LA FRANCE PITTORESQUE
16 juillet 1702 : mort d’Étienne Loulié,
musicien, pédagogue
et théoricien de la musique
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Publié le samedi 16 juillet 2022, par Redaction
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Exerçant à Paris la profession de maître de musique et attaché au service de la duchesse de Guise, Étienne Loulié, admirateur de Lully, consacre une partie de son existence à la mise au point d’une nouvelle technique pédagogique et vante en 1696 les mérites d’un « chronomètre » de son invention, ancêtre du métronome
 

Étienne Loulié naît à Paris en 1654. Issu d’une famille parisienne de polisseurs d’épée, il est placé comme enfant de chœur à la Sainte-Chapelle de Paris alors dirigée par le savant maître de musique René Ouvrard qui l’orientera en plus de la technique compositionnelle vers des recherches théoriques. Mais si Loulié hérite du goût de son maître pour ce type d’études, il cherche une nouvelle technique pédagogique et délaisse quelque peu les approches découlant d’une longue tradition théorique.

En 1673, il quitte la Sainte-Chapelle pour entrer comme instrumentiste au service de la duchesse de Guise, Marie de Lorraine (1615-1688), jouant du clavecin, de l’orgue, de la flûte ou encore de la viole de gambe. C’est ainsi que, jusqu’à la mort de la duchesse, il joue un grand nombre des compositions du compositeur des Guise, Marc-Antoine Charpentier.

Marie de Lorraine, duchesse de Guise. Gravure de Balthasar Moncornet (1656)

Marie de Lorraine, duchesse de Guise. Gravure de Balthasar Moncornet (1656)

À la fin des années 1680, Étienne Loulié, versé dans la pédagogie musicale, publie une série de méthodes coordonnées s’adressant aux professeurs de musique, et se lie d’amitié avec celui qui devait devenir un célèbre collectionneur de partitions : Sébastien de Brossard.

Après la mort de Marie de Lorraine survenue en 1688, et parce qu’il compte parmi les rares musiciens de son époque à maîtriser tant la pratique que la théorie de la musique, il collabore de 1693 à 1699 avec le mathématicien et fondateur de l’acoustique musicale Joseph Sauveur, non seulement pour préparer un cursus d’études pour le duc de Chartres, mais également sous l’égide de l’Académie des sciences pour étudier l’acoustique et élaborer un nouveau système d’accord et de notation musicale. Mais lorsqu’il s’aperçoit que le système de Sauveur rend impossible à l’oreille humaine la plus fine de l’entendre ou à la voix la mieux formée de le reproduire, il met fin à leur collaboration.

Il jouit d’une certaine aisance matérielle qui lui permet d’être parmi les mieux logés de sa profession lorsqu’il emménage en 1695 dans un appartement qui sera sa dernière demeure. Situé aux troisième et quatrième étage d’une maison, son logis nous est connu par l’inventaire dressé après son décès en 1702. Il se composait au premier niveau de sa chambre sans cheminée et d’un cabinet de musique qui en contenait une. La chambre était tendue de tapisseries de Rouen et meublée d’un lit à colonnes torses, de chaises, de fauteuils et d’un petit bureau en noyer.


Chronomètre de Loulié.
Gravure extraite d’Éléments ou principes
de musique
paru en 1696

Dans le cabinet de musique, on trouvait deux armoires remplies de partitions et six chaises, et les instruments, flûtes, basse de viole et clavecin. Au second niveau, une pièce sans cheminée servait peut-être de salle à manger, et un cabinet de travail avec cheminée contenait un grand bureau, deux tables, une armoire, des rames de papier et une épinette. Moins encombrante avec un volume sonore plus faible que le clavecin, l’épinette était effectivement un instrument d’étude pratique.

Admirateur du célèbre Jean-Baptiste Lully, Étienne Loulié s’est associé depuis 1691 avec le marchand de musique Henri Foucault pour copier les œuvres du compositeur baroque et les diffuser en manuscrits vers. L’autorité de Lully était une évidence : il est la musique, par excellence, un merveilleux repère pour les amateurs dans le cadre de la méthode, et fait aussi autorité parmi les musiciens. Un exemple qui vient d’un texte manuscrit d’Étienne Loulié est à cet égard particulièrement significatif. Dans un manuscrit polémique, celui d’un praticien qui critique les « mathématiciens musiciens », il illustre son propos en convoquant Lully : « Il est plus possible de bien tailler un habit tel qu’on le porte à présent par des règles de mathématiques que de faire un air du style de M. de Lully par mathématique. »

Incarnation du goût musical du roi, singulier, Lully constitue alors, pour des raisons de commodité surtout, la référence absolue dans les méthodes de musique, étant donné que ses airs sont potentiellement connus par tous les élèves amateurs, aussi par le fait qu’ils sont édités et sont donc aisément consultables. Étienne Loulié convoque l’autorité du maître dans un traité intitulé Éléments ou principes de musique mis dans un nouvel ordre très clair, très facile et très court, et divisés en trois parties : la première pour les enfants ; la seconde pour les personnes plus avancées en âge ; la troisième pour les personnes qui sont capables de raisonner sur les principes de la musique, qu’il fait paraître en 1696 : un air en vogue que l’on joue chez soi, c’est — forcément, naturellement — un air de Monsieur de Lully. C’est à lui qu’il renvoie pour mieux argumenter et pour prouver, auprès du public des amateurs, la nécessité et l’utilité de son chronomètre, l’instrument qu’il a conçu afin d’indiquer le mouvement exact des différentes pièces de musique. Jean-Baptiste Lully y est cité deux fois, et à deux fins différentes.

« Cet instrument ne paraîtra pas d’une grande nécessité ni même d’une grande utilité. Premièrement à ceux qui étant savants et qui ayant beaucoup d’usage tant de la musique des Français que dans la musique des étrangers, sont capables de juger de leur véritable mouvement ou à fort peu près. Secondement à ceux qui, connaissant fort bien les airs de Monsieur de Lully et les autres airs de ce goût, négligent et méprisent mêmes les autres musiques.

« (...) Mais je me flatte que ceux qui ont le goût fin et qui ont éprouvé combien un air perd de sa beauté lorsqu’il est exécuté trop vite ou trop lentement, me sauront bon gré de leur donner un moyen sûr pour en connaître le véritable mouvement, particulièrement ceux qui demeurent dans les provinces, lesquels pourront savoir au juste le véritable mouvement de tous les ouvrages de Monsieur de Lully, que j’ai marqué très exactement par rapport au Chronomètre, avec le secours des personnes qui les ont exécutés sous la mesure de Monsieur de Lully même, pendant plusieurs années. »

Dès la fin du XVIIe siècle, on reconnaît qu’une machine régulière serait ce qu’il y aurait de mieux pour fixer la lenteur ou la rapidité des mouvements de la musique. L’idée en est proposée par le Père Mersenne en 1636, mais passe inaperçue, et parmi ceux qui, un peu plus tard, sont choqués des altérations que certaines musiques subissent du fait de l’exécution, quelques-uns, en relations avec Étienne Loulié, l’incitent à chercher un remède à cet inconvénient.

Et ce dernier consacre en 1696 un chapitre de ses Éléments ou principes de musique à un appareil auquel il donne le nom de chronomètre, constitué d’un tableau gradué depuis 1 jusqu’à 72 degrés de vitesse, avec un pendule mobile composé d’une boule de plomb suspendue à un cordonnet, qu’on allongeait ou raccourcissait au moyen d’une cheville attachée au cordonnet, et qu’on plaçait dans des trous correspondant à toutes les divisions de l’échelle. C’est ce chronomètre, avec quelques modifications dans l’échelle, que Jean-Étienne Despréaux reproduit cent vingt ans plus tard comme une nouveauté.

Loulié imagine également de se servir d’un instrument appelé sonomètre, pour l’accord des clavecins. Il en construit deux sur des modèles différents, et les présente à l’approbation de l’Académie des sciences de Paris. Le rapport établi sur ces instruments dans l’histoire de l’Académie (année 1699) précise qu’au moyen du sonomètre, toute personne qui n’aurait jamais accordé de clavecin pourrait le faire aussi facilement que les maîtres, pourvu qu’elle ait assez d’oreille pour mettre une corde à l’unisson ou à l’octave d’une autre. Le chronomètre est approuvé par la même société savante en 1701. D’Ons-Embray, auteur d’un métromètre pour battre les mesures et les temps de toutes sortes d’airs, dit dans sa description de cet instrument (Mémoires de l’Académie des sciences, année 1732) que Loulié fut aussi l’inventeur de la patte à régler les papiers de musique.

C’est dans son manuscrit Mathématicien musicien et dans quelques pages éparses du même codex que s’exprime la philosophie historique de Loulié. La théorie, pour lui, ne prend pas valeur par son historicité mais par son utilité. La pratique guide l’évolution de la musique depuis les anciens jusqu’à Louis XIV. Cette évolution va dans le sens d’une simplification, conception clairement énoncée dans l’intitulé de son traité de musique imprimé. « Anciens » devient pour lui tout ce qui précède 1600. Des origines à son temps, Loulié distingue six étapes qui apparaissent métaphoriquement dans le Mathématicien musicien et énoncées par les faits plus loin dans le même codex :

Sonomètre de Loulié proposé à l'Académie des sciences en 1699. Gravure (colorisée ultérieurement) extraite de Machines et inventions approuvées par l'Académie royale des sciences, depuis son établissement jusqu'à présent, avec leur description (Tome 1) : depuis 1666 jusqu'en 1701 paru en 1735

Sonomètre de Loulié proposé à l’Académie des sciences en 1699. Gravure (colorisée
ultérieurement) extraite de Machines et inventions approuvées par l’Académie royale
des sciences, depuis son établissement jusqu’à présent, avec leur description (Tome 1) :
depuis 1666 jusqu’en 1701
paru en 1735

1° « Les Anciens grecs et latins » qu’il est inutile de chercher à connaître car leur musique est perdus.
2° Ceux qui ont rendu cette musique plus commode, notamment Guido d’Arezzo.
3° De Charlemagne jusqu’à règne de Saint Louis, s’élabore le plain-chant qui s’exécutait à l’unisson et parfois et au plus, était accompagné par un bourdon.
4° Les « Anciens modernes » composent de 1300 à 1600 une polyphonie simple, exempte de chromatismes et d’accompagnement instrumental.
5° Les « Modernes » usent sur un même canevas des chromatismes et ajoutent un accompagnement.
6° Les « nouveaux Modernes » par lesquels Loulié entend « tous les musiciens depuis Carissimi ».

Ce qui distingue nettement Étienne Loulié de ses prédécesseurs et le rattache à René Ouvrard, c’est son intérêt pour la musique elle-même et non uniquement pour les traités. Son point de vue, par rapport à son maître, est plus pragmatique encore. Si Ouvrard étudie les traités antiques, Loulié ne s’y intéresse nullement puisque toute la musique de cette époque est irrémédiablement perdue. Sa source de documentation majeure est la collection des manuscrits imprimés de la Sainte-Chapelle.

Vers 1702, Loulié revient à ses recherches historiques. Pour le duc de Chartres, il commence à rédiger un Abrégé des principes de la musique des Anciens. Il entend évidemment les compositeurs actifs entre 1300 et 1600. Son pragmatisme est ici mis en évidence : « pour savoir lire et chanter leur musique ». Jamais historien n’avait considéré la recherche historique dans ce but. Il précise que son ouvrage, compilation de tous les renseignements pratiques recueillis, est destiné à aider ceux qui « faute de connaissance, se trouvent en doute de ce qu’ils doivent faire » face aux monuments de la musique ancienne.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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