LA FRANCE PITTORESQUE
Verger
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Publié le vendredi 24 mai 2019, par Redaction
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Jardin à fruits
 

En latin, vert se disait viridis, et, de ce mot, on avait fait viridarium, pour désigner un lieu où il y avait de la verdure, de l’ombrage, et aussi un bosquet : Composuit pulcherrimum ibidem, viridarium, ex quo cuncti venientes habere possunt edulium (Cité par Du Cange).

Mais, dans un tel lieu, on ne mettait pas que de la verdure, on y plantait aussi des arbres fruitiers, comme nous l’apprendrait cette citation dans le cas où les conjectures seraient insuffisantes : Sunt et atria et porticus ante has utrasque cameras, et viridarium spatiosum et delectabile hospitibus cum pluribus diversos fructus ferentibus (Chronique S. Trudonis, lib. 10).

Et, plus tard, probablement, ces arbres finirent par y dominer, et le viridarium fut ce que nous entendons aujourd’hui par verger.

Or, comment le mot latin a-t-il pu se transformer en notre mot français ? D’abord, le d s’est changé en g (consonne qui permute avec v, en laquelle s’est transformé le d de gladius et de paradisus pour former glaive et parvis), et viridarium est ainsi devenu virigarium, ce qui est attesté par la citation suivante, empruntée à une charte de l’an 1000 : Iterum cedo jure ac ditioni supradictarum eeclesiarum... virigario consito lateribus eorum sicut habere debent per nota illorum ciminteria.

Cueillette des fruits. Chromolithographie publicitaire Au Bon Marché de 1889

Cueillette des fruits. Chromolithographie publicitaire Au Bon Marché de 1889

Ensuite, virigarium, en vertu de la règle qui supprime la brève avant la syllabe accentuée, est devenu virgerium : Ego Jaufredus Carbonellus dono totam partem haereditatis meae de uno virgerio simul cum mansuario (Cité par Du Cange). Signalons ici qu’en effet, le passage d’un mot latin en français s’est accompli sous l’influence de trois règles données comme infaillibles dans la Grammaire historique de la langue française d’Auguste Brachet, la deuxième d’entre elles étant que toute voyelle brève précédant immédiatement la voyelle tonique disparaît toujours en français. Ainsi, de postura on fit posture ; de populatus on fit peuplé ; de pectorale on fit poitrail.

Enfin, virgerium était traduit en français par vergier, dans le Roman de la Rose, oeuvre poétique que l’on sait appartenir au XIIIe siècle :

Ci dit que le villain Dangier
Chaça l’Amant hors du vergier
A une maçue à son col.

Encore une légère modification dans la finale, et le mot avait sa forme actuelle. Puisque verger vient de viridarium, et que ce dernier désignait dans l’origine un lieu avec des arbres fruitiers, il en résulte qu’entre verger et jardin à fruits il y a comme un rapport de filiation, le premier ayant été en quelque sorte formé par l’autre.

On trouve parmi les pièces de la fin du XIIIe siècle publiées par Achille Jubinal le passage suivant extrait de De l’Yver et de l’Esté, volume 2, où l’Esté dit :

Je faz russinole chaunter,
Arbres floryr, fruit porter,
Sauntz countredit ;
Je faz floryr le verger,
Fueil et flur novel porter,
A grant délit.

passage qui fait assez entendre que verger ne signifiait point encore lieu planté d’arbres fruitiers (l’été fait fleurir le verger et lui fait porter des feuilles et des fleurs nouvelles, mais il n’est point question de fruits), et que, d’un autre côté, la description du verger dans le Roman de la Rose mentionne toutes les espèces d’arbres fruitiers en ce lieu :

Nus arbres qui soit, qui fruit charge,
Se n’est aucuns arbres hideus,
Dont il n’i ait ou un ou deus
Ou vergier, ou plus, s’il avient.

on peut, semble-t-il, en conclure, sans trop de témérité, que l’emploi de verger, dans le sens de jardin à fruits, remonte au temps qui s’écoula entre la composition du premier de ces textes et celle du second.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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