérieurement)
extraite de Warhafftige Zeitung von den gottlosen Hexen par Reinhard Lutz (1571)

À Vandoncourt (Doubs), après l’enterrement d’un homme du village, et les assistants étant rentrés chez eux, on vit un chat noir sautant contre les fenêtres de la maison mortuaire et courant de tous côtés. On voulut le chasser, l’animal s’enfuit sur la route pendant quelques pas, puis revint sur ceux qui les poursuivaient et se changea en fantôme blanc qui les poursuivit à leur tour jusqu’à leur rentrée chez eux.

Un homme déguisé en chien entrait sous cette forme dans les écuries et tirait le lait des vaches, qui passait dans son propre seillot (seau à lait), chez lui. Quand on voulait le prendre, il s’échappait toujours. On découvrit, enfin, que, sous sa forme de chien, il ne pouvait sortir que par où il était entré : on garda cet endroit et il y reçut tant de coups qu’il renonça à ses sortilèges.

Vers la fontaine du haut, à Chagey, apparaît un cheval blanc, sans tête, mais dont, malgré cela, on entend grincer les dents. Le cheval blanc apparaît aussi à Chenebier, au pont du Charmois : il est conduit par deux demoiselles et se montre après la tombée de la nuit : on risque malheur si on essaie de l’approcher.

Aux Verrières, jadis, tous les soirs, derrière l’école actuelle, on voyait un mouton blanc ; à la Cornée Loiselot, c’était une chèvre blanche. Bien des gens les virent, mais, par aucun moyen, nul ne put les attraper. À Arcey, des jeunes gens causaient un soir des choses effrayantes qu’on voyait parfois la nuit. L’un d’eux déclara : « Je n’ai peur de rien et je n’aurai jamais peur ». Un de ses camarades lui dit : « Si tu veux me suivre, je te ferai voir quelque chose et tu auras peur ». La veillée finie, alors que le premier revenait vers sa maison, un mouton se présenta devant lui. Il voulut l’éviter, mais le mouton se remit plusieurs fois dans son chemin, si bien qu’à la fin le jeune homme dit : « Te me seû toedje ? » (Tu me suis toujours ?) et donna un coup de sabot dans le ventre de l’animal. Le mouton fit : « Oye vouais ! » et disparut. Le jeune homme rentra chez lui effrayé, comme il le dit plus tard.

Au mont Vaudois, la Truie du Diairu apparaît la nuit, au-dessus de Luze. À Montbéliard, au pied du château, se montre une truie qu’on n’a jamais pu aborder : on l’entend, dans l’obscurité, grogner en appelant ses petits.

Maléfices et envoûtements. Moyens de s’en préserver
On dit qu’il faut éviter de laver le linge en compagnie d’autres laveuses, dont certaines peuvent avoir le mauvais œil, ce qui brûlerait les diverses pièces d’habillement sur lesquelles elles jetteraient le regard.

Une femme de Chagey passait pour sorcière. Un jour, s’étant prise de querelle avec un nommé Pierre, elle lui dit : « Tu t’en repentiras ». Des mois se passèrent sans que l’homme s’aperçût de rien ; mais un soir, passant devant la maison de cette femme, elle l’appela et lui offrit un morceau de gâteau ; c’était la veille de la fête de Chagey. L’homme le mangea et, en s’en allant, remarqua que la femme faisait derrière lui des signes qu’il ne put comprendre. Rentré chez lui, il fut atteint de délire et ne guérit qu’après plusieurs jours ; il en garda la bouche tordue jusqu’à sa mort.

Le mauvais sort peut s’appliquer à des choses insignifiantes : une femme de Belverne se rendait au village, lorsque la bride de cuir de son sabot se détacha. Elle entra chez une voisine qu’on nommait la maman Suzette et lui dit : « Appelez votre garçon pour reclouer mon sabot ». Le garçon prit son marteau et ses clous, mais il ne put venir à bout de ce petit travail : les clous se collaient l’un à l’autre et s’il réussissait à en prendre un séparément, il glissait sur le cuir sans pouvoir être planté droit. La femme finit par s’en retourner chez elle, voyant bien que quelqu’un s’opposait à ce qu’elle sortît ce jour-là.

Une femme d’Exincourt (Doubs) préservait ses récoltes en allant se placer sous un très gros arbre, où elle disait : « Sainte Vierge Marie, sauvez notre butin (nos biens) des orages, de la grêle et de tous les mauvais temps ; faites-les tomber sur nos voisins si vous voulez, mais que les nôtres soient sauvés (saufs) ».

Dans le canton d’Héricourt, un garçon était amoureux d’une fille beaucoup plus âgée que lui et, de plus, sans fortune, ce qui désolait sa parenté. Sa tante, voyant que douceur ni reproches n’y faisaient rien, alla trouver un anabaptiste à qui elle dit sa peine, car, étant veuve et sans enfant, c’était un chagrin pour elle de penser que son héritage irait à cette fille, qui avait sûrement jeté un sort à son neveu. L’anabaptiste dit : « Dès votre rentrée chez vous, vous tâcherez d’avoir un bonnet de nuit de celle qui a ensorcelé le garçon ; vous en ferez des morceaux aussi fins que possible, en vous servant de ciseaux neufs ; vous ferez griller ces bouts d’étoffe jusqu’à ce qu’ils soient bien roussis, dans du beurre frais et vous les mettrez dans un beignet de cerises noires, que vous ferez manger sans boire au jeune homme : il faut que ce soit le matin, à jeun et en nouvelle lune ». La tante fit ainsi et, le mois suivant, le garçon épousa une autre fille.

Sorcières dérobant du lait au moyen d'un sortilège. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de Tugendspiegel par Hans Vintler (1486)

Sorcières dérobant du lait au moyen d’un sortilège. Gravure (colorisée ultérieurement)
extraite de Tugendspiegel par Hans Vintler (1486)

Quand une vache tarit et qu’on soupçonne d’être traite par une sorcière inconnue, il faut se rendre, en nouvelle lune, à une croisée de chemins, près d’un endroit à haute chasse ou à sorciers : on y fait un grand feu, en ayant sur soi du beurre et du sel, ou du gâteau, qui contient l’un et l’autre. On fait neuf fois le tour du feu de droite à gauche, puis autant de gauche à droite. Ensuite, avec un bâton de coudre, on frappe sur les brandons en disant : « Putain du diable, tu trais ma vache, oui, tu la trais, mais tu ne la trairas plus ». Quand tous les brandons ne donnent plus de flamme, on urine dans les charbons, la face tournée vers le couchant. Si la vache est l’objet d’un sort, la sorcière, qui a reçu tous les coups, est obligée de le lever.

Un homme avait acheté à la foire une vache donnant beaucoup de lait. Elle tarit quelque temps après, malgré la bonne nourriture qu’elle recevait. Son maître se souvint alors qu’un de ses voisins, passant pour sorcier, était entré dans l’étable et qu’il avait touché la vache en disant : « Vire te, raimelle » (Tourne-toi, tachetée). Le maître de la vache se mit alors à la traire à minuit, comme cela se doit quand une bête est « grevée » et le lait revint, mais le sorcier l’apprit et changea le sort, de manière qu’on ne pouvait plus avoir de lait ni jour ni nuit. On consulta un anabaptiste, qui vint voir la vache, la déclara grevée, et se fit enfermer seul avec elle. Il fit ce qui était à faire et sortit. Il fit donner à la bête du regain et prévint de ne rien donner à celui qui viendrait emprunter quelque chose et de ne pas lui parler. Le même jour, le sorcier vint pour demander à emprunter un trident : on le laissa parler sans lui répondre et sans rien lui donner. Il finit par se retirer et la vache recommença à donner du lait comme auparavant.

Quand on emploie des œufs dans une bouillie ou un beignet destiné à combattre le mauvais sort, il faut qu’ils aient été pondus par une poule noire.

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