LA FRANCE PITTORESQUE
Motus !
(D’après « Le Courrier de Vaugelas », paru en 1879)
Publié le vendredi 22 juillet 2022, par Redaction
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Formule souvent employée lorsque l’on veut obtenir le silence, intimer l’ordre à quelqu’un de ne souffler mot, l’interjection motus a un temps divisé les lexicographes, certains invoquant le latin, d’autre y voyant une simple déformation du mot français
 

Deux étymologies de ce mot ont été données : l’une par le philologue Auguste Scheler (1819-1890), et l’autre par le lexicographe Émile Littré (1801-1881). Scheler est disposé à voir dans motus une forme « gâtée » du latin mutus signifiant muet ; d’après Littré, il paraît venir de mot, auquel on aurait ajouté la terminaison latine us, car « mot s’est dit en effet au sens de motus ». À une nuance près cependant, c’est l’explication de Littré qui est la plus probable.

Mais tout d’abord, voici les raisons qui invalident l’origine avancée par Auguste Sheler :

1° La syllabe mut de mutus ne s’est changée en mot dans aucune langue dérivée du latin : espagnol et portugais, mudo ; italien muto ; français muet, aussi bien pendant le Moyen Age qu’à présent. Comment motus pourrait-il être venu de mutus ?

2° L’interjection motus n’est ni dans L’Esclarcissement de la langue françoyse publié par John Palsgrave en 1530 — rédigé en anglais bien que le titre soit français, et considéré comme la première grammaire de la langue française —, ni dans le Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne du lexicographe Jean Nicot — publié en 1606, deux ans après sa mort — ; mais on la trouve pour la première fois dans Antoine Oudin — linguiste et interprète à la cour de Louis XIII, mort au milieu du XVIIe siècle, auteur de Curiosités françoises, pour servir de complément aux dictionnaires —, qui la mentionne dans la phrase suivante : « Motus la cane pond, i. Taisez vous. Vulg. », ce qui semble établir qu’elle a dû faire son apparition en français dans la première moitié du xvne siècle.

Chut ! Dessin de l'illustratrice Germaine Bouret (1907-1953)

Chut ! Dessin de l’illustratrice Germaine Bouret (1907-1953).
Site Internet : http://www.germaine-bouret.fr

Or, à cette époque, l’u des mots latins introduits dans notre langue ne se prononçait pas autrement qu’il l’est aujourd’hui (prononcé « ou »). D’où il suit que motus ne peut évidemment venir de mutus.

3° En cherchant comment se dit motus dans les langues des divers peuples qui nous entourent, il apparaît que dans aucune on ne le trouve traduit par un mot signifiant muet. N’en serait-il pas tout autrement, si le sens de muet était réellement dans motus ?

Quant à l’explication d’Émile Littré, elle semble être la bonne, mais à la condition, toutefois, qu’on y modifie quelque chose. D’après le savant académicien, motus aurait été formé du substantif mot « affublé, par plaisanterie, d’une terminaison latine ».

Il est certain que mot, lorsqu’il est construit avec les verbes dire, sonner et souffler, employés négativement, s’est dit, effectivement, dans le sens où s’emploie motus, car en voici des exemples :

Ne soufflez mot, retenez votre haleine ;
Tremblez, enfants, vous qui jurez parfois.
(Béranger)
Le bruit est pour le fat, les plaintes pour le sot ;
L’honnête homme trompé s’éloigne et ne dit mot.
(Lanoue)
Vous avez raison, je ne sonnerai mot.
(Dancourt)

Mais, comme il n’est pas d’usage en français, même dans le style comique ou plaisant, de former, en ajoutant us à un substantif, des interjections tenant lieu d’une phrase négative tout entière, on est incliné à croire que motus pourrait venir plutôt de mots tus, origine que la prononciation appuie, au demeurant, des deux arguments suivants qui ne sont pas sans valeur :

1° Si motus vient de mots tus, l’s finale n’y doit pas sonner. Or, elle n’y sonnait pas non plus à l’origine, ce qui ressort avec la dernière évidence de ces vers empruntés au Rendez-vous de Fagan (scène VII), où le mot en question rime avec vaincus :

Vous me connoissez mal. D’une telle foiblesse
Jamais les Jaquemins n’ont été convaincus :
Je serois le premier du nombre des... Motus.

2° Si l’interjection motus est une contraction de mots tus, l’o doit s’y prononcer comme s’il portait un accent circonflexe, puisque le substantif mot y est écrit au pluriel. Or, cette prononciation est justement celle que Littré assigne à l’o de motus.

Ainsi, il y a tout lieu de tenir motus, interjection de recommandation, de prière, non pour dérivé du latin mutus signifiant muet, ni un composé de la finale latine us jointe à mot, mais bien pour la condensation en quelque sorte de la phrase : surtout que ces mots soient tus.

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