Marque le dédain, le mépris, l’aversion
L’interjection foin se construit d’une manière identique à celle fi (seule ou avec la préposition de devant le nom de la chose qui répugne, qu’on repousse), et elle a évidemment une signification analogue, témoin les exemples suivants, qui présentent alternativement ces deux interjections dans les conditions susdites :
Sans la préposition de
Fi ! ne m’approchez pas : votre haleine est empestée (George Dandin, Molière).
Foin ! voilà un habit tout gasté (Dictionnaire de l’Académie, édition de 1694).
Avec la préposition de
Fy de fortune, fy d’amour mondaine, fy du monde, car tout est faux (Perceforest, tome 4, fol. 151).
Foin du plus parfait des mondes si je n’en suis pas (Neveu de Rameau, Didier).
Il est donc à croire que, grâce à cette identité de construction, qui semble faire de foin une espèce de terme de rechange, ce mot a pris son origine dans le même ordre d’idées que fi lui-même. Or, qu’exprime fi ? Un sentiment de dégoût, de répugnance : il faut que foin vienne d’un vocable exprimant là même idée. Cherchons ce vocable.
La fouine. © Crédit illustration : Araghorn
Dans son Glossaire du centre de la France, le comte Jaubert tire cette exclamation de Fouin, terme du patois berrichon, dans lequel on dit : « Il pue comme un fouin ; oh, le petit fouin ! en parlant d’une personne qui sent mauvais, et de là fouin, mal écrit foin. »
Quoiqu’il semble que cette étymologie soit en quelque sorte justifiée par celle du mot chafouin (chat qui ressemble à une fouine, d’apparence grêle et sournoise), lequel se dit dans la Saintonge et dans le Berry pour fouine, elle semble erronée, pour les raisons suivantes :
1° Il semble n’y avoir jamais eu un nom d’odeur employé comme interjection, parce que le propre de cette espèce de mots est d’exprimer une sensation éprouvée par celui qui parle, tandis qu’un nom d’odeur, comme tous les noms du reste, n’est dans lé discours que le signe d’un objet ;
2° Il existe plusieurs substances qui offensent l’odorat autant et certainement plus souvent que l’animal en question, car il fuit l’homme. Or, en supposant que l’interjection exprimant la répugnance et le dégoût puisse être faite d’un nom de chose signifiant une mauvaise odeur, n’est-il pas évident qu’un tel nom aurait été employé ici de préférence à celui de fouin ?
3° D’un autre côté, la construction s’oppose formellement à ce que fouin soit une interjection. En effet, si l’on veut exprimer sous forme d’exclamation que quelqu’un est un fouin, il faut toujours faire suivre ce mot de la préposition de et d’un substantif, comme dans : Fouin d’enfant ! par exemple, tandis que l’interjectif foin peut, lui, se construire aussi bien seul qu’accompagné d’un complément.
Mais si foin, lieutenant de fi, en quelque sorte, ne peut venir de fouin, nom d’animal, d’où vient-il ? Dans une liste d’expressions locales, on trouve le verbe foiner au sens de se sauver : « Comme il foine ! » Et ce verbe qui est mentionné dans le Supplément au Glossaire de la langue romane (1820) du philologue Jean-Baptiste de Roquefort (1777-1834), mais sous la forme fouiner — Roquefort donne de ce verbe la définition suivante : « S’enfuir, échapper. Verbe d’imitation dans lequel on exprime l’action d’un homme qui s’esquive lestement à petit bruit et adroitement comme la fouine » —, existe dans le langage populaire à Paris, où il a pour dérivé fouinard, qui n’est pas courageux, qui fuit à la moindre apparence de danger.
N’est-ce pas là l’étymologie véritable de foin ? De même que le verbe fuir a donné le substantif fi dans fi de, de même le verbe foiner aurait fourni foin dans foin de, et cela, comme une foule de nos verbes forment le substantif qui leur correspond (ranger, rang ; sauter, saut, etc.) ; seulement foin aurait été pris dans la double fonction d’interjection proprement dite et de substantif interjectif.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.