LA FRANCE PITTORESQUE
12 juillet 1823 : mort de l’orientaliste
et philologue Louis Ripault
(D’après « Annales de la Société des sciences, belles-lettres
et arts d’Orléans » paru en 1824)
Publié le samedi 11 juillet 2020, par Redaction
Imprimer cet article
Destiné à l’état ecclésiastique auquel il préféra le domaine de la librairie, Louis Ripault fut un des savants accompagnant l’expédition d’Égypte avant de devenir le bibliothécaire particulier d’un Bonaparte lui devant de ne paraître étranger à aucune science ni à aucune étude, mais sa probité et son désintéressement l’amenèrent à quitter un monde de courtisans politiques pour s’adonner à l’étude des langues orientales et la recherche de la clef des hiéroglyphes, travaillant immodérément et rendant son dernier soupir âgé seulement de 47 ans
 

Né à Orléans le 29 octobre 1775, il suivit avec une grande distinction les cours du collège de sa ville natale. Ses parents le destinèrent de bonne heure à l’état ecclésiastique, lui obtenant même un petit bénéfice ; mais il se sentit ensuite peu disposé à embrasser cet état, et quand il l’eût été davantage, la Révolution qui survint l’en aurait probablement écarté.

Quoi qu’il en soit, déterminé à se choisir une autre carrière, il entra dès l’âge de dix-huit ans dans le commerce de la librairie ; il y apporta un savoir qui s’augmenta de jour en jour, et une probité rigoureuse jointe à une conduite exempte de tout excès. Ces qualités lui obtinrent l’estime générale, et firent désirer qu’un jeune homme d’une si grande espérance ne demeurât pas longtemps dans une situation aussi obscure.


Louis Ripault. Dessin d’André Dutertre (1753-1842)

Cependant les étonnants changements qu’avait subis la France continuaient d’agiter violemment les esprits, et il était bien difficile que dans la fougue de l’âge Louis Ripault, dont l’âme ne respirait que douceur, indulgence et humanité, ne se sentît pas révolté des injustices d’un gouvernement oppresseur ; il ne réussit pas toujours à dissimuler l’indignation dont il était pénétré, et ne tarda pas à partager le sort de tous ceux qui, dans, ces temps malheureux, osaient élever leur voix en faveur de quelque honorable infortune.

Dénoncé dans les clubs, il fut averti qu’il n’avait plus qu’un moment pour se dérober aux poursuites qui allaient être dirigées contre lui : profitant de cet avis, il trouva un asile chez un bon cultivateur qui le retint et le cacha dans sa maison pendant plusieurs mois, avec une hospitalité qui, bien des années après, excitait encore la vive reconnaissance de Louis Ripault. Il sut mettre à profit pour son instruction cette retraite forcée, et s’environna de livres dont la lecture assidue agrandit le cercle de ses connaissances ; il crut pouvoir se montrer de nouveau à Orléans, et ce fut alors qu’une circonstance singulière le mit à portée de déployer autant de courage que d’humanité.

Des émigrés naufragés sur les côtes de Bretagne avaient été arrêtés et n’avaient échappé à une mer en courroux que pour se trouver exposés aux fureurs plus terribles d’un parti dont ils n’avaient à espérer aucune grâce. On apprit à Orléans qu’on les conduisait à Paris ; quelques jeunes gens formèrent l’entreprise audacieuse de les arracher à la gendarmerie, et de leur rendre la liberté. Instruits à point nommé du départ des prisonniers et de leur escorte, ils convinrent de se rendre dans une partie de la foret qui avoisinait la grande route, et d’y attendre ceux qu’ils se proposaient de sauver.

Aucun ne manque au rendez-vous, et Louis Ripault leur donne l’exemple du zèle et de l’intrépidité ; ils ne tardèrent pas à voir approcher les prisonniers. Une décharge inattendue de leurs mousquets met les gendarmes en fuite ; ils délivrent les infortunés sans obstacle et les dirigent à travers les bois jusqu’à des maisons où ils s’étaient assurés qu’ils trouveraient un asile. Heureux d’avoir ainsi soustrait à une mort presque certaine des hommes estimables, nos aventuriers reviennent vers la nuit et par des chemins dérobés dans leurs domiciles, se flattant, pour comble de bonheur, de n’avoir blessé aucun des hommes sur lesquels ils avaient tiré. La part qu’ils avaient prise à cette action demeura ignorée et ne donna lieu à aucune poursuite.

Peu de temps après Louis Ripault réfléchit sur sa position, et comme elle ne lui promettait rien de très satisfaisant pour l’avenir, il rompit une association à la fois commerciale et littéraire qu’il avait contractée, et prit la route de Paris, où il se flattait de travailler plus avantageusement pour sa fortune. Un ami qu’il avait dans la capitale, sachant que le chevalier de Pougens, engagé dans des spéculations de librairie et occupé de travaux scientifiques, avait besoin d’un jeune homme capable de le seconder et de suppléer à la perte de sa vue, le présenta à ce littérateur respectable, qui l’agréa pour collaborateur.

Le chevalier de Pougens trouva en lui ce qu’il avait cherché ; il le goûtait de jour en jour davantage, et se félicitait d’avoir rencontré le zèle et l’activité joints à la douceur et à la patience. Les vastes connaissances de son protecteur ne furent pas moins utiles à son secrétaire. Il avait passé un certain temps dans cet emploi lorsque le gouvernement français, qui préparait une grande expédition contre l’Égypte, voulut concilier à la conquête projetée les vœux et les suffrages de la partie instruite de la nation, en donnant à cette guerre un caractère scientifique. On adjoignit donc à l’armée des savants, des gens de lettres et des artistes.

Le chevalier de Pougens eut la générosité de considérer moins en cette occasion ce qu’il avait personnellement à perdre, que le bien-être actuel et futur du jeune Ripault, et le fit recevoir dans la commission qu’on allait faire partir, comme archéologue et bibliothécaire. Rien n’était plus propre à flatter l’imagination d’un jeune savant brûlant de voir et d’examiner l’ancienne patrie des Ptolémées, et il partit en 1798 sur le vaisseau qui portait le général Kléber. Cet officier alliait beaucoup d’instruction et de savoir aux plus grands talents militaires ; il se plaisait à causer avec ce camarade de navigation, goûtait son esprit, son caractère, et admirait son extrême facilité à s’exprimer. Il le prit en affection et devint pour lui un protecteur fort utile, nous pouvons même dire un ami dévoué.

Ils arrivèrent heureusement à la vue d’Alexandrie. Le général en chef, que la crainte de l’escadre anglaise forçait de brusquer les attaques, fit livrer l’assaut à la place, et l’enleva par un de ces coups de main où la valeur impétueuse des troupes françaises brille avec tant d’éclat. Nous y perdîmes environ deux cents hommes. Le général Kléber, atteint d’une balle à la tête, fut grièvement blessé et dut rester dans la ville jusqu’à sa guérison. Chargé néanmoins d’un commandement important, il avait besoin d’un collaborateur actif et habile, et ne crut pouvoir mieux choisir qu’en s’attachant en qualité de secrétaire celui qui l’avait si vivement intéressé dans la traversée.

Louis Ripault justifia complètement l’idée que son nouveau chef avait conçue de lui, et s’acquit de nouveaux droits à son estime et à son amitié. Ces sentiments s’accrurent dans l’espace de quelques mois au point que, n’ayant pas de postérité, il proposa à Ripault de l’adopter. On peut juger quelle fut à cette ouverture la reconnaissance de celui à qui elle était faite ; il s’exprima en des termes qui la peignaient tout entière ; mais l’honneur de porter un tel nom et de représenter peut-être un jour ce grand capitaine, effraya la modestie de Louis, qui s’excusa, les larmes aux yeux, d’accepter ce bienfait signalé, qu’il n’avait, disait-il, encore mérité par aucune action de quelque importance, ni par aucun service rendu à sa patrie ou à l’humanité.

Prise d'Alexandrie. Image d'Épinal réalisée par François Georgin (1835)

Prise d’Alexandrie. Image d’Épinal réalisée par François Georgin (1835)

« Accordez-moi, ajouta-t-il, quelques années dont j’ai besoin pour être plus digne de vos bontés ; alors, si la fortune a secondé mes sentiments et le désir ardent qui m’anime d’attacher mon nom à quelque chose de mémorable ; si enfin il m’est donné de marcher, quoique de loin, sur vos glorieuses traces, dans une carrière quelconque, je viendrai vous demander la plus haute distinction à laquelle j’aspire, celle d’un nom déjà illustre, et qui sans doute va le devenir bien davantage. » Kléber ne s’offensa point d’une excuse dont les motifs lui parurent pleins d’une modestie touchante ; il le retint le plus qu’il lui fut possible auprès de lui ; mais, réclamé par la commission séante au Caire, Louis Ripault se vit forcé de se séparer de son généreux appui, et s’associa dès lors aux travaux de la commission à laquelle il appartenait ; il partit avec cette société et se livra aux recherches qui lui étaient prescrites.

Il envoya bientôt comme un premier gage de reconnaissance au général Kléber, sur les oasis, un mémoire où l’élégance de la diction et les grâces d’un style pur et animé relèvent les recherches d’une profonde érudition. Il y ajouta peu après, pour le même général, une dissertation curieuse et assez étendue sur les antiquités d’Alexandrie.

Le travail auquel il s’était livré, les courses qu’il avait faites, la chaleur excessive du climat, avaient fort altéré sa santé. Étant allé voir le général Kléber, celui-ci fut si frappé de l’état de maigreur et d’épuisement où il le trouvait, qu’il lui proposa de le faire retourner en Europe, où il envoyait le colonel Damas, son premier aide-de-camp. Louis Ripault éprouvait un vif regret en quittant un pays dont il n’avait pris encore qu’une connaissance médiocre en comparaison de celle qu’il avait espéré d’acquérir, et il s’affligeait surtout de quitter un patron dans lequel il s’était accoutumé à chérir et à respecter un père.

Cependant la diminution de ses forces était telle qu’il ne pouvait se flatter de les recouvrer qu’en allant respirer l’air de sa patrie ; et il s’embarqua pour la France. Une heureuse révolution en avait changé la face ; au lieu d’un gouvernement faible et tyrannique tour à tour, et sous lequel tout semblait tomber en dissolution, le pays reprenait à vue d’œil une puissante énergie, sous les ordres d’un jeune guerrier qui, après avoir usurpé le pouvoir, semblait s’efforcer de légitimer son audace par des vues sages et une administration vigoureuse : Bonaparte.

Ripault ne tarda pas à lui être présenté. Le premier Consul vit avec plaisir un homme instruit arrivant d’Égypte et très capable de satisfaire sa curiosité sur la contrée qui avait été naguère le théâtre de ses exploits ; il désira que Louis Ripault lui fît successivement sur l’Égypte plusieurs rapports qui furent insérés dans le Moniteur, et qui excitèrent singulièrement l’attention publique.

On peut considérer la série et l’ensemble de ces rapports comme un sommaire anticipé du grand ouvrage fut publié depuis par les ordres et la munificence du gouvernement français. On ne pouvait offrir au premier Consul un travail plus précis, plus exact, et qui, dans un espace très borné, donnât une idée plus juste et plus instructive des antiques monuments, objets d’une curiosité insatiable. On peut dire qu’elle n’a été vraiment satisfaite, malgré les volumes de tant de voyageurs, que par la dernière description qui en fut publiée, et à laquelle préludait Louis Ripault.

Ils donnèrent au chef de l’État une idée avantageuse des talents de l’écrivain. Il était fréquemment admis aux Tuileries. « Que faites-vous maintenant ? lui dit un jour Bonaparte. — Général, ce que peut faire un jeune homme de mon âgen ; j’étudie, je cherche à m’instruire. — C’est bon, répliqua le consul, mais chacun a son roman ; j’ai aussi le mien... Voulez-vous être mon bibliothécaire ? Je n’en ai pas, et il ne tient qu’à vous d’occuper cette place. » Louis Ripault, qui n’avait formé jusque-là pour son avancement aucun projet arrêté, se trouva fort heureux de l’offre qui lui était faite, et accepta sans hésiter, jouissant dès lors d’une sorte de crédit.

Bonaparte avait continuellement besoin de renseignements, que son bibliothécaire lui procurait toujours promptement ; c’était principalement à lui que le premier Consul devait de ne paraître étranger à aucune science, à aucune étude, et de faire briller à toute occasion un savoir qui, dans un homme de son âge et de sa profession, était jugé prodigieux ; les érudits eux-mêmes y étaient trompés, et quant aux flatteurs, il en fallait encore moins pour les faire crier au miracle.

Louis Ripault déjeunait souvent avec le premier Consul et sa famille, et il se plaisait à rapporter, sur cette époque de sa vie, des anecdotes très piquantes. Le général Bonaparte le faisait beaucoup travailler ; tantôt c’étaient des analyses d’ouvrages anciens et nouveaux ; tantôt il voulait qu’il lui mît sous les yeux des points d’histoire et des dates dont il avait besoin. La littérature avait son tour ; il exigeait que son bibliothécaire lui fît connaître, par extrait et d’une manière abrégée, les brochures et les pièces de théâtre, et il était satisfait de sa docilité infatigable à exécuter ses ordres, ainsi que de l’heureuse habileté avec laquelle il s’en acquittait.

C’est vers cette époque que Louis épousa Philiberte Mathieu, d’une famille honorable de Bourgogne. Cette union fit constamment le bonheur de Louis, qui trouvait dans sa compagne, avec beaucoup d’agréments extérieurs, la plus tendre affection, jointe à un esprit solide et sage, et aux talents qu’elle tenait d’une éducation très soignée. Elle le fit père de plusieurs enfants.

Cabinet de travail du premier Consul aux Tuileries. Illustration extraite de Bonaparte par Georges Montorgueil et Jacques Onfroy de Bréville (1910)

Cabinet de travail du premier Consul aux Tuileries. Illustration extraite
de Bonaparte par Georges Montorgueil et Jacques Onfroy de Bréville (1910)

Sa probité rigide et inflexible, son extrême désintéressement, devinrent des qualités déplacées à la cour de Napoléon parvenu à l’Empire. Il fut exposé à une multitude d’attaques de la part des courtisans. L’exigence du maître s’accrut, et il l’abreuva d’amertumes et de dégoûts. Quelquefois il le chargeait de fonctions qui prouvaient sans doute une grande confiance, mais susceptibles d’inquiéter une délicatesse aussi ombrageuse que celle de Louis Ripault.

On lui doit la justice qu’il n’en remplit jamais aucune qui ne fût parfaitement d’accord avec les principes d’honneur les plus austères ; mais les ordres qu’il recevait donnaient lieu à des remontrances de sa part, et de celle du maître à des brusqueries fâcheuses et à des reproches offensants. Un jour qu’il se refusait à exécuter quelque chose qu’il exigeait de son zèle : « Allez, lui dit-il, vous êtes un petit homme ; je vous avais cru autre chose ; n’en parlons plus. »

Quelquefois aussi Bonaparte mettait l’intelligence du serviteur à des épreuves singulières ; il lui ordonna, par exemple, de changer de place une de ses bibliothèques, qui n’avait pas moins de quarante mille volumes, et voulut que cette translation fût effectuée en quarante-huit heures. Étonné d’abord du peu de temps qui lui était accordé, Louis Ripault réfléchit un instant, et répondit qu’il croyait pouvoir réussir dans cet intervalle si on lui donnait le nombre d’hommes nécessaire. Il en demanda quinze ; Bonaparte lui en promit vingt, et en effet il lui envoya vingt grenadiers de sa garde. Ripault prit aussitôt ses mesures avec tant de justesse et employa si bien les heures, que tous les livres furent déplacés et replacés dans l’ordre qu’ils occupaient d’abord, avant l’expiration du terme qui lui avait été fixé.

Louis Ripault ne voyait plus de moyen de se soutenir auprès d’un maître qui lui faisait sentir le joug d’une manière si pénible, et dont les alentours aggravaient encore les désagréments qu’il avait à souffrir de son humeur ; il se décida à s’éloigner et en demanda la permission, qui lui fut d’abord refusée ; il revint à la charge, obtint le consentement de l’Empereur, et se retira dans une demeure de La Chapelle Saint-Mesmin, sur les bords de la Loire, qui avait appartenu à son oncle, Joseph-Louis Ripault-Desormeaux, auteur de l’Histoire de la maison de Bourbon.

À peine y était-il qu’il fut rappelé à son emploi par l’Empereur, qui voulut bien lui faire écrire à ce sujet. Il répondit par un refus formel, et fut dès lors oublié dans sa retraite ; c’est là qu’il passa les années qui s’écoulèrent depuis, occupé d’ouvrages qu’il avait commencés, et dont la plupart sont restés imparfaits, goûtant, mais sobrement, les douceurs de la société, vivant de la vie qu’il aimait le mieux, celle de famille, et donnant à l’éducation de ses enfants les soins les plus tendres et les plus assidus. Il leur faisait réciter soir et matin une prière dont les vœux et les sentiments retraçaient en peu de mots ce que la morale et la piété ont de plus parfait.

Cependant le chef du gouvernement voulait illustrer son règne par un monument typographique qui devait effacer tout ce que l’on avait jamais vu en ce genre. Il s’agissait d’un ouvrage sur l’Égypte. Pour en former le texte, on invita les savants qui avaient été associés à l’expédition, à donner, chacun dans la partie qu’il avait le mieux étudiée, des rapports dont l’ensemble ne laisserait rien à désirer. On leur écrivit circulairement à ce sujet, et Louis Ripault ne fut pas oublié. On comptait même beaucoup sur les écrits qu’il pourrait fournir.

Il s’engagea effectivement à concourir à ce travail, mais dans sa réponse il promettait de traiter tant de matières , que s’il eût tenu parole il ne serait resté presque rien à faire aux savants ses collègues. Des observations lui furent adressées sur l’étendue excessive qu’il donnait à son plan de coopération. Il parut en être blessé. Ce qu’il y a de certain, c’est que rien de lui ne figure dans cette magnifique collection, et que dès ce moment il eut beaucoup moins de relations avec les savants ses anciens collègues.

Description abrégée des principaux monuments de la Haute-Égypte : rapport de Ripault fait au premier Consul Bonaparte paru dans le Moniteur en plusieurs articles

Description abrégée des principaux monuments de la Haute-Égypte : rapport de Ripault
fait au premier Consul Bonaparte paru dans le Moniteur en plusieurs articles

Bientôt parurent les premières livraisons de la grande description de l’Égypte. L’imagination de Louis Ripault se passionna de nouveau pour ces merveilles qu’il avait vues avec enthousiasme dans sa jeunesse. À partir de ce moment, toutes ses études, toutes ses pensées se rapportèrent à l’Égypte ; il chercha la clef de ces fameux hiéroglyphes qui mirent tant de savants à la torture, et crut l’avoir rencontrée ; il était heureux de ce que l’idée de cette découverte, qu’il croyait certaine, aurait pour les sciences et les lettres les plus importants résultats ; il en parlait avec ravissement et inspiration ; aussi ce lui fut un chagrin des plus amers de voir que parmi les savants ses juges, les uns résistaient à la conviction, les autres allaient jusqu’à se refuser à prendre connaissance de ses travaux.

Plusieurs démarches qu’il fit ayant été infructueuses, ce peu de succès ne le détermina pas à renoncer à ce genre d’étude ; mais il reprit et résolut de finir un ouvrage auquel, dans des vues d’intérêt général qui ne le quittaient jamais, il attachait la plus grande importance : c’était l’Histoire philosophique de Marc-Aurèle, avec des commentaires sur ses Maximes ; il avait choisi ce sujet comme offrant le cadre le plus heureux où il pût développer et réunir pour les souverains comme pour leurs sujets les leçons de morale les plus sublimes et les plus capables d’élever l’humanité à cette perfection stoïque que son héros eut la force d’atteindre, et à laquelle il est beau d’aspirer.

Cet écrit, en 4 volumes in-8°, obtint les suffrages de plusieurs critiques, et essuya la censure de plusieurs autres. Les défauts qu’on y releva tenaient surtout à la précipitation avec laquelle ce livre avait été imprimé ; l’auteur se hâtait, craignant que la mort qu’il avait depuis longtemps devant les yeux comme prochaine ne vînt prématurément interrompre une publication qu’il regardait comme un de ses devoirs. Cet empressement excessif, dont son ouvrage dit souffrir, porta à sa santé l’atteinte la plus funeste.

À peine achevait-il de se rétablir d’une maladie dangereuse, qu’il se remit à ses recherches hiéroglyphiques ; il croyait avoir découvert l’alphabet de la langue des hiéroglyphes, dénommée par lui la langue iconique. Pour en faciliter l’intelligence, il réunit sons la forme de dictionnaire un très grand nombre de ces signes figuratifs qu’il fit tracer avec exactitude ; il avait été conduit à étudier les antiquités égyptiennes les plus reculées ; il avait fait d’immenses recherches sur les nombres, les mesures, les mœurs, les arts et sur l’astronomie des anciens habitants de cette contrée. Il avait traduit plusieurs inscriptions hiéroglyphiques d’après son système, au moins ingénieux, et qui supposait une sagacité et une persévérance peu ordinaires ; il s’occupa aussi d’un lexique égyptien, dans lequel il fit entrer le dictionnaire cophte de Lacroze, la Scola Magna de Kircher, et la meilleure partie du travail de Zoéga. Cette entreprise immense, à laquelle il fit concourir l’arabe, l’hébreu, le samaritain, le chaldéen, le syriaque, l’éthiopien, mais surtout l’arabe et l’hébreu, fut conduite à sa fin ; elle remplit la majeure partie des manuscrits qu’il laissa.

La taille de Louis Ripault était au-dessous de la moyenne, sa physionomie vive et animée. Dans sa jeunesse, sa figure était aimable et spirituelle. La bonté, la candeur, le désintéressement et une bienveillance qui s’étendait jusqu’aux animaux et qui annonçait l’âme la plus douce et la plus aimante, formaient son caractère. Il fut véritablement philanthrope pratique, et ce qui n’est le plus souvent qu’un langage spécieux et un fastueux étalage de belles maximes, était, chez lui, une habitude journalière, une suite d’actions charitables et généreuses.

Tout ce qui pouvait améliorer le sort des hommes, et surtout celui des pauvres, intéressait fortement son cœur et s’emparait à l’instant de son esprit ; il se croyait obligé de propager autant qu’il dépendait de lui les découvertes utiles et les idées vraies et salutaires. Sa vertu était de tous les temps et de tous les pays ; elle ne portait l’empreinte d’aucune localité ; partout où il eût vécu il aurait obtenu l’estime et l’affection universelles, et l’on aurait dit de lui : « C’est un homme de bien. » Il admirait passionnément dans les autres les qualités dont sa vie offrait l’exemple : il ne louait pas modérément le mérite dont il avait une connaissance personnelle ; il repoussait avec chaleur les doutes que la médisance élevait devant lui sur la conduite ou les motifs de ceux qu’il estimait ; il se plaisait à croire qu’il existe de belles âmes, et il aimait à en augmenter le nombre.

Demeure de Louis Ripault à La Chapelle Saint-Mesmin

Demeure de Louis Ripault à La Chapelle Saint-Mesmin

Jamais on n’a été plus exact que lui à observer le précepte, difficile surtout pour les gens de lettres, du pardon des injures ; on eût dit qu’elles ne l’atteignaient pas, et qu’il les regardait d’un point si élevé qu’il les apercevait à peine. Non seulement il ne se plaignait de personne, mais il louait de préférence ceux qui avaient voulu le déprécier. Il fut excellent mari, père tendre, bon ami, parent affectionné, maître indulgent et facile, voisin obligeant ; et le voisinage s’étendait pour lui très loin. On ne réclamait pas en vain ses services et ses conseils, à quelque distance de lui qu’on demeurât ; et ses bienfaits, dont la plupart ne furent révélés qu’après sa mort, par les regrets et les larmes de ceux qui en avaient été les objets, honorent peut-être encore plus sa mémoire que ses talents et ses écrits , quelque estime que méritent les uns et les autres.

L’impartialité et l’indifférence ne verraient, dans une vie aussi pure, qu’un bien petit nombre de torts et qui n’ont porté de préjudice qu’à Louis Ripault lui-même : il s’était formé sur la sobriété des idées exaltées, et qu’on aurait crues empruntées des solitaires les plus pénitents de la Thébaïde ; il ne prenait d’aliments que ce qui était absolument indispensable pour soutenir son existence ; il pensait que l’esprit gagnait en force et en pénétration tout ce que l’on retranche aux appétits du corps. Cette doctrine portée à l’excès le réduisit insensiblement à un état d’exténuation et de dépérissement qui termina sa carrière à l’âge de quarante-sept ans.

Un travail immodéré ne contribua pas moins à sa fin prématurée. Avare des moments, il aurait voulu n’en perdre aucun ; à peine se permettait-il un peu de sommeil ; il semblait que ses recherches scientifiques le poursuivissent continuellement et ne lui laissassent aucun repos : c’était le seul point à l’égard duquel la contradiction parût lui déplaire ; et lorsque sa famille lui représentait combien il nuisait à sa santé, « il importe peu, répondait-il, en vrai disciple de Marc-Aurèle, que la vie soit longue ; ce qui importe, c’est de la rendre agréable à Dieu et utile aux hommes. Je voudrais laisser dans la mémoire de mes semblables quelque trace de mon existence. Si cette ambition est une faiblesse, j’avoue que je n’en suis pas exempt : c’est ma vanité ; il en est de moins excusable ; je réclame pour elle votre indulgence. »

Il fut donc impossible de tempérer son extrême ardeur pour l’étude ; il vit approcher sa fin sans se mettre en peine de la prévenir ou de l’éloigner ; il paraissait qu’il n’avait reçu la vie que pour étendre ses facultés intellectuelles et satisfaire l’impérieux besoin de s’instruire lui-même et d’éclairer les autres ; on eût dit que la place qu’il occupait dans le monde ne méritait pas qu’il y attachât du prix, à moins qu’elle ne le conduisît sans cesse à une si noble destination. Il mourut avec le calme et la résignation d’un philosophe chrétien, dans les bras et au milieu des larmes de sa famille.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE