LA FRANCE PITTORESQUE
14 juillet 1827 : mort du physicien
Augustin Fresnel,
fondateur de l’optique moderne
(D’après « Notices et discours de l’Académie des sciences : cérémonie
du centenaire de la mort d’Augustin Fresnel » paru en 1927,
« Revue de Paris » paru en 1830 et « La Science populaire :
journal hebdomadaire illustré » paru en 1880)
Publié le vendredi 14 juillet 2023, par Redaction
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Si Augustin Fresnel en pince très tôt pour le domaine de la physique expérimentale, perfectionnant les jouets connus sous le nom de canonnières de façon à en faire des armes redoutables, il manifeste surtout une aptitude pour les mathématiques avant de confirmer la théorie ondulatoire de la lumière émise par Huygens au XVIIe siècle et de devenir le « bienfaiteur des marins » en consacrant les dernières années de sa courte existence à une science dont il ne possédait au départ que des notions rudimentaires
 

Augustin-Jean Fresnel naquit le 10 mai 1788, à Broglie, près de Bernay, dans cette partie de l’ancienne province de Normandie qui forme aujourd’hui le département de l’Eure. Son père, Jacques Fresnel, architecte né à Mathieu, village des environs de Caen, était lui-même fils d’un architecte du même pays qui s’était fait connaître au milieu du XVIIIe siècle par des ouvrages sur des questions d’utilité publique. En 1784, Jacques Fresnel avait été appelé à Broglie pour diriger des réparations au château, et y avait rencontré la famille Mérimée — dont le nom devait aussi un jour devenir cher aux arts et aux lettres —, épousant l’année suivante Augustine Mérimée, dont le père était avocat au parlement de Rouen.

En 1790, Jacques Fresnel accepta de diriger la construction du fort de Querqueville, à l’une des extrémités de la rade de Cherbourg ; mais la tourmente révolutionnaire l’ayant forcé d’abandonner ces travaux, il se retira avec toute sa famille — il avait maintenant trois enfants : Louis-Jacques né en 1786, Augustin, et Léonor-François né en 1790 — dans son village natal de Mathieu, où il possédait une modeste propriété, et où il restera jusqu’à sa mort en 1805.

Augustin Fresnel. Dessin (gravé par Ambroise Tardieu en 1825) réalisé d'après une peinture d'Anne Moreau, mère de Prosper Mérimée et tante de l'inventeur

Augustin Fresnel. Dessin (gravé par Ambroise Tardieu en 1825) réalisé
d’après une peinture d’Anne Moreau, mère de Prosper Mérimée et tante de l’inventeur

Augustine Fresnel était douée des plus heureuses qualités du cœur et de l’esprit ; l’instruction solide et variée qu’elle avait reçue dans sa jeunesse lui permit de s’associer activement pendant huit années consécutives aux efforts que faisait son mari pour l’éducation de leurs quatre enfants — le quatrième, Fulgence, était né en 1795. Les progrès du fils aîné furent brillants et rapides. Augustin, au contraire, avançait dans ses études avec une extrême lenteur ; à huit ans il savait à peine lire. On pourrait attribuer ce manque de succès à la complexion très délicate du jeune écolier et aux ménagements qu’elle prescrivait ; mais on le comprendra mieux encore quand on saura que Fresnel n’eut jamais aucun goût pour l’étude des langues ; qu’il fit toujours très peu de cas des exercices qui s’adressent seulement à la mémoire ; que la sienne, d’ailleurs assez rebelle en général, se refusait presque absolument à retenir des mots dès qu’ils ne se rattachaient pas à une argumentation claire et ourdie fortement.

Ses jeunes camarades appelaient Augustin l’homme de génie, titre pompeux qui lui fut unanimement décerné à l’occasion de recherches expérimentales auxquelles il se livra à l’âge de neuf ans, soit pour fixer les rapports de longueur et de calibre qui donnent la plus forte portée aux petites canonnières de sureau dont les enfants se servent dans leurs jeux, soit pour déterminer quels sont les bois verts ou secs qu’il convient d’employer dans la fabrication des arcs, sous le double rapport de l’élasticité et de la durée. Le physicien de neuf ans avait exécuté en effet ce petit travail avec tant de succès que des hochets jusque-là inoffensifs étaient devenus des armes dangereuses, qu’il eut l’honneur de voir proscrire par une délibération expresse des parents assemblés de tous les combattants.

En 1801, Augustin Fresnel, âgé de 13 ans, quitta le foyer paternel et se rendit à Caen avec son frère aîné. L’École centrale de cette ville présentait alors une réunion de professeurs du plus rare mérite. Les excellentes leçons de mathématiques de Monsieur Quenot ; le cours de grammaire générale et de logique de l’abbé de La Rivière, contribuèrent éminemment à développer chez le jeune élève cette sagacité, cette rectitude d’esprit qui depuis le guidèrent avec tant de bonheur dans le dédale, en apparence inextricable, des phénomènes naturels qu’il parvint à débrouiller.

Fresnel entra à seize ans et demi à l’École Polytechnique, où son frère aîné l’avait précédé d’une année. Il continua à être un élève inégal, mais se montra remarquable en mathématiques, dont l’enseignement, avec des hommes comme Monge, Prony, Poisson, Legendre, devait être de premier ordre. De son passage à l’école date sa première publication : à un problème de géométrie sur les sections planes d’un ellipsoïde, posé par Legendre, Augustin trouva une solution élégante qui fut publiée dans la Correspondance sur l’École polytechnique que dirigeait Hachette, l’un des professeurs de géométrie. En revanche, Augustin Fresnel acheva ses études avec, sur la science physique, des notions rudimentaires.

De l’École polytechnique, il passa dans celle des Ponts et Chaussées. Ayant obtenu le titre d’ingénieur ordinaire, il fut d’abord envoyé en Vendée pour des constructions de routes, puis, en 1812, dans la Drôme, à Nyons, où l’on prolongeait la route qui traverse le col du Mont Genèvre. Il s’acquitta de ses devoirs avec la plus scrupuleuse exactitude, bien que ses occupations, consistant surtout en besogne administrative et en surveillance des deniers de l’État, fussent tout à fait en dehors de ses aptitudes. Un peu plus tard, dans une lettre à son oncle, il écrivait : « Je ne trouve rien de si pénible que d’avoir à mener des hommes, et j’avoue que je n’y entends rien du tout ».

Aussi cherche-t-il, dès ses premières années de vie active, à se délasser par des recherches scientifiques. Sans livres et sans laboratoire, il entreprend quelques recherches sur des questions de chimie ; en 1811, il communique à son oncle Léonor Mérimée, qui habitait Paris et que ses fonctions de professeur de dessin à l’École polytechnique mettaient en relations avec la plupart des savants français, un procédé pour fabriquer la soude en partant du sel marin. Nous ne connaissons ce procédé que par des fragments de lettres, d’où l’on peut seulement conclure que l’on y employait de l’ammoniaque, que la réaction donnait lieu à du chlorure d’ammonium et que, pour l’imaginer, Fresnel avait eu besoin de posséder des tables de solubilité de divers sels ; ces indications font irrésistiblement penser au procédé Solvay qui, beaucoup plus tard, devait révolutionner l’industrie chimique.

Augustin Fresnel. Chromolithographie publicitaire publiée vers 1920

Augustin Fresnel. Chromolithographie publicitaire publiée vers 1920

C’est vers 1814, alors qu’il était à Nyons, que Fresnel commence à réfléchir aux questions de physique. Il faut avouer que son ignorance était extrême. La doctrine de la matérialité du « calorique » et de la lumière lui avait été enseignée comme une vérité incontestable ; en y réfléchissant, Fresnel aperçoit un monde de difficultés ; il s’en ouvre à son frère et à son oncle en leur demandant de lui envoyer quelques livres ; ces demandes témoignent à la fois d’un vif désir de s’instruire et d’une complète ignorance des découvertes récentes. C’est ainsi que, dans une lettre à son frère Léonor, il dit : « J’ai vu dans le Moniteur, il y a quelques mois, que Biot avait lu à l’Institut un mémoire fort intéressant sur la polarisation de la lumière. J’ai beau me casser la tête, je ne devine pas ce que c’est. » Naturellement, les travaux de Young, publiés en anglais, lui étaient complètement inconnus.

Cependant les graves événements de 1815 allaient jeter le trouble dans l’existence de Fresnel et lui donner, par un singulier hasard, la possibilité d’entrer en contact personnel avec le monde scientifique. Esprit libéral, épris à la fois d’ordre et de liberté, profondément pacifique, Fresnel, comme beaucoup de ses camarades de l’École polytechnique, détestait le régime napoléonien. Après 1814, il mit son espoir, pour le relèvement du pays, dans une monarchie libérale qui lui paraissait le seul régime alors possible. Le retour de l’île d’Elbe lui sembla — c’est Arago qui le dit — comme « une attaque contre la civilisation » ; il crut de son devoir, en dépit de son état de santé toujours précaire, de quitter Nyons, et d’aller se joindre à la petite armée que le duc d’Angoulême réunissait dans le Midi pour essayer de s’opposer à la marche de Napoléon sur Paris.

Déjà malade, Fresnel fut obligé de rentrer à Nyons presque mourant ; il fut mal accueilli par la population, fut destitué et placé sous la surveillance de la haute police, avant d’être autorisé à quitter Nyons pour aller se retirer à Mathieu, où sa mère, veuve depuis déjà dix ans, habitait encore ; il lui fut même permis de passer par Paris et d’y résider quelque temps.

Ce court séjour à Paris fut pour Fresnel le véritable début de sa carrière scientifique ; il put lire quelques mémoires, et se mettre en relations avec quelques-uns des hommes du milieu scientifique de Paris, en particulier avec Arago, qui devint son protecteur, son collaborateur et son ami. À peine plus âgé que Fresnel, son ancien d’un an à l’École polytechnique jouissait déjà, à cette époque, d’une grande influence et d’une grande notoriété. Ce fut une belle et généreuse intelligence, capable de tout comprendre et de s’intéresser à tout, d’une activité dévorante, ardent dans ses amitiés comme dans ses antipathies, prêt à défendre ses amis dans toutes les circonstances, et toujours prêt aussi à pourfendre ses ennemis.

Remarquable professeur, vulgarisateur de premier ordre, grand orateur, il eut une influence énorme sur tous les auditoires qu’il aborda. Il sut conserver une grande influence sous tous les régimes, même sous ceux qu’il n’aimait pas, et cela, non pas qu’il les flattât, mais parce qu’on jugeait plus prudent de ne pas l’avoir comme adversaire déclaré. Arago devina tout de suite le génie de Fresnel, l’aida à se documenter, parfois collabora directement avec lui, le défendit dans toutes les occasions, enfin s’employa de son mieux pour que son métier d’ingénieur, son gagne-pain, loin d’entraver sa carrière scientifique, pût se combiner avec elle.

François Arago. Dessin de 1824 d'après nature, gravé par Ambroise Tardieu

François Arago. Dessin de 1824 d’après nature, gravé par Ambroise Tardieu

Ce fut pendant sa retraite au village de Mathieu, en 1815, que Fresnel commença à voir une réponse à cette question qui le préoccupait depuis un an : qu’est-ce que la lumière ? Ne sachant rien des idées de Thomas Young, il retrouve par lui-même les principes énoncés par l’illustre savant anglais.

Tout de suite, il s’attaque au problème le plus simple en apparence et en même temps le plus difficile dans la théorie des ondes, le problème des ombres et de la propagation rectiligne de la lumière. Il voit immédiatement que, si la théorie de l’émission explique bien en gros la propagation rectiligne — un corps opaque protégeant de la lumière à peu près comme un parapluie protège contre la pluie —, cette théorie est incapable d’expliquer les particularités curieuses des phénomènes de diffraction, que Newton avait dû se borner à décrire.

Mais, d’autre part, si la théorie des ondes exprime la réalité des choses, comment ces ondes sont-elles incapables de contourner un obstacle, ce que font sans peine les ondes sonores ou les rides d’une surface liquide ? Fresnel aperçoit immédiatement que la clé du mystère doit être cherchée dans l’étude, à la fois expérimentale et théorique, des effets de diffraction ; pour expliquer pourquoi la lumière se propage en ligne droite, il faut savoir jusqu’à quel point cette loi est vraie.

Dans le village où il commence à expérimenter, Fresnel ne dispose d’aucun appareil ; heureusement, il peut y suppléer avec la même ingéniosité et presque avec les mêmes moyens que dans ses jeux d’enfant. Avec du carton et des fils, il fait un micromètre qui lui permet de mesurer, avec une précision très satisfaisante, la position des franges de diffraction. Il lui faut une lentille de court foyer pour réunir en un point les rayons du soleil : une goutte de miel placée sur un trou percé dans une mince feuille métallique la lui donne à peu de frais. Le serrurier du village lui construit quelques supports.

Avec ce matériel rudimentaire, il arrive à observer et à mesurer les franges qui bordent l’ombre d’un corps opaque, et à en trouver les lois expérimentales. Deux mémoires envoyés à l’Académie des sciences à la fin de 1815 furent le fruit de ces premières recherches ; il y retrouve le principe des interférences énoncé par Young, et s’en sert pour expliquer, d’une manière encore imparfaite, les phénomènes observés. Chemin faisant, il retrouve la théorie des couleurs de lames minces. Le second de ces mémoires contient la théorie des couleurs données par les surfaces striées, grossièrement réalisées sur certains objets naturels.

Après la chute définitive du régime napoléonien, Fresnel avait été réintégré dans le corps des Ponts et Chaussées. Sur l’intervention pressante d’Arago, il fut autorisé à passer à Paris une partie de l’année 1816 ; à la fin de cette même année, il dut rejoindre son poste, à Rennes, où il était chargé de la surveillance d’un des « ateliers de charité » que l’Administration des Travaux publics avait organisé pour atténuer les souffrances produites par la disette. Ce séjour, qui ne laissa pas à Fresnel de bons souvenirs, ne dura pas longtemps ; au printemps de 1818, il fut pourvu d’un poste à Paris, d’abord au Service du canal de l’Ourcq, puis dans celui du cadastre de la Ville de Paris.

Cependant, les premiers mémoires de Fresnel avaient attiré l ’attention des milieux scientifiques français sur l’important problème de la propagation de la lumière, et soulevé de vives discussions. L’Académie des sciences avait à mettre au concours, d’une manière périodique, des questions choisies par elle, et à décerner un prix à l’auteur, théoriquement inconnu de ses juges, du meilleur mémoire sur la question proposée. Ainsi, le 17 mars 1817, elle avait décidé de mettre au concours, pour le grand prix des sciences mathématiques, l’étude expérimentale et théorique des phénomènes de diffraction ; à lire le programme, on devine qu’il avait été rédigé par un partisan convaincu de la théorie de l’émission ; on avait cependant posé le problème d’une manière rationnelle, en demandant aux concurrents d’étudier d’abord le phénomène « par des expériences précises » ; et l’énoncé ajoute : « Conclure de ces expériences, par des inductions mathématiques, les mouvements des rayons dans leur passage près des corps ». Le concours devait être jugé par une Commission composée de Laplace, Biot, Poisson Arago et Gay-Lussac.

Thomas Young (1773-1829). Gravure (colorisée ultérieurement) réalisée d'après une peinture de Thomas Lawrence (1769-1830)

Thomas Young (1773-1829). Gravure (colorisée ultérieurement) réalisée
d’après une peinture de Thomas Lawrence (1769-1830)

Sur les instances d’Arago et d’Ampère, Fresnel se décida à concourir ; ce fut l’occasion pour lui d’écrire son célèbre « mémoire sur la diffraction ». À vrai dire, il ne suit que de très loin le programme étroitement limité du concours ; il élargit considérablement ce programme, et, sous le couvert de la question particulière qui est posée, il fait une étude critique des diverses théories, et une étude approfondie de la propagation de la lumière.

C’est dans ce mémoire qu’est décrite la célèbre expérience des « miroirs de Fresnel », une de celles qui sont toujours citées comme preuve de la destruction réciproque des vibrations lumineuses ; suivant une formule célèbre d’Arago, il en résulte que « de la lumière ajoutée à de la lumière peut produire de l’obscurité ». C’est là aussi que sont données les formules définitives rendant compte, dans tous leurs détails, des franges qui bordent l’ombre d’un corps. Ces formules contiennent les célèbres « Intégrales de Fresnel », dont le calcul était assez pénible ; on est frappé de la précision avec laquelle les franges sont représentées par ces formules, où tout est déduit des principes sans introduction d’aucun terme empirique.

La commission comprenait une majorité d’adversaires déclarés des idées de Fresnel ; mais Arago était de force à les défendre. L’étude du mémoire de Fresnel y donna lieu à de vives discussions, et à des incidents dont l’un a été raconté par Arago. Poisson, grand mathématicien, remarqua que les intégrales d’où l’auteur faisait dépendre le calcul des intensités de la lumière diffractée pouvaient s’évaluer exactement pour le centre de l’ombre d’un disque circulaire opaque éclairé par un point lumineux. On trouvait un maximum de lumière au centre de l’ombre circulaire.

Poisson présenta cette conséquence paradoxale comme une condamnation des idées exposées dans le mémoire soumis au jugement de l’Académie. Fresnel, prévenu par Arago, fit l’expérience ; le résultat fut rigoureusement conforme à celui du calcul de Poisson. Finalement un vote unanime accorda le prix à Fresnel, et son mémoire fut imprimé dans les publications de l’Académie des sciences, non sans quelque retard.

Ce célèbre mémoire avait été terminé en 1818 ; mais déjà à cette époque, Fresnel avait obtenu de très importants résultats sur d’autres points de la théorie des ondes. Il y était arrivé en réfléchissant aux propriétés de la lumière polarisée (dont, peu d’années avant, il ignorait l’existence) et à la théorie des couleurs des lames minces cristallisées, qui, alors dans leur nouveauté, étaient un sujet d’admiration et d’étonnement pour tous les physiciens. En 1819, Fresnel remportait le prix proposé par l’Académie des sciences sur la diffraction de la lumière.

Cette même année, Arago, qui dirigeait les travaux de la Commission des phares, lesquels, depuis huit ans que la Commission existait, n’avançaient guère, fit nommer Fresnel secrétaire de cette commission ; et à partir de ce moment, l’impulsion donnée à ces travaux produisit les résultats les plus merveilleux. « Je dois regarder, écrira plus tard Arago parlant de Fresnel, comme un des bonheurs de ma vie d’avoir, dans cette circonstance, soupçonné qu’un ingénieur, alors presque inconnu, serait un des hommes dont les découvertes illustreraient le plus notre patrie. »

Augustin Fresnel. Timbre émis le 6 mai 2019 dans la série Commémoratifs et divers. Dessin de Sophie Beaujard

Augustin Fresnel. Timbre émis le 6 mai 2019 dans la série
Commémoratifs et divers. Dessin de Sophie Beaujard

Si Arago découvrit la polarisation chromatique, Fresnel compléta cette découverte par celle de la polarisation circulaire, au moyen d’un cristal biréfringent. Mais ces sortes de découvertes, qui eussent suffi à immortaliser son nom dans le monde scientifique, ne l’auraient pas rendu populaire sans leur application à l’éclairage des phares. On dut ainsi à Fresnel l’invention des phares lenticulaires, dont l’éclat était huit fois plus puissant que celui des meilleurs phares à réflecteurs paraboliques, et qui donnaient en outre une très grande économie.

L’ouvrage intitulé Discoveries and inventions of the nineteenth century (1876) rapporte que « Fresnel vit que l’application des lentilles à l’éclairage des phares ne donnerait pas de résultats utiles, si l’on ne parvenait à accroître considérablement l’intensité de la lumière donnée par la lampe d’Argand, alors en usage, et cela sans agrandir beaucoup la flamme. En conséquence, il se dévoua, en collaboration avec son ami Arago, à cette première considération. Leurs études et expériences les conduisit à la construction d’une lampe munie de plusieurs mèches concentriques, au moyen desquelles on pouvait obtenir un éclat lumineux vingt-cinq fois plus grand que celui d’une mèche simple d’Argand.

« La lumière que la lampe perfectionnée, en combinaison avec les lentilles de Fresnel, pouvait projeter à l’horizon, était équivalente à celle qu’auraient pu produire les rayons réunis de 4000 lampes d’Argand sans appareils optiques. Le premier appareil construit sur les principes de Fresnel fut placé sur la tour de Cordouan en juillet 1823. »

Élu cette même année membre de l’Académie des sciences à l’unanimité des suffrages, Fresnel était deux ans plus tard élu membre associé de la Société royale de Londres. La seconde Restauration lui avait rendu sa place d’ingénieur. Attaché en cette qualité au service du pavé de Paris, on lui confia ensuite les fonctions de répétiteur à l’École polytechnique, emploi excessivement fatigant pour un homme qui ne s’en reposait que par d’autres travaux ; mais Fresnel n’était pas riche ; si l’humanité profitait de ses découvertes, lui n’en profitait guère, et il fallait qu’il travaillât en dehors.

Il travaillait donc, mais ces excès de travail minaient sa santé. La place, beaucoup plus douce et mieux rétribuée, d’examinateur des élèves de l’École navale étant devenue vacante, Fresnel, que des amis puissants recommandaient encore mieux que son mérite, demanda cette place. — Ce fut un danseur qui l’obtint. Voici comment Arago, dans celle de ses Notices biographiques qu’il consacre à Fresnel, rend compte de cet incident, malheureusement décisif, de la vie de son ami et collaborateur :

Lanterne de phare contenant un système optique à lentilles de Fresnel tournant grâce à un contrepoids

Lanterne de phare contenant un système optique à lentilles de Fresnel
tournant grâce à un contrepoids

« Avant d’accorder à Fresnel la place qu’il sollicitait, le ministre de qui dépendait l’emploi vacant voulut connaître le futur titulaire et causer avec lui. Dans l’audience qu’il lui accorda, le ministre posa cette question à Fresnel, en l’avertissant qu’il serait, suivant sa réponse, agréé ou évincé :

« — Monsieur Fresnel, êtes-vous véritablement des nôtres ?

« — Si je vous ai bien compris, Monseigneur, répondit le physicien, je vous dirai qu’il n’existe personne qui soit plus dévoué que moi à l’auguste famille de nos rois et aux sages institutions dont la France leur est redevable.

« — Tout cela est bien vague, monsieur ; nous nous entendrons mieux avec des noms propres. À côté de quels membres de la Chambre siégeriez-vous si, par hasard, vous deveniez député ?

« — Monseigneur, répondit Fresnel sans hésiter, à la place de Camille Jordan, si j’en étais digne.

« — Grand merci de votre franchise », répliqua le ministre.

Et, au sortir de cette audience, il signa la nomination d’un inconnu au poste que l’illustre Fresnel sollicitait. Il ne restait donc à Fresnel d’autre choix que de poursuivre ses occupations accablantes et de mourir à la peine, ou de se retirer. Il se retira à la suite des examens de 1824, ou plutôt à la suite d’une attaque d’hémoptysie déterminée par la fatigue excessive que lui causa la préparation à ces examens. C’était trop tard ; et l’on peut dire qu’en fait il est mort à la peine.

Condamné à l’inaction, il traîna une existence misérable jusqu’en 1827, le mal s’aggravant de jour en jour. Au mois de juin de cette année, pour obéir aux conseils du médecin qui lui donnait ses soins et aux sollicitations de sa famille, il allait s’installer à Ville-d’Avray. C’était pour y mourir : et il n’avait que trente-neuf ans.

Quelques jours avant de mourir, il reçut la visite d’Arago, qui venait lui apporter la médaille de Rumford décernée par la Société royale de Londres « au bienfaiteur des marins » autant qu’au physicien illustre par ses découvertes. « Je vous remercie, dit-il à son ami d’une voix éteinte, d’avoir accepté cette mission. Je devine combien elle a dû vous coûter ; car vous avez ressenti, n’est-ce pas ? que la plus belle couronne est peu de chose quand il faut la déposer sur la tombe d’un ami. »

Ces douloureux pressentiments ne tardèrent pas à s’accomplir. Huit jours encore s’étaient à peine écoulés, et la France perdait l’un de ses plus vertueux citoyens, l’Académie l’un de ses membres les plus illustres, le monde savant un homme de génie. Il s’éteignit dans les bras de sa mère le 14 juillet 1827.

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