LA FRANCE PITTORESQUE
XVe siècle (Costume militaire au),
sous le règne de Charles VI
(D’après un article paru en 1847)
Publié le dimanche 17 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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En 1390, le fameux Boucicaut, qui n’était encore qu’un jeune homme, Regnaut de Roye, et le sire de Saint-Py, tous trois renommés parmi les plus vaillants chevaliers de France, firent à Saint-Inglevert, près de Calais, ce qu’on appelait alors une entreprise. Ils allèrent camper près de ce village, firent disposer devant leurs tentes une lice propre à la joute, et attendirent que les gentilshommes d’Angleterre et d’Écosse, qu’ils avaient prévenus par lettres, vinssent les provoquer en touchant leurs écussons. L’histoire des moeurs tient de trop près à celle du costume pour que nous ne rapportions pas ici le récit de Froissart sur la première passe d’armes de Saint-Inglevert, récit qui expliquera d’ailleurs notre sujet, emprunté à un manuscrit qu’on peut supposer contemporain du combat.

« A l’entrée du joli mois de mai, dit le vieil historien, furent tout pourvus les trois jeunes chevaliers de France dessus nommés. Et quand ils entendirent que grand foison de chevaliers et d’écuyers étaient issus d’Angleterre et venus à Calais, ils furent tout réjouis. Et le vingt et unième jour dudit mois, sortirent hors de la ville de Calais tous ceux qui voulaient faire armes ou avaient désir et plaisance d’en voir faire ; et chevauchèrent tant que sur la place ils vinrent, et se tinrent tous d’un seul côté. La place où on devait jouter était belle et ample et unie, verte et herbée. Messire Jean de Holland, comte de Huntington, envoya tout premièrement heurter par un sien écuyer à la targe de guerre du seigneur de Saint-Py ; et lui, qui pour rien au monde n’eût refusé, sortit tantôt hors de son pavillon, et prit sa targe et sa lance. Et quand le comte vit qu’il était prêt et qu’il ne demandait que la joute, il éperonna son cheval de grande volonté, et Saint-Py aussi bien le sien.

« Si abaissèrent leurs lances et prirent leur visée l’un contre l’autre ; mais à l’entrer dans le champ, les chevaux croisèrent ; et toutefois ils s’atteignirent ; mais par la croisure qui fut de travers, le comte fut desheaumé. Si retourna vers ses gens, et bientôt il se fit renheaumer, et prit sa lance et le sire de Saint-Py la sienne ; et éperonnèrent les chevaux, et s’encontrèrent de pleines lances, et se frappèrent sur les targes, dur et roide, et furent sur le point de porter l’un et l’autre à terre ; mais ils sanglèrent leurs chevaux de leurs jambes, et bien se tinrent ; et retournèrent chacun à son côté ; et se rafraîchirent un petit, et prirent vent et haleine.

Passe d'armes. Miniature d'un manuscrit, exécutée vers 1390

Passe d’armes. Miniature d’un manuscrit,
exécutée vers 1390

« Messire Jean de Holland, qui grande affection avait de faire honorablement ses armes, reprit sa lance et serra sa targe contre lui, et éperonna son cheval ; et quand le sire de Saint-Py le vit venir, il ne refusa pas ; mils il s’en vint à l’encontre de lui, au plus droit que oncques il put. Si s’atteignirent les deux chevaliers de leurs lances sur les heaumes d’acier, si dur et si roide que les étincelles toutes rouges en volèrent. De cette atteinte fut le sire de Saint-Py desheaumé. Et passèrent outre les deux chevaliers bien frisquement, et retourna chacun à son but.

« Cette joute fut grandement prisée ; et disaient Français et Anglais que les chevaliers avaient très bien jouté sans eux épargner ni porter dommage. Encore derechef requit le comte de Huntington à courir une lance pour l’amour de sa dame ; mais on lui refusa. »

Ce récit ne contient rien que nos lecteurs ne soient en état de comprendre. Les seuls mots desheaumer et renheaumer qui ne sont plus de la langue, s’expliquent d’eux-mêmes après ce que nous avons dit du heaume comme coiffure militaire des règnes précédents. Précisément notre gravure représente un chevalier desheaumé que son écuyer renheaume, tandis qu’un varlet emporte sa lance qui lui était sans doute tombée de la main. Cette lance est une lance de paix, ainsi que toutes celles dont sont armés les tenants de la joute. Elle est munie, à la poignée, d’une rondelle, et, à l’extrémité supérieure, d’un fer ou virole en forme de tulipe.

Comme les passes d’armes s’exécutaient en vertu de certaines conventions, que, par exemple, le nombre des courses et la nature des armes étaient réglés par le prospectus même de l’entreprise, là, aussi bien qu’aux tournois, il y avait un juge pour veiller à ce qu’on ne sortît pas des termes du programme. C’est par le juge que fut modérée l’ardeur du comte de Huntington à Saint-Inglevert, lorsqu’il voulait courir une quatrième lance en sus des trois convenues. Le juge est représenté dans notre gravure occupant un tertre au-dessus de l’arène. Il fait lire par un héraut les conditions de la joute, écrites sur une longue pancarte. De l’autre côté, on voit le hourt, c’est-à-dire la tribune des dames. Grâce à l’armure avec laquelle y sont figurés les combattants, cette gravure offre le plus ancien exemple de cuirasses qui soit parvenu jusqu’à nous.

La forme de la cuirasse moderne ne semble-t-elle pas donnée par celle du corps lui-même ? Pourtant l’Antiquité ne la connut pas, et le Moyen Age n’y arriva qu’après des tâtonnements sans nombre. La première idée fut, comme on le voit ici, un corselet d’acier descendant tout d’une pièce jusqu’au sternum, et formé, depuis le sternum jusqu’au bas des hanches, d’un assemblage de cercles, également d’acier, cloués les uns sur les autres de manière à jouer comme les articulations d’une queue d’écrevisse. La gorgière de mailles par en haut, un petit jupon de même tissu par en bas, complétaient le système défensif du tronc.

Le perfectionnement consista à emboîter dans une seule pièce tout le devant du buste depuis les clavicules jusqu’à la ceinture. Les cercles articulés, qu’on appelait faltes ou faudes, ainsi que les jupes de mailles, restèrent comme appendices pour protéger le bas-ventre et la naissance des cuisses. Au commencement de cette mode, quoique la ceinture eût été rappelée à sa place naturelle par l’impossibilité de faire descendre la cuirasse plus bas que le défaut des côtes, cependant on continua de porter le ceinturon de chevalerie comme on avait fait sous Charles V. La ceinture proprement dite n’était alors qu’une étroite courroie bouclée entre la cuirasse et les faudes, pour couvrir les attaches de ces deux pièces. Le ceinturon, ouvrage d’orfèvrerie, affecta, au contraire, plus de largeur et plus de luxe que jamais. On y suspendait toujours l’épée à gauche, la miséricorde à droite. Ainsi étaient équipés les chevaliers et hommes d’armes qui combattirent à la journée d’Azincourt. Les figures représentées sur les tombeaux du temps ont, de plus, la cotte d’armes flottante, appelée huque, qui complétait la grande tenue militaire.

Statue funéraire du connétable Olivier de Clisson

Statue funéraire du connétable Olivier de Clisson

Nous donnons ici pour exemple un dessin de la statue du connétable Olivier de Clisson, mort en 1407. Primitivement, elle était posée sur un dé de marbre, au milieu du choeur de l’église Notre-Dame à Josselin (Morbihan). Ce monument couvrait la sépulture du connétable, enterré là avec sa femme, Marguerite de Rohan.

Leur tombeau fut violé à l’époque de la Révolution. Il renfermait deux cercueils de pierre dans l’un desquels on trouva toutes les pièces d’une armure fort rouillée. Ces précieuses antiquités furent enlevées par les assistants et probablement mises au vieux fer. Les fragments du tombeau furent jetés pêle-mêle dans la sacristie de Notre-Dame : on ne songea à en tirer parti qu’en 1829.

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