LA FRANCE PITTORESQUE
Noël, au temps passé
(D’après « Au pays des légendes » (par Eugène Herpin), paru en 1901)
Publié le vendredi 20 décembre 2019, par Redaction
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Si les jolies traditions populaires dont tous les peuples ont voulu poétiser la radieuse et sainte Noël varient suivant les époques en mettant en scène sabot, arbre de Noël ou encore crèche, il est en qui occupent du Moyen Age au XXe siècle une place privilégiée : la bûche et les chants
 

Au début du XXe siècle, c’est le gui des pommiers qu’on suspend à la rosace des plafonds, en mémoire de nos lointains aïeux, les Gaulois ; c’est le mignon sabot qu’on dépose, au bord de la cheminée ; c’est l’arbre de Noël et le bonhomme Hiver qu’on offre aux bébés bien sages... À la fin du XIXe, la joie de Noël, c’était surtout la crèche familiale qu’animaient Filandre, la Mondaine, les Rois Mages, les riantes maisons de carton, les naïves poupées à ressorts qui s’en allaient, par les chemins sablés, vers l’Enfant Jésus en cire, lui portant les petits moutons blancs de nos bergeries.

L’épicier de la famille donnait aux enfants un paquet de petites bougies multicolores. La crèche s’embrasait, et, tous en chœur, on se mettait à chanter, devant le naïf paysage :

Sus ! sus ! bergers, réveillez-vous !
Sus ! sus ! bergers, réveillez-vous !
Le bruit croissait de plus en plus !
Ils criaient comme des perdus :
C’est trop dormir, qu’on se réveille !
Ils répétaient toujours cela !
Bergers, venez voir la Merveille,
Et vos moutons, laissez-les là !
Et vos moutons, laissez-les là !

Le symbole de Noël était alors également la grosse bûche traditionnelle — la bûche de Noël — à laquelle le chouberski, la salamandre, les cheminées au charbon de terre ou au pétrole ont porté un coup irréparable.

Couverture de Le petit Noël par O. Dupin, paru en 1869

Couverture de Le petit Noël par O. Dupin, paru en 1869

Mais plus anciennement, avant la Révolution, à l’époque du Moyen Age, quels étaient donc, chez nous, les populaires usages, les fêtes familiales, les naïfs usages qui symbolisaient la Noël ? Voici quelques-unes de ces lointaines traditions, depuis longtemps disparues.

Dès le matin de Noël, le seigneur féodal et tous ses vassaux se vêtaient de leurs plus riches vêtements, et on faisait alors entrer « les hautbois de l’Avent », ces musiciens qui, les quatre dimanches précédant Noël, s’en allaient, le soir, de porte en porte, jouer leurs plus beaux Noëls. Ils ne sont pas sans rappeler les pastorales, ainsi que de cette fameuse « Chanson des œufs » qu’on allait encore, au tout début du XXe siècle, dans toute la Basse-Bretagne, chanter la nuit de Noël, de village en village :

J’ai un p’tit coq dans mon panier,
Qui n’a pas encor chanté.
S’il n’a pas chanté,
Il chantera !
Alléluia !

Cependant, le seigneur du village, accompagné des « hautbois de Noël » et de ses vassaux parés de leurs plus riches atours, se rendait, musique en tête, au parc des coulpes forestiers, c’est-à-dire des délits forestiers. « Ce parc, nous apprend un ouvrage consacré à Paris paru en 1837, clôt une enceinte voisine du château, où l’on renfermait les bêtes prises en dommage, dans l’étendue des domaines seigneuriaux. Le prévôt et le sénéchal, après avoir fait le signe de la croix et dit à haute et intelligible voix : Pax sit inter vos, faisaient sortir et rendaient, à leurs maîtres, les bœufs et les ânons, car ces animaux sont, pendant les trois jours de la fête, en grande vénération, en souvenir du bœuf et de l’âne qui se trouvaient dans la crèche.

« À la nuit tombante, commençaient d’autres réjouissances. Dès que la dernière lueur du jour s’était fondue dans l’ombre, les habitants du pays avaient grand soin d’éteindre leurs foyers, puis ils allaient en foule allumer des brandons, à la lampe qui brûlait dans l’église, en l’honneur de la Mère de Jésus. Un prêtre bénissait les brandons ; l’on allait aussitôt se promener dans les champs : c’est ce qu’on appelait la fête des flambarts. Ces flambarts portaient ainsi le seul feu qui régnât dans le village, c’était le feu bénit et régénéré qui devait jeter de jeunes étincelles, sur l’âtre ravivé ».

Cependant, voici le soir qui tombe. Le chef de famille, suivi de ses enfants et de ses serviteurs, se rend processionnellement chercher les restes de la bûche de Noël, ses derniers tisons, pieusement déposés en relique, dans une des armoires du logis. Il les dépose devant le foyer. Après quoi, tout le monde se met à genoux, et, à haute voix, l’aïeul récite alors le Pater, cependant que deux valets de ferme s’approchent de la grande cheminée familiale et y déposent la nouvelle bûche de Noël, tronc de chêne superbe et rugueux, qu’on appelle « la coque de Noël. »

Frontispice de La fée sucrée ou La nuit de Noël par Adèle de Nouvion, édition de 1860

Frontispice de La fée sucrée ou La nuit de Noël par Adèle de Nouvion, édition de 1860

L’aïeul y met le feu, après l’avoir aspergée d’eau bénite. Pendant ce temps, dans le coin de la chambre, le nez au mur, les petits enfants prient, à mains jointes. Ils prient, à haute voix, demandant à l’Enfant-Jésus des bonbons, des joujoux, des dragées et des fruits confits. Et voici la flamme qui s’allume, les sarments secs qui pétillent. « Voyez ! voyez ! » leur crie-t-on. Les enfants accourent. Le foyer est enguirlandé de jouets et de friandises. Descendu par le grand trou de la cheminée qui flamboie, c’est l’Enfant-Jésus qui les a déposés, autour de la belle bûche de chêne, tout comme, aujourd’hui, il les dépose, dans le petit sabot de nos enfants.

« Bûche première ! seconde bûche ! bûche vingtième ! bûche quarantième ! » disait-on, au Moyen Age, en apportant, chaque année, la nouvelle bûche de Noël. Cette formulette signifiait que déjà deux fois, déjà vingt fois, déjà quarante fois... l’aïeul avait ainsi présidé à la familiale solennité de Noël.

Et, durant toute la veillée, on chantait des Noëls, et, à minuit, on se rendait à l’église, par les petits « chemins de messe », en longues files, éclairant sa route avec des lanternes et des torches de résine.

Avant la préface, l’officiant offrait, au seigneur féodal, un morceau de pain bénit, ainsi qu’une fiole de vin qu’il lui présentait, sur une assiette richement décorée. Et la belle messe de minuit, alors, se poursuivait, aux chant des gais cantiques et des Noëls populaires.

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