LA FRANCE PITTORESQUE
4 novembre 1429 : Jeanne d’Arc
est victorieuse au siège de
Saint-Pierre-le-Moûtier (Nièvre)
(D’après « Histoire complète de la bienheureuse Jeanne d’Arc »
(par Philippe-Hector Dunand) Tome 2 édition de 1912)
Publié le samedi 4 novembre 2023, par Redaction
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Blessée deux mois plus tôt aux côtés du roi de France lors du siège de Paris qui s’était soldé par un échec, Jeanne d’Arc se voit confier par Charles VII, qui toutefois ne participe cette fois pas à l’opération, le commandement d’une expédition visant à reprendre des villes de Haute-Loire aux Anglo-Bourguignons : mise en difficulté, elle refuse de se retirer et rend miraculeusement le courage à ses hommes qui reviennent à la charge avec furie...
 

Le 8 septembre 1429, Jeanne d’Arc avait été blessée lors du siège de Paris, les habitants pensant que les Armagnacs voulaient détruire la ville, et le roi Charles VII avait ordonné à la Pucelle de se replier sur l’abbaye de Saint-Denis, sonnant la retraite quelques heures plus tard. En renonçant ainsi, le roi de France donnait au duc de Bedford un avantage que celui-ci, après la levée du siège d’Orléans (8 mai), la défaite de Patay (12 juin) et le sacre de Reims (17 juillet), n’espérait guère ; de plus, il laissait les populations de l’Île-de-France et de la Picardie, qui s’étaient rangées sous son obéissance, exposées à de cruelles représailles.

Dès que les troupes royales se furent éloignées de Paris, les Anglo-Bourguignons se disposèrent à prendre leur revanche. La première place menacée fut Saint-Denis. La garnison, trop peu nombreuse pour la défendre, l’abandonna et se retira à Senlis. Les Anglo-Bourguignons, à celte nouvelle, accourent, entrent dans la ville, la pillent et emportent l’armure que Jeanne d’Arc avait déposée en offrande devant les reliques du saint martyr. Le chancelier du roi d’Angleterre, Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, fut tout fier de présenter ce trophée au Régent, « sans, pour ce, faire quelque récompense à laditte église : (ce) qui est pur sacrilège et manifeste » rapporte Jean Chartier dans son Procès de Jeanne d’Arc.

Jeanne d'Arc blessée lors du siège de Paris. Chromolithographie publicitaire de la fin du XIXe siècle

Jeanne d’Arc blessée lors du siège de Paris. Chromolithographie publicitaire de la fin du XIXe siècle

Après Saint-Denis, ce sont les campagnes et les villes voisines que les Anglo-Bourguignons ravagent et dépouillent. Les marches de l’Île-de-France et du Beauvaisis eurent particulièrement à souffrir. Français et Anglais couraient les uns sur les autres : « à l’occasion desquelles courses les villages d’alentour se commencèrent à se dépeupler », leurs habitants se retirant dans les bonnes villes, explique Monstrelet.

Le comte de Clermont, se sentant impuissant à empêcher ces maux, renonça à sa lieutenance et se retira dans ses domaines. Charles VII nomma le comte de Vendôme en sa place et envoya le maréchal de Boussac avec un millier d’hommes pour lui venir en aide.

De Rouen, le duc de Bedford s’était hâté de retourner dans la capitale, dès que Charles et la Pucelle furent en route vers la Loire. Le 18 septembre, qui était un dimanche, il venait faire ses dévotions à Notre-Dame et déposait sur le grand autel l’offrande d’une pièce d’or (Journal d’un bourgeois de Paris). Pour le rejoindre, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, partit de Hesdin, le 20 septembre, avec sa sœur la duchesse de Bedford, et, traversant les territoires occupés par les troupes françaises, se dirigea sur Paris. Quand il passa sous les murs de Senlis, Regnault de Chartres, que le roi Charles VII avait chargé de présider le Conseil royal des pays soumis récemment à son obéissance, et qui avait en outre la mission spéciale de traiter avec les envoyés de Philippe le Bon, sortit de la ville et présenta au duc ses hommages.

Le 30 septembre, Philippe entrait solennellement dans Paris aux cris de : Noël, Noël, et à la grande joie des habitants. Le 6 octobre, le cardinal de Winchester rejoignait son neveu à Paris, « à belle compaignie » (Journal d’un bourgeois de Paris). Les jours qui suivirent furent employés à tenir de nombreux conseils. Le résultat de ces conseils, conformément au désir de l’Université, fut que Bedford pria le duc de Bourgogne de vouloir bien accepter le titre de lieutenant général du roi d’Angleterre et se charger de garder la capitale. Philippe y ayant consenti, l’acte officiel en fut rédigé et signé le 13 octobre, et l’on proclama dans Paris le nouvel état de choses, ainsi que les trêves conclues entre les représentants du duc de Bourgogne et ceux de Charles VII.

L’empressement du duc Philippe à souscrire aux offres du Régent montra une fois de plus quel prix il convenait d’attacher à ses promesses, et combien Jeanne voyait juste, quand elle refusait de se fier aux espérances de paix que les conseillers du roi faisaient briller à ses yeux. Le duc de Bedford et le duc de Bourgogne « firent leurs alliances plus fort que devant n’avaient fait à rencontre du roi. Si conclurent et délibérèrent les dessus dits ducs que, vers Pâques, à la saison nouvelle, se montreraient sus, chacun à tout grande puissance, pour reconquérir et gagner les villes qui s’étaient retournées en la marche de France et sur la rivière d’Oise » (Chronique de Monstrelet).

Jeanne d'Arc. Chromolithographie du XIXe siècle

Jeanne d’Arc. Chromolithographie du XIXe siècle

Philippe n’était pas encore disposé, on le voit, à ouvrir au roi Charles les portes de Paris. Quelques jours après, Bedford, qui avait atteint le but de son voyage, retournait en Normandie. Philippe le Bon, de son côté, regagnait la Flandre, après avoir nommé le sire de l’Isle-Adam, gouverneur de Paris (17 octobre). Le duc de Bourgogne avait à préparer son troisième mariage avec la princesse Isabelle, fille du roi de Portugal.

Depuis le départ de Saint-Denis, Jeanne d’Arc était demeurée en la compagnie du roi Charles VII. À l’arrivée à Gien, l’armée fut licenciée. Les ressources pécuniaires faisaient défaut. Pour le moment, il ne pouvait être question d’une campagne sérieuse. Charles VII et ses conseillers ne paraissent pas y avoir songé davantage pour un avenir prochain. De fait, il s’écoula un temps assez long avant que le jeune roi entreprît nulle chose à faire sur ses ennemis où il voulût être en personne », écrit le chroniqueur Perceval de Cagny. Lorsque, peu après, on fit le siège des places de la Haute-Loire, Charles aurait pu encourager les troupes par sa présence ; il n’en fit rien, au déplaisir très grand de la Pucelle qui était « très marrie de ce qu’il n’entreprenoit pas à conquester de ses places en ses ennemis ».

Le duc d’Alençon profita des loisirs que lui procurait le licenciement de l’armée pour aller passer quelques jours auprès de sa femme, en sa vicomté de Beaumont-sur-Oise. L’occasion lui paraissant favorable pour combattre les Anglais en Normandie et dans le Maine, il rassembla des gens de guerre. Le repos était à charge à la Pucelle : son beau duc ne l’ignorait pas ; il savait qu’il lui serait agréable de guerroyer avec lui contre l’ennemi héréditaire. En conséquence, il présenta au roi une requête à l’effet de permettre à Jeanne de le suivre en cette expédition. Charles, livré à lui-même, y eut peut-être consenti ; mais Regnault de Chartres, La Trémoille et le chevalier de Gaucourt l’en détournèrent, explique Perceval de Cagny.

On fit valoir sans doute ces considérations, qu’il ne convenait pas que la jeune Lorraine s’éloignât de Charles VII, que prochainement on aurait besoin de son concours pour réduire à l’obéissance les villes que les Bourguignons occupaient du côté du Bourbonnais. Le duc d’Alençon partit sans avoir rien obtenu, et Jeanne, dont il n’avait cessé d’être l’admirateur le plus dévoué, ne le revit plus.

Le vingt-deuxième jour du mois de septembre, la Pucelle écrivait, de Gien, aux « gens du clergé, bourgeois et habitants de la ville de Troyes des lettres par lesquelles elle se recommandait à eux, leur faisait sçavoir de ses nouvelles, et qu’elle avait été blessée devant Paris ». Ces lettres furent lues le dimanche 2 octobre en la salle royale de Troyes, par l’ordonnance de Monseigneur le bailli. On y lut également « certaines lettres envoiées par le roi à messieurs du clergé, bourgeois et habitants ». Comme les lettres de Jeanne, ces lettres de Charles VII avaient été écrites de Gien, et étaient datées du 23 septembre.

Tour Maumy. Fortifications de 1421 à Saint-Pierre-le-Moûtier

Tour Maumy. Fortifications de 1421 à Saint-Pierre-le-Moûtier

Dans les derniers jours de septembre ou dans les premiers d’octobre, le roi de France quitta Gien pour aller reprendre, dans sa chère ville de Bourges, cette vie de nonchaloir qui lui plaisait tant. La jeune reine vint au-devant de sou époux jusqu’à Selles en Berry. Dès que Jeanne en apprit la nouvelle, de Bourges où elle était, elle se porta à sa rencontre en la compagnie de la dame de Bouligny, son hôtesse, et rendit ses devoirs à sa gracieuse souveraine. C’est chez cette dame, née Marguerite La Touroulde et dont le mari était conseiller du roi au département des finances, que le sire d’Albret avait conduit la Pucelle. Jeanne passa chez eux environ trois semaines.

Une des choses qui étonnaient le plus Marguerite était l’adresse de Jeanne à monter à cheval et à manier la lance. Sans doute, la jeune guerrière se livrait à ces exercices afin d’être prête, quand il le faudrait, à se remettre en campagne. Comment son hôtesse n’aurait-elle pas été frappée dune habileté qui déconcertait les hommes d’armes eux-mêmes ? Pendant ce séjour, le Conseil royal, assemblé à Mehun-sur-Yèvre, décida qu’on essaierait de recouvrer les places de la Haute-Loire qu’occupaient les Bourguignons, et principalement la ville de La Charité. On y avait songé après la victoire de Patay ; mais on y avait renoncé provisoirement, afin de ne pas retarder la marche sur Reims.

Il fut résolu que la première place assiégée serait Saint-Pierre-le-Moûtier. C’est La Trémoille qui insista sur l’opportunité de cette petite campagne. Le favori de Charles VII voulait tenir la Pucelle loin de l’Île-de-France et lui donner de la besogne ailleurs qu’en Normandie, tout en la gardant près de son roi. Charles avisa Jeanne de la décision du Conseil. Pour lui faire honneur, il lui donna le commandement de l’expédition ; le sire d’Albret, frère utérin de La Trémoille, lui fut adjoint à titre de lieutenant.

La jeune guerrière rassembla aussitôt à Bourges les troupes indispensables. Dès les premiers jours de novembre, elle crut pouvoir exécuter le plan convenu. Cependant, remarque le chroniqueur Berri, cette campagne était commencée « à bien peu de gens ». On se porta, suivant ce qui avait été arrêté, devant Saint-Pierre-le-Moûtier et l’on ouvrit le siège. Quand le moment parut favorable, Jeanne commanda l’assaut.

Malgré le courage des Français, les assiégés les repoussèrent. Tel était le « grand nombre de gens d’armes estant dans ladite ville, la grande force d’icelle, et aussi la grant résistance que ceux du dedans faisaient, que furent contraints et forcés lesdits Français » de battre en retraite. Jeanne resta sur le terrain du combat avec un petit nombre de combattants. Son écuyer, le brave d’Aulon, qui avait été blessé lui-même d’un trait au talon, la voyant isolée de la sorte, lui demanda pourquoi elle ne se retirait pas comme les autres.


Statue de Jeanne d’Arc à Saint-Pierre-le-Moûtier

« Vous me croyez seule, répond Jeanne en ôtant son casque. J’ai cinquante mille de mes gens avec moi, et je ne me retirerai pas d’ici que la place ne soit prise. » Or Jean d’Aulon observe que « tout au plus avait-elle cinq ou six hommes avec elle. » Et le brave écuyer insistait derechef afin qu’elle se retirât. Mais la Pucelle ne veut point entendre de conseil de ce genre. « Faites-moi, dit-elle, apporter des fagots, que nous comblions les fossés et approchions des murailles. »

Ce qui n’est pas moins surprenant que cette assistance invisible des milices célestes, objet de foi pour la Pucelle, c’est la confiance qu’elle inspira dans ce moment même aux assiégeants. Les appelant de nouveau à l’assaut : « Aux claies ! aux fagots, tout le monde ! s’écrie-t-elle. Faisons un pont sur les fossés. » Les hommes d’armes accourent, le pont est établi, les échelles s’appliquent contre les remparts, toute résistance devient inutile, et la ville est emportée.

À la faveur du désordre inévitable qui suit tout assaut, les Français victorieux s’apprêtaient à piller l’église et à enlever tous les objets de prix. Jeanne, survenant, s’y opposa avec la plus grande énergie ; elle fit si bien que l’église, avec tout ce qu’elle contenait, fut respectée.

La soumission de trois ou quatre petites places du voisinage qui obéissaient au duc de Bourgogne suivit la prise de Saint-Pierre-le-Moûtier. Restait à venir à bout de La Charité-sur-Loire. Avant d’en entreprendre le siège, la Pucelle, voyant que la cour et les ministres de Charles ne se mettaient point en peine de lui procurer les secours dont elle avait besoin, fit appel au patriotisme des villes fidèles. Le 7 novembre, de concert avec le sire d’Albret, elle écrivait aux habitants de Clermont-Ferrand, le 9 à ceux de Riom, afin qu’ils lui vinssent en aide.

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