LA FRANCE PITTORESQUE
Il vaut mieux laisser son enfant
morveux que de lui arracher le nez
(D’après « Parémiographe français-allemand ou Dictionnaire des métaphores
et de tous proverbes français adaptés et sanctionnés
par l’Académie française » (par Jacques Lendroy), paru en 1820)
Publié le vendredi 15 novembre 2019, par Redaction
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Il vaut mieux tolérer un petit mal, que de se servir d’un remède violent qui pourrait donner lieu à un plus grand inconvénient
 

Cet adage nous vient d’une réponse fort adroite que fit un jour à Louis XIII, le marquis et futur duc Gaston-Jean-Baptiste de Roquelaure (1617-1683), au sujet de l’anecdote suivante. En 1609, il n’y avait encore point de réverbères à Paris, mais beaucoup de boues, très peu de carrosses, et quantité de voleurs, ce qui rendait la fréquentation des spectacles très gênante et souvent dangereuse. Pour y obvier, la police avait donné une ordonnance en novembre 1609 portant que, depuis la Saint-Martin (11 novembre) jusqu’au 15 février, les salles de spectacle de l’hôtel de Bourgogne et du Marais ouvriraient leurs portes à une heure de l’après-midi, et qu’à deux heures précises, qu’il y ait du monde ou non, les acteurs commenceraient, et termineraient à quatre heures et demie.

Ce Gaston était fils d’Antoine de Roquelaure (1544-1625), maréchal de France — ayant reçu ce titre de Louis XIII en 1614 —, capitaine aussi recommandable par sa bravoure vraiment héroïque, que par son parfait dévouement aux intérêts de son roi. Autant ce père était doux et tranquille, autant son fils était espiègle et vrai lutin.

Gaston-Jean-Baptiste Roquelaure. Gravure publiée dans Le Momus français, ou les Aventures divertissantes du duc de Roquelaure, suivant les mémoires que l'auteur a trouvées dans le cabinet de M. le maréchal d'H..., édition de 1808

Gaston-Jean-Baptiste Roquelaure. Gravure publiée dans Le Momus français,
ou les Aventures divertissantes du duc de Roquelaure, suivant les mémoires que l’auteur
a trouvées dans le cabinet de M. le maréchal d’H...
, édition de 1808

Quoique jeune encore, il était si célèbre par ses saillies, sa causticité et son esprit, que le roi, pour se distraire dans sa solitude, le faisait souvent venir, pour passer avec lui un quart d’heure agréable. Le duc, son père, n’avait épargné ni privations, ni punitions ni emprisonnement même pour le corriger, mais il n’avait jamais pu y parvenir. Enfin il lui interdit les spectacles de nuit, et ne lui permit ceux de jour qu’une fois par semaine.

Aussi sut-il très bien s’en dédommager ; car il n’y allait pas de fois sans jouer quelque tour de sa façon. Un jour, il se comporta d’une manière indécente envers une des maîtresses du roi, qu’elle en porta sur le champ des plaintes à Sa Majesté. Louis XIII, indigné de la conduite du jeune Roquelaure, le fit appeler sur l’instant, l’accabla des reproches les plus mordants et lui dit entre autre : « Je ne conçois pas comment un père respectable comme le tien, puisse laisser vivre un morveux comme toi. — Sire, reprit Roquelaure, ce bon père sachant que j’ai à cœur de rendre à VOtre Majesté des services aussi importants que lui, pense qu’il vaut mieux laisser son enfant morveux que de lui arracher le nez. »

Louis XIII. Estampe du temps

Louis XIII. Estampe du temps

Le roi fut si charmé de cette réponse, qu’il lui pardonna, le plaça aussitôt dans un régiment, et lui donna un mentor pour surveiller sa conduite, et lui en rendre un compte fidèle et exact. De là vint la coutume que chaque jeune officier français avait, encore avant la Révolution, un officier pour mentor, auquel il devait soumission et obéissance, sous peine d’être renvoyé.

De cette anecdote vint notre proverbe. Ce Gaston de Roquelaure fut le père d’Antoine-Gaston de Roquelaure (1656-1738), qui joua un si grand rôle à la Cour de Louis XIV et qui enrichit la chronique scandaleuse de tant d’histoires galantes. Cette maison fut éteinte par sa mort survenue le 6 mai 1738.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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