LA FRANCE PITTORESQUE
11 août 1911 : mort du pastelliste
Charles-Louis Gratia
(D’après « Revue lorraine illustrée » paru en 1908 et « Bulletin des sociétés
artistiques de l’Est » paru en 1911)
Publié le mardi 10 août 2021, par Redaction
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Peintre quasi attitré de la cour avant la révolution de 1848 et côtoyant les maîtres les plus illustres, Charles Gratia est contraint de gagner l’Angleterre en 1850 où il doit travailler chez un marchand de couleurs, y broyant des poudres pour nourrir sa famille, avant de connaître un éclatant succès en devenant le portraitiste de souverains et de hauts personnages, très physionomiste et fin scrutateur, sachant lire dans les replis les plus cachés de ses modèles
 

Charles-Louis Gratia est né à Rambervillers (Vosges) le 9 novembre 1815. Son père, ancien marin, ne pouvant se faire à la vie de province, vint avec ses fils à Paris, où il obtint la place d’argentier à la Chambre des pairs, dans ce palais du Luxembourg qu’il habita plusieurs années. Le petit Louis avait alors neuf ans. Il en avait treize, lorsque le peintre Henri de Caisne (1799-1852), qui avait eu l’occasion de remarquer ses dispositions pour le dessin, le prit à son atelier. L’enfant y fit de très rapides progrès, si rapides même que son maître se plaisait à dire et répéter à ses visiteurs : « Il me dépassera. »

Les débuts de Gratia furent difficiles. Il couchait dans un grenier mal clos où, les jours d’orage, il s’abritait d’un vieux parapluie, et lorsqu’il pouvait s’offrir pour un sou le légendaire paquet de couenne qu’il faisait rissoler, il s’estimait heureux. Il eut souvent à souffrir de la faim et du froid. C’est qu’il vivait de quelques très rares portraits, faits à tout prix.

Charles Gratia. Autoportrait (1896)

Charles Gratia. Autoportrait (1896)

Pratiquant la peinture à l’huile et le pastel, il se spécialisa surtout dans ce dernier genre, où il devait s’illustrer, car le pastelliste ne tarda pas à jouir d’une grande réputation tant en France qu’en Angleterre. C’est au Salon de 1837, cependant qu’il avait vingt-deux ans, que Gratia exposa pour la première fois. Son portrait au pastel de Prosper Gothi, artiste dramatique, lui valut des éloges. Il exposa successivement Mayer Schmerb, peinture à l’huile, 1840 ; Esther de Beauregard, 1841 ; Élisa de Borsgoutiers, 1844 ; les portraits du Comte d’Eu et de la Comtesse de Solms, née Laetitia Bonaparte. C’est avec son portrait en pied de la Borsgoutiers, fait au pastel sur gros papier à pain de sucre, qu’il obtint en 1844 sa première récompense, une médaille de 3e classe. Deux ans après, il méritait une deuxième médaille et son rappel en 1861 le mettait hors concours.

Charles Gratia se maria à vingt ans et ce fut un geste qu’il déplora bien souvent, car il a toujours prétendu que ce mariage entrava sa carrière artistique. Lorsqu’il dut faire son service militaire, il alla trouver le ministre de la Guerre, à qui il exposa sa situation de jeune père de famille, et obtint d’être simplement incorporé dans la garde nationale, où il fut grenadier et porta le haut bonnet à poils. Mêlé à des émeutes, sans cependant avoir jamais tiré un coup de fusil, il reçut à bout portant plusieurs charges dont les traces indélébiles des grains de poudre sont restées cachées par sa longue barbe.

Il fut l’ami et le camarade de beaucoup d’hommes illustres de son époque. Il connut Victor Hugo, Lamartine, Alexandre Dumas, Félix Pyat. Il fut l’ami de Meissonier, Daubigny, Steinheil, Geoffroy de Chaume, etc. Le comédien Frédérick Lemaitre disait : « Je n’ai que deux amis, Gratia et mon médecin. » Il connut enfant le général comte de Montaigu, qu’il retrouva à Nancy où il était général de division et qui, de Nancy, venait bien souvent manger la soupe aux choux dans la petite maison de Lunéville.

La situation de Gratia commençait à se faire bonne quand survint la révolution de 1848. Peut-être un peu compromis par ses fréquentations, à coup sûr très éprouvé, il dut quitter la France et gagner l’Angleterre avec son ami Frédérick Lemaitre en 1850. À cette époque, le pastel n’était guère pratiqué, surtout en Angleterre où Gratia se trouva seul à utiliser ce procédé. Il s’y voua d’une façon presque absolue et c’est pour cette unique raison qu’il put trouver du travail, car l’Anglais est protectionniste en peinture. Et encore ce ne fut pas sans luttes qu’il arriva à se faire connaître.

Vigoureusement trempé, l’artiste n’hésita pas, en attendant la clientèle et pour nourrir sa petite famille (il avait trois filles), à accepter du travail chez le célèbre fabricant de couleurs Newman, où il broyait des poudres. Et c’est l’œil souvent humide que son patron le suivait dans cette besogne de manœuvre, car il ne pouvait se faire à l’idée qu’un tel artiste dût être contraint à un tel labeur. Newman, profondément apitoyé, s’employa à le sortir de l’ornière. Il exposa dans ses belles vitrines quelques-unes de ses oeuvres et présenta l’artiste à quelques personnages qui s’y intéressèrent vivement, l’aidèrent de leurs conseils et de leurs deniers.

Pour s’imposer, il fallait s’installer luxueusement, ne pas laisser croire au besoin d’argent et maintenir des prix très élevés. On lui avança les fonds nécessaires et il eut pour maison d’habitation et atelier le palais du cardinal Wiesman dans Fitzroy-Square, à côté de Regent’s Park. C’est là qu’il reçut les plus grands personnages d’Angleterre. C’est là qu’il fit une brillante série de portraits, entre autres ceux de la Comtesse de Woldereyne ; John Blackwood ; le Colonel Donald ; le Général Stewart ; les grands marins Belcker et Aumanay, qui allèrent tous deux à la recherche de Franklin ; Miss Carrington ; Lord Follett ; Lord Willoughby, premier chambellan de la reine, etc.

C’est à la vue de ce dernier portrait que la reine Victoria exprima son vif regret de ne pouvoir se faire peindre par le pastelliste, qui avait le grand tort d’être étranger. Ce que voyant, lord Willoughby proposa que Sa Majesté vînt poser dans une petite maison qu’il possédait auprès du palais, maison qui avait appartenu à Cromwell et qui, extérieurement, avait l’apparence d’une masure. Ce fut accepté, mais à la condition que l’artiste n’exposerait pas ce portrait et n’en dirait rien. La reine arrivait par une petite porte, souvent accompagnée du Prince consort.

La comtesse de Connaught, mère de la reine, voulut aussi avoir son portrait au pastel. On prit jour pour la première séance et, ce jour-là même, la comtesse tomba malade du mal dont elle mourut peu de temps après. Le portrait de la reine se trouvait chez l’encadreur Nosotti. Il n’était pas payé. On ne le réclama point. Le désarroi causé par cette mort le fit oublier. Charles Gratia n’en dit rien et le conserva, pensant bien qu’on le lui réclamerait dans la suite. Il n’en fut rien. On n’en parla jamais. Ce beau portrait, de forme ovale, dont le cadre porte au fronton une couronne royale, resta chez le maître jusqu’à la fin de sa vie.

La reine Victoria. Pastel de Charles Gratia

La reine Victoria. Pastel de Charles Gratia

Outre ses portraits, Charles Gratia exécuta, pendant les dix-sept années de son séjour à Londres, une quantité de pastels d’un goût exquis, mais dont l’iconographie serait fort difficile à établir. Les catalogues d’expositions cependant peuvent nous aider un peu, au moins pour ce qu’il envoya aux Salons de Paris pendant cette période de 1850 à 1867, époque de son retour en France. Et ce qui nous donne, par surcroît, une idée de ce qu’était l’art de Gratia à cette époque, c’est le retour de vingt-cinq ou trente pastels qui étaient restés chez Mills, l’associé et le successeur de Newman, jusqu’en 1900. Comme il y avait là des frais d’emballage et de port assez considérables et que l’appartement de Gratia à Paris était un peu petit pour recevoir tout cela, son excellent ami Montigny, de Nancy, se chargea de tout. Pour nous en tenir simplement aux pièces exposées aux Salons parisiens, citons de cette époque : l’Homme d’armes ; le Corsaire turc ; Ecce homo ; la Jeune Liseuse ; Lady Norreys ; le naturaliste Verreaux et plusieurs autres grands portraits en pied.

C’est dans son atelier de Fitzroy-Square que Charles Blanc, en admiration devant la Liseuse, a dit que Gratia était considérablement en avance sur tous les pastellistes anciens et modernes. Et c’est cette Liseuse que le ministère des Beaux-arts acquit dans la suite et qui se retrouva au palais de l’Élysée. C’est aussi pendant son séjour en Angleterre que Charles Gratia écrivit son excellent Traité de la peinture au pastel, qu’il ne devait donner à l’impression que beaucoup plus tard.

Les succès obtenus par Gratia en Angleterre n’allèrent pas, hélas ! sans de grands tourments, sans de grandes peines. S’il avait pu vaincre et surmonter les difficultés premières, il n’en avait pas été de même dans son ménage, où il ne trouvait que motifs de chagrin et de découragement. Un demi-remède se présentait bien à lui, mais c’était un trop gros sacrifice et il temporisait. Ce n’est qu’en 1867 qu’il eut le courage et l’énergie de quitter Londres, qui lui avait été si hospitalière et où il avait entrevu le plus brillant avenir. Il emmena sa femme et ses deux filles et vint se réfugier à Lunéville, où il acheta une petite maison nouvellement construite par le curé Trouillet. Ce fut un recommencement de tout.

Et ce qui prouva bien que ce n’était là qu’un demi-remède, c’est que, à peine installé, sa femme le quittait, abandonnant mari et enfants. Quelques mois après, l’aînée des filles, âgée de dix-huit ans, mourait de chagrin. C’est du moins ce que pensa le pauvre père. Charles Gratia, fort heureusement soutenu par une extraordinaire force morale, se remit vite à l’œuvre et, dans la série de ses envois aux Salons, nous pouvons relever les portraits du Comte et de la Comtesse de Bourcier ; de la Baronne de Bouvet ; de la Famille Gaillard ; de Madame Salomon de Rothschild et de sa fille ; de Madame Achille Fould ; deux portraits de Monseigneur Lavigerie, alors évêque de Nancy, qu’il voulait laisser en souvenirs à sa mère et aux religieuses de l’Assomption, dont il avait fondé l’ordre. Il fit aussi les portraits du Général de Montaigu, du Maréchal et de la Maréchale Bazaine, eux pièces capitales qui furent brûlées pendant la Commune.

En 1881, il exposait les portraits de Monsieur et Madame Demazure ; en 1884, ceux de Monsieur et Madame Montigny ; en 1887, son propre portrait qu’il fit tant de fois à l’huile et au pastel, toujours avec un nouveau charme ; en 1888, Portraits de ma femme et de mon gamin ; en 1890, le Moine chantant, qui fut acheté par Henry Hamel, puis le portrait à l’huile de Madame Vernolle ; en 1891, Madame Savoie, Mademoiselle Schwartz ; en 1892, Madame Montigny, peinture ; en 1893, Madame Cottereau ; en 1894, Madame Husson ; en 1895, Madame Hamel et Paul-Maurice son fils. Et il en exécuta bien d’autres pour l’Alsace, pour les Vosges, pour Nancy, et aussi de ces délicieuses têtes d’étude et de ces tableaux de chevalet que, souvent, la maison Majorelle fit voir dans ses vitrines : plusieurs Homme d’armes ; Jeune Femme jouant avec une perruche ; Bohémienne ; Vendanges de Loulou ; Jeune Fille aux lilas ; de savoureuses natures mortes de fruits. N’oublions pas de noter un Lansquenet, pièce très importante du musée de Strasbourg, brûlée en 1870.

En 1896, enfin, et comme pour couronner son œuvre, Charles Gratia entreprend une de ses pages les plus impressionnantes, son Moine pensant, toujours d’après lui-même. Il avait alors quatre-vingt-un ans et consacra presque une année à le parfaire. La facture en est large, le dessin impeccable, le coloris puissant. Quelle vie intense il a su mettre dans ce regard ! Comme on sent l’homme qui a pensé, vécu, souffert ! Les ombres sont profondes, les lèvres remuent, les chairs vivent, palpitent, tant elles sont justes de ton et tant celui-ci est d’une division savante ! La barbe est d’une étonnante vérité. Ce beau moine, à la robe de laine blanche ornée d’une croix noire sur l’épaule, fut fait dans un petit appartement de l’avenue Laumière, aux Buttes-Chaumont. L’artiste n’avait plus d’atelier.

La Liseuse. Pastel de Charles Gratia (1864)

La Liseuse. Pastel de Charles Gratia (1864)

Après vingt années de séjour à Lunéville, Charles Gratia, attiré par Nancy, sa coquette voisine, y transporta ses pénates en 1887. Il venait de se créer un nouveau ménage. Mais, depuis au moins quinze ans déjà, il y avait un pied-à-terre que lui avait gracieusement offert Gaillard, de la place d’Alliance. C’est là qu’il passait quelquefois des mois entiers et en d’autres temps deux ou plusieurs jours par semaine. Ce n’est qu’après la mort de Gaillard qu’il s’installa définitivement dans cet appartement du faubourg Stanislas dont les fenêtres donnent sur le couvent de l’Assomption. Ce fut là un agréable séjour et une phase de sa vie presque heureuse. Il eut des cours très suivis et il y fut choyé, adulé, apprécié.

C’est en 1870 que l’Académie de Stanislas lui avait décerné sa médaille d’honneur, comme suite à la première médaille qui lui avait été attribuée l’année précédente. L’Association des artistes lorrains se fonda en 1892, et Gratia en fut le premier président. Et voilà qu’en 1893, à soixante-quinze ans, alors qu’il venait de terminer le Moine chantant, Gratia tomba très malade. Dans sa crise, il crut à la persécution, s’imagina que ses compatriotes le jalousaient et interceptaient le travail qui pouvait lui venir. Il en fut affecté. Par surcroît, une mauvaise plaisanterie que lui firent de jeunes artistes vint mettre le comble et il voulut quitter la Lorraine. Les siens l’emmenèrent à Rouen.

Ce départ fut touchant et bien réconfortant pour le vieux maître qui s’expatriait, cherchant ailleurs la paix qu’il n’avait plus et qui est si nécessaire à un homme de cet âge dont la vie n’a été qu’une lutte continuelle. Il fut l’objet de nombreuses manifestations de sympathie et, parmi celles-ci, d’une touchante démarche de la part de ses élèves, qui, en lui offrant en souvenir un bronze d’art, lui dirent en quelques vers émus que cette jeunesse, cette bonne jeunesse savait encore l’apprécier et l’aimer.

Pendant quinze mois qu’il habita la Normandie, il n’eut pas un portrait à faire, il ne vendit pas un tableau et ses petites économies diminuèrent vite. Cependant, Charles Gratia avait deux tout jeunes fils à l’avenir desquels il fallait songer. On revint à Paris. C’est à ce moment que Poincaré, alors ministre des Beaux-arts (1895), fit acheter par l’État la Liseuse, pour laquelle avait posé celle des filles de Charles Gratia morte à dix-huit ans. Le ministre fit verser 2 000 francs à l’artiste en échange de son pastel. Peu après, le musée de Nancy lui acheta pour 1 500 francs le portrait de sa première femme.

À Paris, les frais sont énormes. On ne fut pas toujours au large. Mais Mme Gratia est une vaillante qui, pour faire face aux multiples besoins de son monde, n’hésita pas à se jeter elle-même dans la lutte. Pendant sept ans, elle gère un bureau de placement rue Lamartine. Là non plus, on ne fit pas fortune, mais on vécut. Louis, le fils aîné, devint un brillant musicien, compositeur distingué. Le second, Maurice, chercha sa voie au théâtre.

Charles Gratia fut membre de la Société des artistes français dès son début et, vers 1900 les peintres Léon Bonnat (1833-1922) et Tony Robert-Fleury (1837-1911) lui firent obtenir une petite pension pour services rendus à l’art. Mieux que cela, le conseil d’administration de cette société promit de le recevoir dans sa maison de retraite lorsqu’elle serait terminée, en 1908.

Les critiques d’art les plus éminents, les plus impartiaux décernèrent à Charles Gratia la palme du plus grand mérite et ne craignirent pas de le mettre au niveau des plus grands maîtres du pastel. C’est qu’il ne traitait pas ce genre simplement en délicat, il ne se laissait pas aller aux beautés d’un hasard facile. Chez lui, tout était voulu, prémédité. Grâce à des dessous très chauds et faits de tons qui ont l’air de n’avoir aucun rapport avec la réalité, il arrivait à une puissance d’effet qui était loin d’être commune même parmi les maîtres. Sur ces dessous, il revenait, suivant son chemin, avec des entrecroisés de tons divers se mélangeant dans l’œil en des tonalités aériennes d’une infinie douceur.

C’était à l’aide de cette harmonie chromatique si savante et parfois si audacieuse qu’il savait prêter à la matière cette suavité qui donne la sensation la plus parfaite de l’idéalisme le plus pur. C’était avec cette science profonde des mélanges optiques qu’il savait mener à bien ses merveilleux fonds, qu’il savait envelopper ses modèles d’une mystérieuse lumière, atmosphère douce et discrète. C’était grâce à cette très grande érudition qu’il savait donner la vie et le palpitant à ses chairs.

Charles Gratia connaissait à fond l’art si difficile du portraitiste. Très maître de lui, il pouvait écrire ses découvertes dans des portraits bien vivants, non pas d’une vie quelconque, mais de celle propre au modèle. Tout ce que l’on peut dire sur ce point est creux et vide à côté de la réalité. Il faut voir un portrait signé de Gratia pour en respirer tout le charme.

Le peintre et graveur Adrien Recouvreur (1858-1944) rapporte avoir eu l’honneur et le plaisir de poser devant Gratia en 1895, et fit le récit de la façon de travailler de Charles Gratia : « Dans un dessin des plus sommaires, préparé à la sanguine, où il se contente simplement d’indiquer des distances qu’il vérifie au compas avec la plus scrupuleuse exactitude, il établit des masses au pastel. Ses ombres, dans les chairs, sont préparées au carmin foncé très fondu, afin qu’il ne se mélange pas au travail qu’il superposera dans la suite. Ce sont là des dessous dans lesquels il a soin d’exagérer la vigueur. Ces dessous, il les établit pour les draperies aussi, et toujours avec des tons qui n’ont rien de commun avec la réalité.

Charles Gratia. Photographie de l'agence Rol (1908)

Charles Gratia. Photographie de l’agence Rol (1908)

« Ce point de départ, qui semble être basé sur la fantaisie, est au contraire très voulu, et je puis certifier que rien n’est plus curieux que de voir le mécanisme de la reprise se faisant en larges traits, toujours avec des tons inattendus. Et voilà que ces superpositions vous donnent un aspect immatériel qui s’approche doucement du réel. Cette savante menée des mélanges optiques, qui semble tenir du miracle, relève tout simplement d’une science que le peintre connaît à fond. »

Souvent, on a reproché à Charles Gratia d’avoir, surtout dans ses portraits de femmes, sacrifié la mode au genre un peu démodé du drapé. À cela, il est facile de répondre que l’artiste a voulu éviter à ses modèles la désagréable surprise du ridicule dont se parent les modes lorsque la vogue a cessé.

Ce n’est pas simplement parce que Gratia a souvent drapé ses modèles femmes qu’il nous rappelle l’époque aimable où les bergères étaient des marquises. C’est par bien d’autres points qu’il évoque ce joli temps de galanterie et d’exquise politesse. Mais ce n’est qu’un rappel un peu vague et, quoi qu’on en dise, très modernisé, sinon par l’agencement, du moins par une science moins empirique de la couleur.

Charles Gratia vécu les trois dernières années de sa vie à la maison de retraite des artistes français, située à Montlignon, où il se retira avec son épouse en 1908. Il s’éteignit doucement le 11 août 1911, sans souffrances apparentes, comme une lampe privée d’huile. Deux jours après, sous un soleil de plomb, un maigre convoi s’ébranlait. Quelques amis, ajoutés aux membres de la famille, entouraient les deux fils, deux douzaines en tout, guère plus. Un grand silence agrandissait cette foule. Seul, le bruit du char cahotant sur le chemin et un peu celui d’une voiturette légère poussée à bras d’homme, celle d’un compagnon de retraite paralysé, le statuaire Paris.

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