LA FRANCE PITTORESQUE
Cuisine (art culinaire)
()
Publié le mercredi 6 juin 2018, par Redaction
Imprimer cet article
Si l’art culinaire chez les Grecs est réservé aux femmes et plus spécialement aux esclaves, les Romains, qui le confient tout d’abord aux serfs, le développent et l’enrichissent au point que la prodigalité en la matière justifie dès le IIe siècle avant J.-C. la promulgation de lois somptuaires réglementant dépenses et quantités de nourriture affectées aux repas, les Gaulois héritant de cette civilisation la connaissance de ce qui pouvait flatter le palais
 

Homère décrit un repas le lendemain d’un mariage et que Ménélas donna à ses enfants. Les hôtes se réunirent dans la maison du roi, ils apportèrent des moutons et du vin, leurs femmes voilées portaient de la pâtisserie. Homère cite souvent de tels repas. L’engraissement de la volaille n’était point inconnu à cette époque, car il est question d’une oie qu’on engraissait dans la maison de Ménélas, et l’on dit aussi, comme Pline le rapporte, que les habitants de Délos furent les premiers qui inventèrent l’art d’engraisser les volailles.

Banquet grec. Gravure (colorisée) de Heinrich Leutemann publiée dans le cadre d'une série intitulée Images de l'Antiquité (1865)

Banquet grec. Gravure (colorisée) de Heinrich Leutemann publiée
dans le cadre d’une série intitulée Images de l’Antiquité (1865)

L’art culinaire fut anciennement négligé chez les Romains et n’était l’affaire que des serfs. Les repas des Romains consistaient en trois services : au premier il y avait des mets légers pour commencer l’escarmouche de l’estomac, et parmi lesquels il y avait des œufs ; ensuite venaient des plats qui aiguisaient l’appétit, comme huîtres, thon et autres poissons marinés, oignons, salades, olives, saucissons, moutarde, radis, etc.

Le second service se composait des mets principaux, c’était la véritable bataille de l’estomac, ainsi que l’appelaient les anciens ; il se composait de rôtis et de bouillis de toute espèce, d’un plat de viande de porc ou autre, et qui devait être une invention nouvelle.

Enfin le dessert terminait le repas et était appelé mensa secunda ; on offrait les fruits indigènes et exotiques et toutes sortes de fines pâtisseries. Lorsque les Romains connurent plus amplement les peuples asiatiques, l’art culinaire progressa et se développa à Rome. Dès le consulat de Spurius Postumius Albinus et Quintus Marcius Philippus en l’année 186 avant J.-C., on mit plus de recherche et de magnificence dans les apprêts mêmes des festins ; les cuisiniers, dit Tite-Live, qui n’étaient pour nos aïeux que les derniers et les moins utiles de leurs esclaves, commencèrent à devenir très chers, et un vil métier passa pour un art.

En peu de temps la richesse des repas augmenta tellement, qu’on se vit forcé de les limiter par des lois ; la plus ancienne était la loi Orchia, de l’année 183 avant J.-C., à propos de laquelle Caton tonnait dans ses discours, en voyant que le nombre des invités dépassait les limites prescrites. Néanmoins la prodigalité allait en augmentant. Du temps de Cincius et Fannius (consuls en 161 av. J.-C.), on servait sur les tables un mets appelé porc troyen. On le nommait ainsi parce que ses flancs étaient bourrés d’autres animaux, comme le cheval de Troie avait été rempli de soldats armés. Ce raffinement de gourmandise alla jusqu’à engraisser les lièvres et les escargots.

Banquet romain. Gravure (colorisée) publiée dans Histoire illustrée du peuple allemand de W. Zimmermann paru en 1873

Banquet romain. Gravure (colorisée) publiée dans Histoire illustrée du peuple allemand
de W. Zimmermann paru en 1873

En l’année 161 avant J.-C. parut la loi Fannia, qui limitait les dépenses journalières et faisait défense d’engraisser la volaille. Sempronius Rufus fut le premier qui fit tuer une cigogne pour la manger. L’orateur et avocat réputé Quintus Hortensius Hortalus, qui fut consul en 108 av. J.-C., fut le premier qui se servit de paons dans un repas augural, et il eut bientôt de nombreux imitateurs.

En l’année 56 avant J.-C., on décréta la loi Licinia, qui réglait la dépense journalière et pour chaque jour la quantité de viande salée et fumée. La prodigalité dans les repas augmenta prodigieusement lorsque Lucullus eut conquis l’Asie. Ce Romain avait plusieurs salles à manger dont chacune portait le nom d’une divinité qui servait au maître d’hôtel pour conserver l’étiquette et aussi pour noter les dépenses. Ainsi un souper dans la salle d’Apollon coûtait 50 000 drachmes.

Du temps de Pompée, consul de Rome en 70 av. J.-C., Marcus Aufridius Lurco, tribun du peuple en l’année 60 avant J.-C., fut le premier qui sut engraisser les paons : il retirait de ce métier un revenu de 60 000 sesterces. L’acteur tragique Clodius AEsopus fit servir un mets évalué par Pline à 100 000 sesterces, et dans lequel se distinguaient des oiseaux qui chantaient ou imitaient la voix humaine, et dont quelques-uns avaient été payés par lui jusqu’à 6 000 sesterces. Le fils de cet artiste était aussi prodigue que son père : il régalait ses amis avec des perles dissoutes dans du vinaigre.

Sous le règne de Tibère (14-37 ap. J.-C.) il y avait déjà à Rome des écoles et des maîtres qui enseignaient l’art de faire la cuisine. Néron (54-68) fut encore plus prodigue ; le plafond de ses salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles d’où s’échappaient, par quelques ouvertures, des parfums et des fleurs. La plus belle de ces salles était circulaire et tournait jour et nuit, pour imiter le mouvement du monde.

Festin romain du Ier siècle après J.-C. se déroulant à la lumière de flambeaux et de candélabres. Chromolithographie de 1909

Festin romain du Ier siècle après J.-C. se déroulant à la lumière
de flambeaux et de candélabres. Chromolithographie de 1909

La famille Apicia se distingua surtout à Rome par ses splendides festins. Cent ans avant Tibère, le plus ancien de cette dynastie s’était surtout fait remarquer par ses débauches et sa gourmandise vers l’année 105 avant J.-C.. Il fut cependant dépassé par Marcus Gavius Apicius (25 av. J.-C-37 ap. J.-C) qui vivait sous Auguste et Tibère, car il inventa une quantité de mets nouveaux et un plat de salaison préparé avec le foie de poisson. Il inventa également quantité d’ustensiles de cuisine. Il connaissait encore le procédé d’engraisser les cochons avec des figues sèches ; enfin il inventa plusieurs sortes de gâteaux qui portaient son nom.

Un autre de cette famille, Cœlius Apicius, écrivit un livre de cuisine qui, parmi ceux qui nous ont été conservés, est le plus ancien. On ignore à quelle époque il vécut. Quelques auteurs le prennent pour l’Apicius qui vivait sous Trajan et qui connaissait l’art de conserver fraîches les huîtres. Ces Apicii fondèrent plusieurs écoles de cuisine au moyen desquelles la dissipation fut entretenue et augmentée.

Le frère de l’éphémère empereur romain Vitellius — qui régna du 19 avril au 22 décembre 69 — le traita avec 2 000 poissons des plus recherchés et 7 000 oiseaux. Cet empereur mit le comble à ces profusions par l’inauguration d’un plat d’une grandeur énorme qu’il appelait fastueusement le bouclier de Minerve protectrice. On avait mêlé des foies de carrelets, des cervelles de faisans et de paons, des langues de phénicoptères et des laitances de lamproies ; chacun de ses festins ne coûta jamais moins de 400 000 sesterces.

On trouve encore des menus des anciens Romains. Macrobe rapporte le détail d’un repas donné sous Quintus Metellus Pius, beau-père de Pompée et contemporain de Cicéron, à l’occasion de la réception d’un pontife. Ce menu était conservé dans l’Index du grand pontife. L’amphitryon se nommait Lentulus. Macrobe rapporte que ce repas était ainsi composé :

Vitellius, empereur romain du 19 avril au 22 décembre 69

Vitellius, empereur romain du 19 avril au 22 décembre 69

Pour entrée, hérissons de mer, huîtres crues à discrétion, palourdes, spondyles, grives, asperges, poule grasse, et en dessous pâté d’huîtres et de palourdes, glands de mer noirs et blancs, encore des spondyles, glycomarides, orties de mer, becfigues, filets de chevreuil et de sanglier, volailles grasses saupoudrées de farine, becfigues, murex et pourpres ; pour le repas, tétines de truie, canards, sarcelles bouillies, lièvres, volailles rôties , farines, pains du Picénum.

On pourrait encore trouver des menus de repas romains donnés par Trimalcion dans Pétrone. Avant la conquête romaine, les Gaulois ne vivaient pas mieux que les sauvages. Leur principale nourriture était des herbes hachées, servies dans des écuelles de bois, des boulettes faites avec différentes farines, des morceaux de viande grillés sur des charbons de bois. Ils apprirent des Romains ce qui pouvait flatter le palais.

Cependant cette cuisine, améliorée par les Romains, subit quelques modifications par les incursions des Goths, des Huns, des Lombards, des Bourguignons et des Francs. Enfin la cuisine française se forma, fondée tant sur les produits du pays que sur les substances et matières venues de l’étranger, apportées peu à peu par le commerce. Cette cuisine se perfectionna toujours de plus en plus jusqu’à Louis XIV, où les cuisiniers français se répandirent dans toutes les cours de l’Europe.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE