LA FRANCE PITTORESQUE
Rébus : rencontre de l’art
et de l’ingéniosité
(D’après « Essai historique et bibliographique sur les rébus »
(par Octave Delepierre), paru en 1870)
Publié le dimanche 9 juin 2019, par Redaction
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Se perdant dans la nuit des temps, les caractères des Chinois ou les hiéroglyphes des Égyptiens nous ayant conservé des traces très évidentes de cette origine, le rébus, qui fut chez nous très en vogue dès le XVIe siècle, s’est peut-être souvent glissé où nous ne le soupçonnons guère, le célèbre historien et bibliophile Constant Leber écrivant : « Que de rébus, prétendus hiéroglyphiques, ne figurent dans nos musées, décorés de ce docte titre, que parce que l’esprit et les types en sont perdus pour nous, et qu’il ne nous reste dans leurs images, que des énigmes indéchiffrables où l’on voit tout ce que l’on veut, depuis qu’on ne sait plus reconnaître ce qui s’y trouve »
 

On trouve les rébus, comme toutes choses, chez les Romains. Jules César fit représenter un éléphant sur quelques-unes de ses monnaies, parce qu’en Mauritanie, l’éléphant s’appelait César. Cicéron dans sa dédicace aux Dieux s’est désigné sous les noms de Marcus Tullius, suivis de la représentation d’un pois chiche, appelé cicer par les latins.

Le rébus, on le voit, est la figure naturelle, l’image propre, simple et directe de l’objet qu’il représente ; il montre au doigt, pour ainsi dire, la chose telle qu’elle est, sans rappeler l’idée d’aucune autre. C’est en quoi il diffère essentiellement de l’emblème et de la devise qui ne sont que l’expression indirecte d’une pensée plus ou moins déguisée sous une image analogue et dont l’essence est dans l’allusion. Il y a encore cette différence entre ces deux sortes d’images, que l’emblème est toujours un tableau de la pensée rendue sensible sous une forme d’emprunt, tandis que le rébus ne peint le plus souvent que le mot, et ne rend la pensée que par des équivoques.

Le rébus dit Littré dans son Dictionnaire, est un jeu d’esprit qui consiste à exprimer, au moyen d’objets figurés, ou de certains arrangements, les sons d’un mot ou d’une phrase entière qui reste à deviner. Dans le sens figuré c’est une équivoque, un mot pris dans un autre sens que celui qui est naturel.

Les songes drolatiques de Pantagruel, par François Rabelais (1565)

Les songes drolatiques de Pantagruel, par François Rabelais (1565)

Les rébus pourraient servir à composer des livres pour les hommes qui ne savent pas lire, car ce sont des images qui parlent principalement aux yeux ; ils ont eu en Europe une célébrité réelle comme les détails suivants vont le prouver. Cependant, contre toute attente, le facétieux Rabelais s’est montré très irrité contre les rébus de Tabourot, qu’il cite dans le passage suivant :

« En pareilles ténèbres sont comprins ces transporteurs de noms lesquels voulant en leurs devises signifier espoir, font pourtraire une sphère ; des pennes d’oyseaux, pour poines ; de Lancholie (sorte de chou) pour mélancolie ; la lune bicorne, pour vivre en croissant ; un banc, rompu, pour banqueroute ; un list sans ciel, pour licentié. Qui sont homonymies tant ineptes, tant fades, tant rusticques et barbares, que l’on debvroit attacher une queue de renard au collet, et faire un masque d’une bouge de vache à un chascun d’iceulx qui en vouldroit dorenasvant user en France, après la restitution des bonnes lettres. »

Malgré cet anathème, Rabelais, pour plaire sans doute au peuple et aux provinciaux, s’est laissé aller lui même à nombre de quolibets et de rébus en paroles. De bonne foi, d’ailleurs, appartenait-il bien à l’auteur des Songes drolatiques de fulminer contre les rébus une pareille sentence ? Cette sainte fureur de maître Rabelais, à propos de compositions bizarres et de mauvais goût, ne serait-elle pas une facétie déguisée, comme tant d’autres dont ses livres sont remplis ? Le premier poète de son temps, moins difficile, et d’une autorité tout aussi imposante que la sienne, Clément Marot (coq à l’asne à Lyon Jamet) aurait pu l’envoyer dans l’île des Lanternes, faire le dégoûté, dit Leber dans son Introduction au mémoire de Mgr Rigollo sur les monnaies inconnues des évêques des Innocents et des Fous (1837). Il ajoute :

« Je n’abandonnerais pas sans regrets mes innocents rébus au mépris qui semble les réclamer ; j’oserais même les préférer à des sujets plus piquants et plus graves d’une autre école, et enfin je ne rougirais pas de m’y intéresser. Les choses, les plus futiles en apparence, peuvent se recommander par leur excès. Or il y a tels rébus dont la conception est si extravagante, ou si sérieusement bouffonne, qu’il est impossible de les deviner sans éclater de rire, tant le sujet en est ridicule, et l’exécution pitoyable ; d’autres présentent une image tellement compliquée, que les facultés intellectuelles y trouvent de quoi s’exercer longtemps avant d’en pénétrer le mystère. Les rébus peuvent dont être bons à quelque chose, car c’est quelque chose pour le commun des hommes de trouver une occasion de rire ou de s’exercer l’esprit. »

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords, avec les Apophtegmes du sieur Gaulard et les Escraignes dijonnaises, par Étienne Tabourot dit Tabourot des Accords

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords, avec les Apophtegmes du
sieur Gaulard et les Escraignes dijonnaises
, par Étienne Tabourot dit Tabourot des Accords

Maltraité par Rabelais, le livre des Bigarrures du Seigneur des Accords d’Étienne Tabourot traite spécialement le sujet des rébus, est aujourd’hui très recherché des bibliophiles. Il les nomme dans son chapitre intitulé Des rébus de Picardie, « par la raison, dit-il, que les Picards, sur tous les Français, s’y sont infiniment pleus et délectez, et qu’on les a baptisés du nom de cette nation par Autonomasie, ainsi que l’on dit Bayonnettes, de Bayonne, ciseaux de Tholose, couteaux de Langres, moutarde de Dijon. Ce sont des équivoques de la peinture aux yeux. » Il ajoute ailleurs : « Sur toutes les folastres inventions du temps passé, j’entends depuis environ trois ou quatre ans de ça, on avait trouvé une façon de devises par seules peintures qu’on soulait appeler rébus. » Cette observation semblerait indiquer que Des Accords croyait le rébus d’invention moderne.

Un second chapitre est consacré à une autre façon de rébus, qu’il appelle rébus par lettres, chiffres, notes de musique et noms sous-entendus, par superposition de mots ou de lettres. L’ouvrage renferme seize rébus gravés dans des médaillons, et dont quelques uns sont fort originaux. Lorsqu’il envoya la 2e édition de son livre au savant Pasquier, conseiller et avocat général du roi, à Paris, celui-ci lui adressa en remerciement une longue épître dont nous donnons quelques extraits, tant parce qu’elle nous apprend plusieurs particularités curieuses que parce que le recueil de lettres de Pasquier est assez rare.

« A Monsieur Tabourot, Procureur Du Roy Au Bailltage De Dijon.

« J’ay leu vos belles Bigarrures et les ay leues de bien bon cœur, non seulement pour l’amitié que je vous porte, mais aussi pour une gentillesse et naïveté d’esprit dont elles sont pleines, ou pour mieux dire pour estre bigarrées et diversifiées d’une infinité de beaux traits.

« J’eusse souhaicté qu’en la seconde impression on n’y eust rien augmenté. S’il m’est loisible de deviner, il me semble que l’on y a ajousté plusieurs choses qui ne ressentent en rien de vostre naïf esprit, et croirois fort aisément que c’eust esté quelqu’autre qui vous eust mal à propos preste ceste nouvelle charité. Il faut en tel sujet que l’on pense que ce soit un jeu, non un vœu, auquel fichions toutes nos pensées. Vous cognoistrez par là que je vous aime et vous honore, puisque pour la première fois je vous parle aussi librement. Au demeurant je trouve qu’en cette seconde impression vous appropriez à Jacques Pelletrier les facéties de Bonaventure Du Perier. Vous me le pardonnerez, mais je croy qu’en ayez de mauvaise mémoire. J’estois un des plus grands amis qu’eust Pelletier, et dans le sein duquel il desploioit plus volontiers l’escrain de ses pensées. Je seay les livres qu’il m’a dit avoir faits. Jamais il ne me feit mention de cestuy. Il estoit vrayment poète et fort jaloux de son nom, et vous asseure qu’il ne me l’eust pas caché ; estant le livre si recommandable en son sujet qu’il mérite bien de n’estre non plus désavoué par son autheur que les facéties latines de Poge Florentin. Du Perier est celuy qui les a composées et encore un autre livre intitulé : Cymbalum mundi, qui est un Lucianisme qui mérite d’estre jette au feu, avec l’autheur, s’il estoit vivant.

Page extraite du chapitre Des rébus de Picardie, paru au sein des Bigarrures et Touches du seigneur des Accords

Page extraite du chapitre Des rébus de Picardie, paru au sein des Bigarrures
et Touches du seigneur des Accords

« J’adjousteray à la suite de cecy que les deux vers françois rétrogrades que vous attribuez à Monsieur l’Official Tabourot, sont miens. Il y a plus de quinze ans qu’il les eust de moy, et en prit la copie chez feu Monsieur d’Ampierre, maistre des comptes, sien purent, et mon voisin.

« (...) Celuy qui des premiers a fait entre nous ouverture aux rébus, est Geofroy de Thory, en son livre de Champ Fleury, que je vous souhaite non seulement pour cest argument, ains pour tout le discours de votre œuvre. D’autant que vous pourriez en recueillir plusieurs belles instructions non esloignées de votre but. (...) Je scay bien que quelque malhabile homme qui voudra faire le stoïque, ou pour mieux dire, trancher du sot, estimera la plus grande partie de ce que dessus (c’est à dire toutes les espèces de jeux d’esprit qu’il a cités) bouffonneries ; mais un autre qui sera mieux né les estimera belles fleurs. Il n’est pas dit qu’il faille toujours mettre la main à œuvres graves et sérieuses. Tout ainsi que le corps s’alimente et nourrit de viandes solides, et néantmoins reprend quelquefois goust des salades et herbages qui sont de peu de substance, ainsi est-il de nos esprits lesquels il est bienséant d’assortir de fois à autres d’un doux entremets de gayetés et gaillardises. Puisque la présente est vostre désormais, vous en ferez ce qu’il vous plaira, tout ainsi comme de l’autheur qui désire se perpétuer en vos bonnes grâces. A Dieu ! »

Étienne Tabourot lui-même n’accordait pas plus de valeur qu’il ne faut à ces jeux d’esprit : « Je ne conseille pas de s’y amuser, dit-il, sinon par forme de passe-temps, à quelques gens de loisir, au lieu de branler leurs jambes. Car quant à ceux qui penseraient être vus ingénieux et savants, en si frivoles recherches, je les estime dignes de chercher toute leur vie des épingles rouillées à l’endroit des gouttières. »

De qui louange. Rébus inséré au sein de Rondeaux d'amour, composé par signification (1521)

De qui louange. Rébus inséré au sein de Rondeaux d’amour, composé par signification (1521)

Gilles Ménage prétend que le nom de rébus leur viendrait de ce que les clercs de la Basoche de Picardie s’amusaient tous les ans, au Carnaval, à réciter au peuple d’Amiens des facéties et satires bouffonnes, où ils faisaient grand usage d’allusions équivoques figurées par des rébus, et qu’ils appelaient en latin : De rebus quae geruntur, c’est-à-dire : Nouvelles du jour. Ces revues plus ou moins piquantes des aventures et intrigues de l’année dans la ville et les faubourgs avaient le mérite d’une pointe de scandale qui donnait à chacun la joie d’entendre rire de son voisin. Le mot de rébus était le seul du titre, qui était resté dans le souvenir et dans la bouche du peuple, lorsque ces jeux dégénérèrent en licence et furent interdits par l’autorité.

Furetière et Menestrier donnent sur l’origine du mot la même explication que Ménage. Toutefois Leber veut que la Basoche picarde ait usurpé le mérite de l’invention, et est porté à croire qu’elle n’a fait que développer et perfectionner un art des plus anciens. L’idée mère des rébus, dit-il, doit venir de plus loin. Elle appartient vraisemblablement à l’enfance de la société.

Le premier alphabet né des besoins de la civilisation n’était guère qu’une chaîne de rébus, c’est-à-dire une image matérielle, non de la pensée, mais des objets mêmes dont la pensée n’est que la réflexion. Tel fut évidemment, dans son origine, l’art de peindre la parole chez les deux peuples les plus anciens du monde, comme les Chinois et les Égyptiens. Les caractères si nombreux, si compliqués de l’écriture chinoise, ne pouvaient être primitivement que des rébus. Il en est de même de la pictographie des anciens Mexicains, sur laquelle un savant français nous a donné de si singuliers détails.

Tout annonce aussi que les hiéroglyphes vulgaires de l’Égypte antérieure aux temps historiques, participaient plus ou moins de cette nature d’images. Il n’est pas même bien certain que les anciens n’aient pas connu le rébus proprement dit. Il existe dans le cabinet des antiques de la Bibliothèque nationale deux ou trois petites peintures sur verre, en forme de médaillon, et de l’époque du Bas-Empire, exécutées au moyen de l’application d’une substance métallique, dont l’une a tout à fait l’apparence d’être un rébus.

Ils sont si fols qu'ils se heurtent. Rébus extrait de Rébus de Picardie

Ils sont si fols qu’ils se heurtent. Rébus extrait de Rébus de Picardie

On rencontre plusieurs rébus dans des recueils de poésies et d’autres livres gothiques de la première moitié du XVIe siècle. Au nombre des plus curieux sont les deux Rondeaux d’amour, composé par signification qui se trouvent à la fin du recueil excessivement rare intitulé : Opera jocunda Johannis Georgii Alioni Astensis, metro macharonico materno et gallico composita (1521).

Un second sonnet en rébus figurés, également de la première moitié du XVIe siècle, est extrait du livre de Jean Baptiste Palatin. Il peut être mis, avec celui d’Alione, au nombre des plus longs rébus composés en ce siècle, et mis à côté de la prière à la Vierge, entièrement en rébus, qui se trouve dans un livre d’Heures imprimé vers 1500, orné d’un grand nombre de figures bibliques. Leber l’a reproduite avec la traduction.

C’est le lieu de mentionner ici deux manuscrits de la Bibliothèque nationale exécutés vers la fin du XVe siècle, ou au commencement du XVIe. Le premier contient 166 rébus. C’est un in-folio sur papier, ayant pour étiquette : MS, Rébus de Picardie enluminés. Il se compose de 150 feuilles, portant sur le recto un rébus dessiné ordinairement d’une manière large et spirituelle et indiquant un bon artiste. Seize autres rébus se trouvent sur le verso. Le dessinateur n’ayant ajouté ni titres ni explications, deux personnes, probablement au XVIe siècle, s’évertuèrent à les trouver, mais faute d’entendre le Picard commirent plusieurs méprises. Le premier interprète dont l’écriture est très belle, écrivit son explication au-dessus des rébus qu’il devina. Le deuxième interprète donna son explication sur une feuille détachée.

Fol est qui se soucie. Rébus extrait de Rébus de Picardie

Fol est qui se soucie. Rébus extrait de Rébus de Picardie

Le deuxième manuscrit est in-4°, contient 152 feuilles et autant de rébus, qui sont presque entièrement les mêmes que ceux du manuscrit précédent. Quatre ou cinq au plus, lui sont propres ; mais ce qui donne de l’avantage à ce dernier manuscrit, c’est qu’il est accompagné d’une table explicative des rébus, ainsi intitulée : « S’en suit la table et répertoire de ce présent livre de rébus, enseignant la signification d’un chacun blason, et le lieu où il est ».

C’est avec raison que ces rébus doivent être qualifiés de rébus de Picardie, car la plupart ne peuvent être lus et expliquas qu’à l’aide de la connaissance des mots propres au Picard ; surtout de la prononciation qui caractérise cette langue provinciale,, jadis d’une véritable importance, puisqu’il est établi qu’au XIIIe siècle, on parlait en France trois principaux dialectes : au midi la langue d’Oc, au centre la langue d’Oil, ou française, et au Nord la langue Picarde. Voici trois de ces rébus, avec leur explication :

1° Six fous placés vis-à-vis l’un de l’autre, se heurtent la tête (heurter signifiant ici se quereller, se battre) : Ils sont si fols qu’ils se heurtent
2° Une mère folle tenant la marotte ; à côté, une seringue (nommée esquisse en Picard) et une fleur de souci : Fol est qui se soucie
3° Une religieuse fouette un abbé ; à côté, un os : Nonne abbé bat au cul, os donnant la phrase latine None habebat oculos

None habebat oculos. Rébus extrait de Rébus de Picardie

None habebat oculos. Rébus extrait de Rébus de Picardie

Vers la fin de ce même XVIe siècle (1592), une image in-folio reproduite ci-dessous), conservée également à la Bibliothèque nationale, présente un sonnet-rébus en faveur de Henri IV, qui exprime les doléances des royalistes contre les excès de la Ligue. Voici la solution du rébus :

Qui veut dépeindre au vif la pauvre France,
Peigne un navire à la merci des flots,
Une vipère, un embrouillé chaos,
Où la discorde ore [maintenant] a toute puissance
Comme Actéon par rage et violence,
Elle est des siens, la proie à tous propos,
Et les petits pâtissent pour les gros.
Ainsi tout tombe en grande décadence,
On a chassé du tout l’amour de Dieu,
La charité vers le prochain n’a lieu
Toujours croissant, le vice y prend racine,
Comme au Déluge aussi Dieu veut ôter
Ces vipéreaux nés pour la tourmenter,
Et paix n’aura jamais qu’en sa ruine.

Les rébus ne sont pas seulement entrés dans les livres de prières, comme nous venons de le voir, mais ils se sont même attaqués jusqu’aux livres Saints. Une partie des Évangiles a été imprimée en rébus, de même que le Tractatus colloquii peccatoris, et le Pange Lingua. L’Église laissait faire, et voilà, dit Feuillet de Conches dans ses Causeries d’un curieux en 4 volumes (1862-1866), que le petit bourgeois, le petit marchand, se prit à son tour de folie pour le rébus, au XVIe siècle. Villes, faubourgs, villages et bourgades s’émaillent d’enseignes en rébus illustrés, où l’esprit gaulois trouva lieu de s’épanouir, et la bêtise, occasion de se donner franche coudée.

Sauval, dans ses Antiquités de Paris, cite plusieurs enseignes en rébus. Outre la place qu’ils occupent dans les prières des églises, on les rencontre aussi dans le champ des sépultures. Les anciens cimetières de Picardie offraient de nombreux exemples de ces bizarres ornements. Les rébus surgissaient en Picardie, comme les pommes de terre, chez un peuple voisin.

Rébus des misères de la France en date de 1592

Rébus des misères de la France en date de 1592

Les rébus ont précédé les emblèmes et les devises qui en sont sortis sans les détruire. Le Coq gaulois symbolisant les Français (Galli) ne fut qu’une figure de rébus. Les emblèmes énigmatiques des armoiries et des armes parlantes ne sont encore que des rébus. Guillaume d’Orange avait mis dans ses armes un cornet, à cause de curt (court) et nez, surnom que lui avait valu son nez camus. De même Colbert adopta dans ses armes la couleuvre, à cause du mot latin coluber. Cette espèce d’écriture hiéroglyphique est connue en France et en Italie depuis le XVe siècle, et au XVIe, ces jeux d’esprit étaient fort en vogue.

Les libraires et les imprimeurs surtout réclament leur place, pour l’emploi de ces rébus. Ainsi une galiote était la marque de Galiot du Pré, avec l’inscription : Vogue la guallée. Toussains Denis, un saint Denis tenant sa tête entre ses mains et soutenu par deux anges ; Les Angeliers frères, deux anges liés par un nœud que Jésus tient en la main, avec la devise Les anges liés d’un amour vertueux, alliance immortelle ; Jean de la Marre, des canards et des joncs au milieu d’une mare d’eau ; Jean Marechal, trois forgerons, battant le fer ; Pierre le Chandelier, un chandelier à sept branches, avec la légende Lucernis accensis, fideliter ministro. Ces sortes de rébus sont extrêmement nombreux.

Les peintres et les graveurs ont fait également usage des rébus pour leurs marques et signatures, mais avec infiniment plus de sobriété que les libraires et imprimeurs. Citons également les rébus par lettres ou syllabes et par transposition. Parmi les premiers on peut citer les suivants :

G.A.C.O.B.I.A.L.N. J’ai assez obéi à Hélène.
A.B.C.D.L.A.V.Q. Abbé, cédez, elle a vécu.

Marque de Galliot du Pré, libraire juré de l'Université de Paris qui exerça de 1512 à 1560

Marque de Galliot du Pré, libraire juré de l’Université de Paris qui exerça de 1512 à 1560

Voici des syllabes qui placées les unes sur les autres, ainsi :

Pir. vent. venir.
Un. vient. d’un.

signifie : Un soupir vient souvent d’un souvenir.

Pendant la Révolution française, les rébus furent exclusivement politiques. Au commencement de l’an VII, une caricature représentait les cinq Directeurs, et au-dessous étaient gravés une lancette, une laitue et un rat : L’an VII les tuera. Le jour des Rois 1796, on envoya au Directoire un gâteau sur lequel était figurée la liberté au milieu du soleil : la liberté dans le plus grand des astres.

Sous l’Empire et sous la Restauration, les rébus n’eurent plus guère pour domaine que les enveloppes des bonbons et la surface des assiettes. Le journal l’Illustration qui parut en mars 1843, les prit sous son patronage. Dans chaque numéro il y eut un rébus dont l’explication était donné dans le numéro suivant. Voici comment s’exprime un des collaborateurs de ce journal dans l’Almanach de l’Illustration de 1844 : « Les rébus de l’Illustration font le délice des souscripteurs ; ils ont seuls valu à cet estimable journal plus de vingt-cinq mille abonnés. On les attend avec impatience ; on en cherche le sens avec persévérance ; des paris s’ouvrent sur leur véritable signification, et les personnes qui les ont devinés s’applaudissent avec raison de leur perspicacité. »

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