LA FRANCE PITTORESQUE
Les Nadar,
une légende photographique
(Source : France Télévisions)
Publié le mardi 27 novembre 2018, par Redaction
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Sans connaître son nom, nous avons tous un jour ou l’autre aperçu les photos de Félix Nadar. Elles sont entrées dans les livres d’histoire. Les images que nous gardons des grands noms du XIXe siècle — les Sarah Bernhardt, Victor Hugo et Baudelaire — sont bien souvent les siennes. Portrait d’un inventeur génial à l’occasion de l’exposition Les Nadar à la Bibliothèque François Mitterrand à Paris.
 

Il s’appelait Gaspard Félix Tournachon. Un drôle de nom auquel il préférait son surnom de Nadar. L’histoire l’a un peu oublié. Il fut pourtant immensément célèbre en son temps. Nadar a immortalisé les géants des arts et des lettres du XIXe siècle : George Sand, Charles Baudelaire, Alexandre Dumas, Sarah Bernhardt, Gioachino Rossini, Eugène Delacroix, Victor Hugo... La liste est longue. Ce génial portraitiste a joué un rôle important dans la postérité de ses contemporains. Ses clichés peuplent nos livres d’histoire. Ils ont souvent, sans qu’on le sache, façonné notre mémoire.

Né en 1820, Nadar est un vrai touche-à-tout. Il commence par le dessin de caricature. Il travaille pour de petits journaux illustrés. En 1849, il est le premier dessinateur à publier une bande dessinée. Elle s’intitule Mossieu Réac. Il se lance ensuite dans la réalisation d’une grande fresque, le Panthéon Nadar. Il croquera près de 250 portraits en pied de ses contemporains : les hommes de lettres, les peintres, les musiciens, les journalistes... toutes les gloires en devenir de son siècle. En février 1854 paraît la première et unique planche. Ce sera un succès de presse mais un échec commercial. Qu’importe. Ce Panthéon inachevé fera sa renommée.

Nadar. Autoportrait réalisée vers 1856/1858. Épreuve sur papier salé d'après un négatif sur verre au collodion

Nadar. Autoportrait réalisée vers 1856/1858. Épreuve sur papier salé d’après un négatif
sur verre au collodion. © Crédit photo : The J. Paul Getty Museum

À la trentaine, Nadar se lance dans la photographie, une invention récente alors en plein développement. Il achète grâce à un prêt du vieux matériel de Daguerre et le transforme. Dans son premier atelier parisien, ouvert en 1853 rue Saint Lazare, vont défiler toutes les célébrités de l’époque. On s’y bouscule pour se faire tirer le portrait. Au point que les cochers transportant la clientèle rebaptiseront la rue Saint Lazare, rue Saint Nadar !

Il invente le portrait moderne
La Bibliothèque nationale François Mitterrand consacre une exposition aux Nadar, et notamment à Félix. Nous avons demandé à Jérôme Bonnet, un photographe dont les portraits sont régulièrement publiés dans Libération et Télérama, de nous donner ses impressions après la visite de cette exposition. Il se dit frappé par la modernité des clichés de Félix. « Il y a quelque chose dans ses photos qui n’a pas pris une ride, qui reste », explique-t-il. « C’est à la fois simple, très fort. Il n’y a aucun maniérisme. Les gens sont très présents. »

Selon lui, la magie de ses portraits est qu’ils ne sont pas du tout datés par une technique. « Nadar pose dès le départ des codes qui sont toujours valables. Il fait des portraits d’une manière qui a l’air évidente aujourd’hui sauf qu’à l’époque, personne ne le faisait (...) Par rapport à la technique de l’époque, il va aussi loin qu’il peut, même dans le mouvement, en ayant une expression pas du tout figée. Même la photo un peu floue de Baudelaire aurait pu être faite hier ».

Caricature de Nadar en marionnettiste de son atelier, parue en 1861 dans Le Gaulois. Petite gazette critique, satirique et anecdotique

Caricature de Nadar en marionnettiste de son atelier, parue en 1861
dans Le Gaulois. Petite gazette critique, satirique et anecdotique

La beauté de Sarah Bernhardt et la mort de Victor Hugo
L’exposition donne à voir quelques-uns des plus beaux portraits de Félix Nadar. La jeune Sarah Bernhardt, à l’orée de sa carrière, le corps drapé de noir, appuyée sur une colonne comme dans un décor de théâtre.

Le regard pétillant d’Alexandre Dumas. Nadar capte aussi le spleen de son ami Charles Baudelaire. La majesté de Théophile Gautier dans son manteau noir. Grand admirateur de Victor Hugo, Nadar est appelé le 22 mai 1885 pour photographier l’écrivain sur son lit de mort, une pratique usuelle à l’époque. Son fils Paul, qui l’accompagnait ce jour-là, estimait que ce cliché, pris par son père en larmes, était peut-être son chef-d’œuvre. Il raconte : « Mon père n’avait pas voulu transporter tout son matériel. Victor Hugo a été photographié à la seule lumière du jour et des lampes (...). C’est le soleil qui l’a éclairé pour la dernière fois ».

Dans l’excellent documentaire Nadar, le premier des photographes qu’elle a réalisé pour Arte avec Stéphanie de Saint Marc, Michèle Dominici explique que « Nadar sait prendre son temps ». Il réussit par exemple à convaincre son amie George Sand, qui n’avait guère goûté sa première expérience photographique, de venir dans son atelier. Il la fait bavarder. Ses traits se détendent. Elle sortira enchantée de sa séance de pose et trouvera ses photographies « superbes ». Pour Michèle Dominici, Nadar reste le premier grand portraitiste de la photo et le premier « faiseur de célébrités » du monde moderne.

Un aventurier de la photographie dans les airs
Cet aventurier de la photographie ne recule devant aucun défi. Fervent républicain, il croit fermement au progrès et s’intéresse à toutes les inventions de son temps. Il se passionne notamment pour la conquête de l’air et fonde la Société d’encouragement pour la locomotion aérienne au moyen d’appareils plus lourds que l’air. Il fait construire sur ses deniers personnels un immense ballon de 45 mètres de hauteur, « Le Géant ». Les recettes des ascensions devaient permettre de financer sa société.

Sarah Bernhardt photographiée par Félix Nadar vers 1864

Sarah Bernhardt photographiée par Félix Nadar vers 1864

Le premier voyage, au départ du Champs de Mars à Paris, fait événement, attirant 200 000 personnes. Mais le second se solde par un accident mémorable à l’atterrissage. Félix Nadar fait partie du voyage avec son épouse Ernestine. Le Géant s’écrase aux environs de Hanovre en Allemagne. L’exposition montre comment, à l’aide d’une grande nacelle, Nadar a tenté de reconstituer dans son atelier des images de cet accident. Criblé de dettes, il devra vendre le ballon en 1867 mais continuera à défendre la cause du plus lourd que l’air.

La terre vue du ciel
Nadar est l’auteur de la toute première photo de la terre vue du ciel. Ce cliché a aujourd’hui disparu mais on sait que c’est au dessus de la vallée de la Bièvre, dans l’Essonne, que Nadar a réussi l’incroyable à bord d’une montgolfière. La légende dit que pour réussir l’ascension, Nadar a dû se délester d’une grande partie de ses vêtements. Il fera des dizaines de tentatives avec une chambre photographique portative et un laboratoire ambulant. Il lui faudra des années pour améliorer la qualité de ses clichés aériens.

Pour sa biographe, Stéphanie de Saint Marc, difficile d’imaginer la révolution que cela représente à l’époque : « Un vrai basculement du regard » dit-elle. « Il y a une nouveauté totale qu’on a aujourd’hui du mal à apprécier ». Ses photos de l’Arc de Triomphe à Paris ou du bois de Meudon feront sensation. « Elles font partie de la légende de l’atelier Nadar », poursuit-elle. Ce n’est pas un hasard si Jules Verne prend Nadar pour modèle. Ce grand rouquin d’un mètre 90 lui a inspiré le personnage principal de Voyage de la terre à la lune : le capitaine Michel Ardan. Ardan n’est rien d’autre que l’anagramme de Nadar.

Nadar s'accrochant à un ballon. Caricature réalisée par Gill et publiée dans La Lune du 2 juin 1867

Nadar s’accrochant à un ballon. Caricature réalisée par Gill et publiée dans La Lune du 2 juin 1867

Les premières photos souterraines
Après le ciel, Nadar voyage dans les profondeurs. Sylvie Aubenas, responsable du département des estampes et de la photographie à la BNF nous fait découvrir, rangés dans de grands volumes, les clichés qu’il a réalisés dans les catacombes de Paris en 1862 puis dans les égouts en 1864. Sous terre, Nadar utilise pour la première fois la lumière artificielle qu’il a commencé à tester en atelier pour ses portraits. Sylvie Aubenas nous explique que les temps de pose étaient si longs, de l’ordre de 18 minutes, qu’il a eu recours à des mannequins pour figurer les personnes travaillant dans ces lieux souterrains. L’illusion est parfaite. Difficile en observant ces clichés de deviner le subterfuge.

Nadar inventera aussi avec son fils Paul la lampe au magnésium, en quelque sorte l’ancêtre du flash. Toute sa vie, en chercheur insatiable, il déposera des brevets. Certains exemplaires sont d’ailleurs présentés dans l’exposition. Il mourra brutalement en 1910 à l’âge, très respectable pour l’époque, de 89 ans. Ce génie flamboyant, un peu oublié par la postérité, repose dans une tombe discrète au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Renseignements pratiques
Exposition Les Nadar, une légende photographique
Bibliothèque François Mitterrand — Quai François Mauriac — 75706 Paris
Jusqu’au 3 février 2019
Site Internet : http://expositions.bnf.fr/les-nadar/

Valérie Gaget
France Télévisions

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