Habillement des femmes
Le beau vêtement dont nous avons fait honneur au goût des dames du règne de Charles V se conserva, comme costume d’apparat, jusqu’à l’époque de la Renaissance. Voilà pourquoi on le trouve sur presque tous les tombeaux du quinzième siècle. S’autorisant de cette circonstance, les artistes modernes ont représenté les femmes du temps de Charles VI, Charles VII et Louis XI avec cotte, surcot et corset, absolument comme si, pendant cent ans et plus, la mode ne fut pas bougée. En cela, ils se sont trompés.
Le costume avec lequel les dames nobles du quinzième siècle sont représentées sur leur tombeau ne ressemble pas plus à celui qu’elles portaient d’ordinaire, que, par exemple, le costume royal de Charles X ne ressemblait à la mise des hommes sous la Restauration. C’était un habit traditionnel que les femmes de qualité mettaient une ou deux fois dans leur vie, notamment pour la cérémonie de leur mariage. En toute occasion, elles eussent été ridicules de se montrer dans cet accoutrement : aussi le surcot se transmettait de mère en fille. Les dames qui n’avaient pas le moyen d’en posséder un, en louaient aux fripiers. Cela est constaté par les documents.
Dame en houppelande,
de la fin du XIVe siècle
(Willemin, Monuments inédits, t. I) |
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La houppelande fut aussi la pièce fondamentale de la toilette des femmes sous le règne de Charles VI. A la cour, comme à la ville, on vit s’étaler l’ampleur de ce vêtement qui, n’étant pas ouvert sur le devant, comme cela avait lieu pour les hommes, pouvait passer pour une restauration de l’ancien surcot du temps de Philippe le Bel. Il n’y eut guère d’innovation qu’en ce point que la ceinture, qui s’était portée jadis sous le surcot, fut mise par dessus la houppelande.
Ce changement fut accompagné d’un autre : au lieu d’attacher la ceinture au bas des hanches, comme on l’avait fait par le passé, on la posa sous les seins, à une distance ridicule de la taille. On eut ainsi des corsages écourtés dont l’exagération fut rendue encore plus sensible par le contraste des jupes à queue et des manches traînantes. Nous reproduisons un portrait de femme peint sous Charles VI. La personne est accroupie sur ses genoux ; elle tient un faucon sur le poing en signe de noblesse.
Bourgeoise d’environ 1390 |
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La houppelande représentée sur ce dessin paraît être de drap rose sur l’original, et doublée de taffetas blanc. Quant à la robe de dessous ou cotte, elle est de velours vert. La coiffure qu’on voit sur le même portrait est la barrette telle que la portaient les femmes ; c’était une toque très légère, faite d’une espèce de tricot de soie, appelée tripe en raison de sa façon.
Les bourrelets en forme de couronne ou de coeur, les atours bourrés de filasse dont se moquait le poète Eustache Deschamps, continuèrent à jouir de la plus grande faveur après 1400. Leur première tendance avait été de se développer en étendue ; par suite d’un goût nouveau apporté de Flandre, à ce qu’on croit, ils prirent tout d’un coup leur essor en hauteur. Chemin faisant, ils se munirent de cornes et acquirent une ressemblance frappante avec la mitre des grands prêtres hébreux.
Cette mode fit peur à la Sorbonne. « Ignorez-vous, s’écriait l’illustre docteur Nicolas de Clamanges, ignorez-vous que le diable est représenté souvent sous la forme d’une femme cornue ? » C’est peut-être pour diminuer cette ressemblance avec le diable que les femmes ajoutèrent à leur coiffure des appendices en forme d’oreilles. « Les dames, dit un chroniqueur, menoient grands et excessifs estats, et cornes merveilleuses, hautes et larges ; et avoient de chascun costé, au lieu de bourlées, deux grandes oreilles si larges que, quand elles vouloient passer l’huis d’une chambre il falloit qu’elles se tournassent de costé et baissassent. »
Princesse en houppelande
au commencement
du XVe siècle |
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En 1416, la reine Isabelle de Bavière fit rehausser toutes les portes des appartements au château de Vincennes pour limiter la circulation des dames. Elle, toute la première, portait des coiffures d’une hauteur démesurée ; car elle n’était jamais en retard lorsqu’il s’agissait de faire acte d’extravagance, et peu de reines ont été plus asservies qu’elle au joug des bijoutiers et des modistes. C’est cette passion pour la toilette qui a fait peser sur Isabelle le reproche d’avoir corrompu la nation. « On donne le los à la royne Isabeau, femme du roy Charles sixiesme, dit Brantôme, d’avoir apporté en France les pompes et gorgiasetez pour bien habiller superbement et gorgiasement les dames. »
Ce qui était los pour Brantôme a été tourné en crime par les moralistes des temps postérieurs ; mais, en vérité, on ne peut imputer à la femme de Charles VI la faute d’avoir apporté le luxe en France. Loin de là, lorsqu’elle fût amenée petite fille de son duché de Bavière, elle était mise « en habit et arroy trop simple selon l’estat de France » dit Froissart ; et sa tante, la duchesse de Hainaut, ayant honte de la voir dans cet attirail, s’empressa de la faire habiller richement et grandement. On l’avait corrompue avant qu’elle corrompît les autres ; mais il est possible que, trop docile élève, elle ait laissé bien loin derrière elle les dames qui furent ses institutrices.
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