LA FRANCE PITTORESQUE
XVIe siècle (Costumes des hommes et femmes au),
sous le règne de Louis XII
(D’après un article paru en 1849)
Publié le samedi 16 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Pour la toilette comme pour toute autre chose, Louis XII fut la modération même. Voici ce que dit de lui, à cet égard, Claude de Seyssel, son panégyriste : « Il est plus pompeux en habillements et accoutrements de sa personne que ne fut le roi Louis onzième ; car, sans point de faute, celui-ci fut en cette partie trop extrême, tellement qu’il semblait bien souvent mieux un marchand ou homme de basse condition qu’un roi, ce qui n’est pas bienséant à un grand prince ; mais le roi qui est à présent a en ceci gardé tellement la médiocrité qu’on ne lui pourrait imputer d’être excessif en trop ni en trop peu. »

La mode, sous un roi si sage, se ressentit de l’exemple qu’il donnait à ses sujets ; elle fut riche sans faste, elle se tint dans la juste mesure où on pouvait dire d’elle aussi : ni trop, ni trop peu. Il ne convient donc pas d’attribuer, comme on l’a fait, à un débordement de luxe une loi somptuaire que Louis XII promulgua la dernière année de sa vie. Cette répression n’eut d’autre objet que d’empêcher l’exportation du numéraire sur les marchés de l’Italie ; et ce fut une conséquence de la faute que le roi avait commise en laissant tomber les manufactures de soieries créées par Louis XI ; car s’il y avait eu avantage à s’adresser de préférence à l’Italie lorsque Milan et Gênes étaient réunies à la couronne, cet avantage passager devint une servitude ruineuse lorsque nous eûmes perdu nos conquêtes.

Le costume du temps de Louis XII diffère peu de celui de la fin du quinzième siècle. Pour les hommes, la chemise était à larges manches, froncée et brodée autour du cou, où elle dépassait le pourpoint de deux ou trois travers de doigt. Elle se montrait encore à la taille, entre les attaches qui assujettissaient le haut des chausses après le pourpoint, et aux bras à travers les taillades des manches du pourpoint, soit que ces manches fussent formées de deux brassards attachés l’un à l’autre par des rubans, soit qu’elles fussent fendues en longueur du coude jusqu’au poignet.

Page de la vénerie de Louis XII D'après l'ouvrage de Willemin

Page de la vénerie de Louis XII
D’après l’ouvrage de Willem

Le pourpoint, veste courte ajustée à la taille, s’agrafait, se boutonnait ou se laçait sur le côté, de manière à former un plastron sur la poitrine. Il était de drap, de velours, de toile d’or ou de toute autre étoffe forte, et souvent décoré sur le devant d’une riche rosace en broderie. Les manches, coupées ainsi qu’on vient de l’expliquer, restèrent étroites jusqu’en 1514.

Les chausses étaient formées de trois pièces, à savoir : une paire de bas très longs, et un petit caleçon court comme celui des baigneurs. Ce caleçon était une modification des braies, dont le nom se perdit au commencement du seizième siècle pour être remplacé par celui de haut-de-chausses. Les chausses s’y attachaient à mi-cuisse par des cordons en passementerie ; d’autres fois l’attache était dissimulée, comme cela s’était fait dans le siècle précédent. Les pages, varlets et autres jeunes gens de condition commencèrent à porter sous Louis XII des chausses et hauts-de-chausses bariolés (on appelait cela écartelés) à la manière des Suisses. Ce bariolage, dont on voit beaucoup d’exemples dans les tableaux de l’école allemande, ne résultait pas de l’emploi d’une étoffe rayée, mais bien de la juxtaposition de bandes de drap de plusieurs couleurs.

L’habit de dessus admettait plusieurs formes. Lorsqu’il dépassait le genou, on l’appelait robe. La robe était plus ou moins longue, fendue par-devant depuis le haut jusqu’en bas, doublée ou fourrée, munie de manches également fendues. Les jacquettes étaient des robes courtes, ou plutôt de petites tuniques, ouvertes sur le devant seulement jusqu’à la ceinture, avec une jupe bouillonnée. Les unes étaient sans collet ; les autres avaient un collet renversé sur les épaules. Les manches étaient serrées ou larges, mais ne flottaient jamais. Enfin le sayon , dont nous avons déjà parlé en décrivant l’habit militaire sous Charles VIII et Louis XII, était une jaquette prolongée jusqu’au genou, qui n’avait point d’ouverture sur la poitrine, et sans manches ou n’ayant que des manches volantes. Ces diverses sortes de vêtements s’assujettissaient à la taille par une ceinture à laquelle la bourse, en forme de gibecière, était suspendue.

L’ancien manteau cessa d’être porté sous Louis XII ; la robe en faisait l’office ; mais, par-dessus la tunique et le sayon, on se drapa généralement d’une pièce de drap de deux à trois aunes qui est appelée manteau dans les documents, et qui, à en juger par les représentations qui nous restent, avait la plus grande ressemblance avec la saie militaire des Romains.

Le chapeau, appelé toque par tous les auteurs modernes qui en parlent, parce qu’il a en effet l’apparence d’une toque, consistait en une forme cylindrique très basse avec un bord retroussé ou rebrassé de toute la hauteur de la forme. Il était de feutre à poil long ou frisé. On le décorait par-devant d’un médaillon en ciselure. Quant à la dénomination de toque, elle s’employait aussi du temps de Louis XII, mais uniquement pour désigner une sorte de calotte qu’on portait sous le chapeau. Le bonnet était un chapeau de drap ou de velours dont le rebras ne contournait qu’une moitié de la forme.

Commencement du XVIe siècle Intérieur d'un grand seigneur vers 1510

Commencement du XVIe siècle
Intérieur d’un grand seigneur vers 1510

Les souliers continuèrent d’être carrés du bout (Octavien de Saint-Gelais les appelle pattés) comme ils avaient été sous Charles VIII, puis devinrent ronds, à la mode dite en bec de cane. On les faisait de cuir noir. Les comptes de la maison de Louis XII attestent qu’en 1501, Jean Fluteau, cordonnier du roi, reçut la somme de 16 livres 2 sous 6 deniers tournois pour 43 paires de souliers de cuir de vache à double semelle qu’il avait livrées aux pages de l’écurie. Un autre genre de chaussures, porté surtout par les cavaliers, fut la paire de bottes molles en cuir fauve, à tiges montant jusqu’au gras du mollet. Il est à remarquer que l’empeigne de ces bottes, coupée suivant la forme du pied, ne présentait pas l’épatement qui termine les souliers d’une manière si disgracieuse. A la chambre, on ne mettait ni souliers ni bottes, mais bien des pantoufles ou seulement des chaussés semelées.

La gravure ci-contre, qui représente l’intérieur d’un grand personnage, fait voir dans leur emploi la plupart des pièces que nous venons de décrire. Les bons observateurs qui arrêteront leurs yeux dessus seront frappés d’une chose : c’est qu’un costume dont les diverses parties considérées isolément ne manquent pas de grâce, ait pu former un ensemble dont le caractère est la lourdeur bien plutôt que l’élégance. Cela tient sans doute à l’épaisseur des étoffes employées, épaisseur peu en rapport avec la coupe dégagée des habits, et qui forçait les tailleurs à donner aux pièces ajustées plus d’aisance qu’il n’en aurait fallu.

Du temps de François Ier, on se rappelait avec effroi le poids de l’habillement usité sous Louis XII. Un auteur va jusqu’à dire qu’il était autant et plus malaisé à porter que l’armure de fer des gens d’armes. En faisant la part de l’exagération, il est certain que c’est la recherche de la légèreté qui fit tomber le costume précédemment décrit. Les jeunes gens, pour le battre en brèche, n’attendirent pas la mort du roi. Ils profitèrent de ce que son troisième mariage, avec la sœur du roi d’Angleterre, en 1514, égara son bon sens jusqu’à lui donner l’envie de faire le jouvenceau.

Dame française habillée à l'italienne

Dame française
habillée à l’italienne

Comme la discipline de la cour se relâcha par suite de cette singulière prétention, et que le duc d’Angoulême, depuis François Ier, devint le grand ordonnateur de toutes les pompes et fêtes, les anciens n’eurent plus voix aux chapitres où se réglait le cours de la mode. Les étoffes lourdes furent proscrites, les habits aisés laissés aux vieillards, et l’on mit de côté jaquettes et robes, de manière qu’on osa se montrer en public en chausses et en pourpoint, ce qui ne tarda pas à devenir, pour la plupart, une manière plutôt de mettre en relief la nudité que de la couvrir.

Quant aux dames, leur costume, ainsi que celui des hommes, resta à peu près ce qu’il avait été sous Charles VIII. La plus grande nouveauté qui s’y introduisit fut dans la coupe des manches, qui restèrent larges et flottantes pour la robe de dessus, tandis que celles qui s’ajoutaient au corset se firent de plusieurs pièces attachées l’une à l’autre par des rubans. La chemise apparaissait donc à la saignée et aux épaules ; elle apparaissait encore à la poitrine, parce qu’on cessa de porter la pièce sous le corset.

Voici le portrait d’une élégante de Paris que nous a laissé le célèbre poète Clément Marot. Le passage est tiré de son Dialogue des deux amoureux, poème qui porte la date de 1514 :

O mon Dieu ! qu’elle estoit contente
De sa personne ce jour-là !
Avecques la grâce qu’elle a,
Elle vous avoit un corset
D’un fin bleu, lacé d’un lacet
Jaune, qu’elle avait faict exprès.
Elle vous avoit puis après
Mancherons d’escarlate verte,
Robe de pers, large et ouverte,
...
Chausses noires, petits patins,
Linge blanc, ceinture houppée,
Le chaperon faict en poupée,
Les cheveux en passe-filon,
Et l’œil gay en esmerillon ;
Souple et droicte comme une gaule.

Le corset de fin bleu est un corset de drap bleu d’azur, tandis que la robe de pers est une robe en drap bleu foncé. Mancherons d’écarlate verte sont des brassards en drap très fin de couleur verte ; car anciennement le mot écarlate désignait, non pas la couleur, mais la qualité du drap. Nous ne savons pas précisément ce que Marot entend par chaperon fait en poupée, quoiqu’il soit bien certain que le chaperon ne peut être autre chose que la pièce d’étoffe posée sur la coiffure.

Dame de condition en costume de ville

Dame de condition
en costume de ville

Enfin des critiques ont cru reconnaître dans les cheveux en passe-filon une mode dont l’invention remonterait à une dame célèbre sous Louis XI nommée la Passe-Filon ; mais la coiffure du temps de Louis XI était à la chinoise, tandis que celle du temps de Louis XII est en féronnière, et cela ne se ressemble pas. Peut-être faut-il chercher dans la langue vulgaire l’origine du nom donné à la fois à la contemporaine de Louis XI et à l’ajustement dont veut parler Marot ; car passe-filon, dans l’ancienne langue, était le nom d’un certain ouvrage de passementerie ; et rien n’est plus naturel que de supposer, d’un côté, qu’une femme a été surnommée la Passe-Filon, au quinzième siècle, parce que le passe-filon abondait dans sa toilette ; d’autre part, que les dames du temps de Louis XII maintenaient leurs cheveux par des templettes en passe-filon.

Nous donnons pour échantillon du costume féminin une figure de grande dame dont l’ajustement est plus sévère que celui que décrit Marot. Un peintre qui voudrait le rendre conforme à la description du poète aurait à faire à notre gravure les modifications suivantes : il retrousserait davantage le chaperon, de manière à laisser voir la disposition de la chevelure sur le front, et le contour des templettes avec des rosettes de rubans sur les côtés. Il décolletterait assez la robe de dessus pour qu’on vît l’échancrure et les attaches du corset sur la poitrine. Aux manches larges en forme d’entonnoir il substituerait des manches volantes comme les ailes d’un surplis, et dégagerait dans toute leur élégance les mancherons appliqués aux bras. Enfin il donnerait à la ceinture des bouts flottants garnis de glands et de grosses houppes.

Indépendamment de la mise sur laquelle nous venons d’insister, le costume à la génoise, le costume à la milanaise, le costume à la grecque, eurent quelque faveur en France sous le règne de Louis XII. Quoique ces habillements fussent aussi sévères pour le moins que le costume national, ils furent poursuivis par les rigoristes. Jean Marot, père de Clément, se faisant l’écho des prédicateurs de la cour, a écrit contre ces modes un rondeau qui mérite d’être rapporté.

De s’accoustrer ainsi qu’une Lucrèce,
A la lombarde ou la façon de Grèce,
Il m’est advis qu’il ne se peut bien faire
Honnestement.
Garde-toy bien d’estre l’inventeresse
D’habits nouveaux ; car mainte pécheresse
Tantost sur toy prendroit son exemplaire.
Si à Dieu veux et au monde complaire,
Porte l’habit qui dénote simplesse
Honnestement.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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