LA FRANCE PITTORESQUE
Pierrefonds (Château de) (Oise)
(D’après des articles parus en 1835 et 1871)
Publié le mercredi 6 octobre 2010, par LA RÉDACTION
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Le département de l’Oise possède les ruines d’un grand nombre de châteaux anciens, dont il faut surtout attribuer la construction aux attaques continuelles et imprévues des Normands dans le moyen âge.

Ruines du second château de Pierrefonds (avant sa reconstruction qui débuta en 1858)

Ruines du second château de Pierrefonds
(avant sa reconstruction qui débuta en 1858)

Les plus remarquables de ces ruines sont celles du château de Pierrefonds, situées à 3 lieues de Compiègne sur la lisière de la forêt. La puissance des seigneurs de ce fief balançait quelquefois celle du roi ; tout le pays environnant était sous leur protection. Les chroniques mentionnent surtout Nivelon Ier, dont une charte de 1047 fait connaître les immenses richesses. En 1193, Philippe Auguste acquit le fief. Les ruines dont nous donnons le dessin n’appartiennent point à l’antique château qui fut abandonné vers 1390.

Le nouveau, bâti par Louis, duc d’Orléans et de Valois, à peu de distance du premier, était considéré comme une des merveilles du temps. Il couvrait une surface de 1680 toises carrées ; ses tours assises sur le roc avaient 108 pieds de hauteur en maçonnerie. Une telle forteresse dut soutenir et soutint en effet un grand nombre de sièges. Elle était en la possession des ligueurs lorsque Henri IV la fit successivement attaquer par le duc d’Epernon et le maréchal de Biron, mais en vain : elle était défendue par Rieux, fils d’un maréchal ferrant, dont l’audace s’accrut par cette résistance, et qui manqua en 1593 d’enlever Henri IV lui-même, dans le cours d’une des aventures de ce prince. Rieux pris plus tard et pendu, Saint-Chamant lui succéda, et finit par vendre la place.

Au temps de la guerre des mécontents, le marquis de Coeuvres, capitaine de Pierrefonds, s’étant rangé contre la cour, Charles de Valois fut envoyé avec de l’artillerie et 15 000 hommes, il réduisit bientôt le château que Louis XIII donna ordre de démanteler. On renversa les fortifications de l’entrée, et on enleva la toiture.

Nous connaissons plus d’un des contemporains des ruines du château de Pierrefonds qui les regrette. Peut-être, en effet, l’impression que l’on éprouvait à leur aspect était-elle plus solennelle, pour ainsi dire, plus vraie, et disposait-elle plus à la rêverie que celle qui naît aujourd’hui de leur restauration. L’énorme masse de ce château neuf, image de l’ancien, blesse au premier moment la vue par une crudité de ton qui contraste avec son style : on dirait du fard blanc étendu sur un vieux visage. Tout en admirant cette merveilleuse restauration, on est dans une sorte de malaise : on se sent dans l’anachronisme.

Ces observations peuvent être justes, mais nous les avons entendu opposer à tous les travaux de même nature ; et cependant il faut convenir qu’il n’est ni sans utilité, ni sans intérêt, de rendre çà et là aux générations nouvelles et futures le spectacle aussi fidèle que possible de certains grands édifices du passé. Ici l’entreprise, hardie, grandiose, accomplie de tout point avec un art supérieur, étonne, émeut, instruit.

Si l’on éprouve en sa présence d’abord quelque sentiment rancunier, il est impossible, à moins de parti pris et d’obstination, de ne pas se laisser séduire, de ne pas admirer et rendre justice à l’éminent architecte M. Viollet-Leduc, qui a fait sortir cette grande œuvre de ses ruines.

Le château de Pierrefonds Dessin de Lancelot

Le château de Pierrefonds
Dessin de Lancelot

C’est, du reste, un séjour charmant à tous égards que celui de Pierrefonds. Son joli lac, ses modestes maisons, ses paysages, le voisinage des bois, la variété des points de vue, tout y dispose à la sérénité et aux pensées agréables. Le château, outre sa beauté majestueuse, est un enseignement précieux, que n’épuisent pas plusieurs visites : tout y est restauré avec ingéniosité et goût, et l’on ne regrette que de n’y pas voir revivre, pour quelques heures, ses anciens habitants.

Recommandons aux personnes qui visiteront ce rare spécimen des châteaux les plus remarquables du quinzième siècle, une notice dont l’auteur est M. Viollet-Leduc lui-même. On ne saurait choisir un guide plus savant. C’est de cette notice que nous croyons pouvoir extraire ici quelques fragments.

En 1390, Louis, duc d’Orléans, frère du roi Charles VI, se prétendant frustré de ses droits de régent ou de tuteur des affaires du royaume, songea à prendre ses sûretés. Il fit bâtir dans son duché de Valois des places fortes importantes ; il acquit le château de Coucy et le rebâtit en partie ; fit réparer ceux de Béthisy, de Crespy, de Montépilloy ; fit reconstruire celui de la Ferté-Milon, le petit château de Vez, le manoir de la Loge-Lambert, et, laissant les religieux de Saint-Sulpice jouir paisiblement des parties du vieux domaine de Pierrefonds qui leur avaient été données, il résolut d’élever le magnifique château que l’on admire aujourd’hui. Pierrefonds, appuyé à la forêt vers le nord-ouest, se trouvait ainsi commander un magnifique domaine, facile à garder sur tous les points, ayant à sa porte une des plus belles forêts des environs de Paris. C’était donc un lieu admirable, pouvant servir de refuge et offrir les plaisirs de la chasse au châtelain. La cour de Charles VI était très adonnée au luxe, et parmi les grands vassaux de ce prince, Louis d’Orléans était un des seigneurs les plus magnifiques ; aimant les arts, éclairé, ce qui ne l’empêchait pas d’être plein d’ambition et d’amour du pouvoir : aussi voulut-il que son nouveau château fût à la fois une des plus somptueuses résidences de cette époque, et une forteresse capable de défier toutes les attaques.

Monstrelet parle du château de Pierrefonds comme d’une place de premier ordre et d’un lieu admirable. En 1411, lorsque, après l’assassinat du duc d’Orléans, les partisans du prince étaient poursuivis, à l’instigation du duc de Bourgogne, le malheureux Charles VI envoya le comte de Saint-Pol en Valois pour prendre possession des places du jeune duc Charles d’Orléans. Après la reddition de Crespy, le comte de Saint-Pol « s’en alla au chastel de Pierrefonds, dit Monstrelet, qui estoit moult fort deffensable et bien garny et remply de toutes choses appartenant à la guerre ». Plus tard, le château fut rendu au duc Charles d’Orléans. Le comte de Saint-Pol n’abandonna la place toutefois qu’en y mettant le feu. Le duc d’Orléans répara les dommages, mais d’une manière provisoire.

En 1424, le château de Pierrefonds, dont la garnison était dépourvue de vivres et de munitions, ouvrit ses portes aux Anglais. Louis XII, étant duc d’Orléans, fit faire quelques réparations au château de Pierrefonds ; toutefois il est à croire que ces derniers travaux ne consistaient guère qu’en ouvrages intérieurs, en distribution d’appartements, car la masse imposante des constructions appartient tout entière au commencement du quinzième siècle.

Le château de Pierrefonds était à la fois une forteresse du premier ordre et une résidence renfermant tous les services destinés à pourvoir à l’existence d’un grand seigneur et d’une nombreuse réunion d’hommes d’armes.

Salle d'armes du château de Pierrefonds Dessin de Lancelot

Salle d’armes du château de Pierrefonds
Dessin de Lancelot

Chacune des tours est décorée, sous les mâchicoulis, d’une grande statue d’un preux, posée dans une niche entourée de riches ornements. Les statues existant encore sur les parois de ces tours ou retrouvées à leur base ont permis de restituer leurs noms ; car il était d’usage de donner à chaque tour un nom particulier, précaution fort utile lorsque le seigneur avait des ordres à faire transmettre aux officiers du château.

La grosse tour s’appelait la tour de Charlemagne ; les autres avaient nom César, Artus, Alexandre, Godefroy de Bouillon, Josué, Hector, et celle qui contenait la chapelle, Judas Macchabée. Le donjon du château pouvait être complétement isolé des autres défenses. Il comprend les deux grosses tours de César et de Charlemagne, tout le bâtiment carré, divisé en trois salles, et la tour carrée. L’escalier d’honneur, avec perron et montoirs, permet d’arriver aux étages supérieurs. Le donjon était l’habitation la plus spécialement réservée au seigneur, et comprenait tous les services nécessaires : caves, cuisines, offices, chambres, garde-robes, salons et salles de réception.

Le donjon de Pierrefonds renferme ces divers services. Au rez-de-chaussée sont les cuisines et celliers voûtés, avec offices, laveries, caves et magasins. Le premier étage se compose d’une grande salle de 22 mètres de longueur sur 11 mètres de largeur, de deux salons, et de deux grandes chambres dans les deux tours, avec cabinets et dépendances. Le second étage présente la même distribution. Un petit appartement spécial est en outre disposé dans la tour carrée à chaque étage.

Le troisième étage du logis est lambrissé sous comble et contient deux appartements, les grosses tours, à ce niveau, étant uniquement affectées à la défense. Le donjon communique aux défenses du château par la courtine de gauche et par les ouvrages au-dessus de la porte d’entrée ; à la chapelle, par un couloir.

Le bâtiment qui renferme les grandes salles du château de Pierrefonds occupe le côté occidental du parallélogramme formant le périmètre de cette résidence seigneuriale. Ce bâtiment est à quatre étages ; deux de ces étages sont voûtés et sont au-dessous du niveau de la cour, bien qu’ils soient élevés au-dessus du chemin de ronde extérieur ; les deux derniers donnent un rez-de-chaussée sur la cour et la grand’salle proprement dite, au niveau des appartements du premier étage.

Une fois casernées dans ces salles de rez-de-chaussée, les troupes étaient surveillées par la galerie d’entre-sol qui se trouve au-dessus du portique, et ne pouvaient monter aux défenses que sous la conduite d’officiers. D’ailleurs ces salles sont belles, bien aérées, bien éclairées, munies de cheminées, et contiendraient facilement cinq cents hommes.

Un escalier à double vis monte au portique d’entre-sol, à la grand’salle du premier étage et aux défenses. La grand’salle du premier étage était la salle seigneuriale où se tenaient les assemblées ; elle occupe tout l’espace compris entre le premier vestibule et le mur de refend, auquel est adossée une vaste cheminée ; le seigneur se rendait du donjon à cette salle en passant par des galeries ménagées au premier étage des bâtiments en aile est et nord. L’estrade ou parquet était le tribunal du haut justicier ; c’était aussi la place d’honneur dans les cérémonies, telles qu’hommages, investitures ; pendant les banquets, les bals, les mascarades, etc.

On pouvait aussi du donjon pénétrer dans la grand’salle de plain-pied, en passant sur la porte du château, dans la pièce située au-dessus du corps de garde et dans le vestibule. Sur le vestibule de la grand’salle est une tribune qui servait à placer les musiciens lors des banquets et fêtes que donnait le seigneur.

De ces dispositions il résulte clairement que les salles basses étaient isolées des défenses, tandis que la grand’salle, située au premier étage, était au contraire en communication directe et fréquente avec elles ; que la salle haute ou grand’salle était de plain-pied avec les appartements du seigneur ; et qu’on séparait au besoin les hommes se tenant habituellement dans la salle basse des fonctions auxquelles était réservée la plus haute.

Nous vous conseillons la visite du site Internet "Pierrefonds : un lieu, une histoire" :
très bien documenté, il vous permettra de poursuivre votre découverte
de Pierrefonds et de son château.

VISITER LE SITE
http://espace-libre.pagesperso-orange.fr/pierrefonds.html

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