LA FRANCE PITTORESQUE
Cérémonies bretonnes pittoresques
marquant la Pentecôte
(D’après « Les fêtes religieuses en Bretagne. Coutumes,
légendes et superstitions », paru en 1902)
Publié le lundi 21 mai 2018, par Redaction
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Les réjouissances de la Pentecôte s’accompagnaient, en divers lieux de Bretagne, de parfois curieuses cérémonies assorties de non moins étranges redevances et coutumes héritées de pratiques du Moyen Age : ainsi de celles auxquelles étaient assujetties les filles de joie de Moncontour, du devoir de la teiche mettant en scène les nouveaux mariés, de l’épreuve infligée à un chat et une oie à Saint-Nazaire, ou encore du Cheval Mallet en Loire-Atlantique
 

La fête de la Pentecôte est symbolisée par la colombe. Jadis, dans certaines églises de Paris, lorsqu’on chantait le Veni creator, une colombe blanche descendait des voûtes sacrées, et parfois aussi, ce jour-là, on donnait la liberté à plusieurs pigeons blancs.

Ce poétique symbolisme se retrouve en Bretagne. À quelque distance de Quimperlé, on entre dans la forêt de Carnoët ; dans un site fort pittoresque, appelé Toulfoën, se tenait jadis, chaque année, le lundi de la Pentecôte, le célèbre pardon des oiseaux, où l’on vendait une grande quantité d’oiseaux de toute espèce ; on venait de fort loin, en particulier de Lorient, à ce pardon des laboused (petits oiseaux). Sur la vaste clairière se dansaient les koroll, et, le soir, les jeunes gens rentraient gaiement, chantant leurs plus beaux gwerz et soniou. À Plourhan, dans le canton d’Etables, près de Saint-Brieuc, il y avait également, le lundi de la Pentecôte, une vente d’oiseaux apportés par les enfants.

Descente de l'Esprit-Saint. Gravure (colorisée) de Matthäus Merian l'Ancien vers 1625-1630

Descente de l’Esprit-Saint. Gravure (colorisée) de Matthäus Merian l’Ancien vers 1625-1630

Un usage vraiment gracieux se rencontrait aussi dans le pays nantais : l’Histoire et géographie de la Loire-Inférieure, par Orieux et Vincent rapporte qu’une « vieille coutume, touchante comme une idylle, existe toujours dans la forêt du Gâvre, à l’assemblée du lundi de la Pentecôte : on y vient de nombreuses communes, en habits de fête ; et les promis vont cueillir, deux à deux, de gros bouquets de muguet sous les taillis verts de la grande forêt ».

La quintaine courue à cheval, à Moncontour (Côtes d’Armor), sur la place du Martray, le dimanche de la Pentecôte, se terminait d’une façon singulière : « Audit jour et feste est deub [dû] au seigneur par toutes les filles de joie qui se trouvent en ladite ville de Moncontour, de chacune d’elle, quand elle fait son entrée en ladite ville, soit à la Porte Neuve ou ailleurs, 5 sols, un pot de vin et un chapeau de fleurs » (Archives des Côtes-du-Nord).

Le lendemain de la Pentecôte, chaque année, les nouveaux mariés de Barbechat (Loire-Atlantique) étaient obligés de se rendre « après midy aux communs du village de la Boissière et d’y porter chacun trois battoirs et trois ballons de cuir, et iceux donner à leur seigneur, lequel, ayant marqué un espace de vingt-quatre pieds en quarré, leur jette à chacun les trois ballons qu’ils sont tenus de recevoir avec l’un de leurs battoirs et faire passer les bornes dudit espace de vingt-quatre pieds » (Aveu du marquisat de Goulaine en 1680).

À Moulins (Ille-et-Vilaine) existait le devoir de treiche — c’était autrefois le nom d’une danse —, consistant en ceci : « Les nouveaux mariés et mariées ayant épousé en l’église parochiale [paroissiale] dudit Moulins et couché en cette paroisse la première nuict de leurs nopces, doibvent se présenter le jour de la Pentecoste, à l’issue des vespres, au bourg dudit Moulins ; et là est tenu chaque marié de frapper d’un baston ou quillard par trois fois trois ballotes que lui jette le seigneur de Montbouan ». Quant aux nouvelles mariées, « après avoir esté présentées audit seigneur par leurs dits maris, elles doibvent chacune dire une chanson et danser en danse ronde ». Faute de rendre ces devoirs féodeaux, mariés et mariées étaient condamnés à payer à la seigneurie « chacun deux pots de vin blanc et 60 sols d’amende » (Aveux de la seigneurie de Montbouan en 1470 et 1751).

Sur le territoire de la Chapelle-Basse-Mer (Loire-Atlantique), dépendant de la châtellenie de l’Épine-Gaudin, membre du marquisat de Goulaine, « le lendemain du jour de la Pentecoste de chaque année, les nouvelles mariées de ladite paroisse de la Chapelle sont obligées de se trouver à l’issue de la grande messe qui se dit en la chapelle de Barbechat, et dire chacune trois chansons nouvelles, et ensuite donner le baiser au seigneur ou à l’un de ses officiers le représentant. Et l’après-disner du mesme jour, doibvent se retrouver aux communs du village de la Boissière, et rechanter les trois chansons et donner un pareil baiser que dessus, et par défaut desdites nouvelles mariées de se trouver auxdits jours et heures, et se trouvant de faire ce que dessus, elles sont amendables chacune de 64 sols » (Aveux du marquisat de Goulaine en 1680 et 1696).

À Crossac (Loire-Atlantique), le seigneur du Boisjoubert devait au vicomte de Donges, rendu en la chapelle de son château de Lorieuc « un chapeau de roses sur la teste de l’imaige Monsieur sainct Georges, le jour de la feste de la Pentecoste » (Aveu de la vicomté de Donges en 1682).

Pardon des Oiseaux à Quimperlé. Carte de 1964

Pardon des Oiseaux à Quimperlé. Carte de 1964

Les derniers mariés de la paroisse de Romagné (Ille-et-Vilaine ) devaient au seigneur de Larchapt, le lundi de la Pentecôte, à l’issue des vêpres, « sauter par dessus ou dedans une cave pleine d’eau estant dans le pastis de la Hardouinaye, par trois fois, et ledit seigneur de Larchapt doibt aux dits sauteurs dix sols monnaye pour estre convertis en vin ». Afin de prévenir les accidents, le seigneur devait préalablement faire nettoyer cette cave et la faire « paver de mottes ».

Un singulier devoir d’animaux existait à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) : certain employé du port de cette ville devait « présenter, soubs peine d’amende, au seigneur de Saint-Nazaire, ou à ses officiers, une fois l’an, le mardy de la Pentecoste, une oie et un chat attachés ensemble à deux pieds de distance l’un de l’autre, et doibvent estre mis dans la mer vis-à-vis l’église de Saint-Nazaire, les y laissant jusqu’à ce qu’y en ait un qui ait noyé l’autre » (Aveu de la vicomté de Saint-Nazaire en 1584).

Le sire de Rays, seigneur de Machecoul (Loire-Atlantique) avait donné au prieur de Saint-Blaise, abbaye sise près de Machecoul, une prairie appelée le Pré-aux-Bittes, à condition que le religieux lui apportât chaque année deux joncées ou deux faix de joncs verts, l’un au jour de l’Ascension, l’autre à la Pentecôte. Voici de quelle singulière façon devait être accompli ce devoir féodal : « Lesdites joncées doivent estre rendues au chasteau de Machecoul et portées sur un asne ferré des quatre pieds tout à neuf, mené et conduit par quatre hommes ayant chacun une paire de souliers neufs à simple et première semelle, et estant l’un à la teste, l’autre à la queue, et les deux autres aux deux costés pour tenir lesdites joncées. Et où ledit asne viendrait à tomber, fienter ou péter sur les ponts, en la cour et autres lieux dudit chasteau, ledit prieur doit l’amende de 60 sols et 1 denier monnoie. Laquelle amende est pareillement due par chacun clou qui défaudroit en la ferrure dudit asne. Et sont lesdites joncées dues à chacun desdits termes, avant le dernier son de la grande messe parrochiale de l’église de Machecoul » (Aveu du duché de Rays en 1674).

« Le plaisant de l’affaire, dit le chanoine Guillotin de Corson, c’est que cette cérémonie devint si populaire à Machecoul et sembla si réjouissante, que le baron de Rays, ayant afféagé son four à ban de Machecoul, n’imposa aux tenanciers d’autre obligation qu’une rente annuelle de 12 livres et le devoir de la jonchée à l’Ascension et à la Pentecôte, tout comme faisait déjà le prieur de Saint-Blaise ». « Ainsi, ajoute de la Borderie dans les Annales historiques et archéologiques de Brest (1861), il y eut depuis lors une sorte de concours entre l’âne du Pré-aux-Bittes et celui du four à ban, et je laisse à penser la joie de la foule escortant à rangs pressés les deux quadrupèdes pourvoir lequel s’acquitterait le plus proprement de son rôle ».

Une redevance pittoresque se pratiquait à Rochefort-en-Terre (Morbihan) : « Ont chaque année les sire et dame de Rochefort un debvoir appelé Jeu au Duc, quel jeu se fait avec une beste feinte nommée Drague et son poulichot, commenczant le mardy après la Penthecouste et dure iceluy jour et le lendemain. Auxquels jours Guillaume Pasquier, dict le Duc d’Amour, est tenu et doibt, sur ses héritages et maison où il est demeurant, conduire ou faire conduire trois fois par chacun desdits jours une beste feinte nommée la Drague, couverte de tapisserie, ô [avec] son poulichot, et aller au chasteau et à ladite ville de Rochefort. Et il faut qu’il y ait tant à la conduite de ladite Drague que à faire danser les gens qui veulent danser à la halle et cohue quatre sonneurs tant gros bois [hautbois] que aultres, pour le moins. Et celuy Pasquier doibt, le mardy au matin, porter un brandon feuillé de bouleau ou aultre bois au chasteau premier et [ensuite] à chacun tavernier dudit Rochefort ; et prend de eux ledit jour de chacun un pot de vin, mesure dudit lieu » (Aveu de la baronnie de Rochefort en 1554).

Descente du Saint-Esprit. Gravure extraite du Speculum humanae salvationis (Miroir du salut de l'homme), 1476

Descente du Saint-Esprit. Gravure extraite
du Speculum humanae salvationis (Miroir du salut de l’homme), 1476

Achevons cette énumération par le récit d’une des plus étranges cérémonies qui se puissent voir, évoquée notamment dans une Notice sur la cérémonie du Cheval Mallet parue au sein du tome II des Mémoires de l’Académie celtique, et dans un article intitulé Usages et droits féodaux en Bretagne inséré dans la Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou d’avril 1901.

Au bourg de Saint-Lumine-de-Coutais (Loire-Atlantique), relevant de la vicomté de Loyaux, se tenait une assemblée annuelle le jour de la Pentecôte, et voici ce qui s’y passait à la fin du XVIIIe siècle.

Le héros de la fête était un cheval de bois ou de carton — dit Cheval Mallet ou Merlette — couvert d’un caparaçon tombant jusqu’à terre, le dos percé d’un trou dans lequel se plaçait l’acteur chargé de lui donner le mouvement. Le dimanche qui précédait la Pentecôte, les nouveaux marguilliers se rendaient chez les anciens, y prenaient l’animal postiche et l’amenaient chez l’un d’entre eux. Neuf parents ou amis des marguilliers formaient le cortège, tous revêtus d’habits de toile peinte, en forme de dalmatique, parsemés d’hermines de sable et de fleurs de lys de gueules.

Le personnage qui était dans le cheval était recouvert d’un long sarrau de toile, herminé et fleurdelysé, qui servait de housse à sa monture. Deux sergents de la juridiction, costumés de même, précédaient l’animal et tenaient chacun à la main droite une baguette ornée de fleurs. Derrière eux venait un des neuf acteurs de la cérémonie, portant un bâton de cinq pieds de longueur et ferré des deux bouts en forme de lance. Le cheval était suivi de deux autres personnages, armés chacun d’une longue épée avec laquelle ils ferraillaient durant toute la marche. La musique, composée de deux tambours, d’un cornet à bouquin et d’une vèse (biniou), était exécutée par les autres acteurs. Le Cheval Mallet restait en repos jusqu’au jour de la fête.

La veille de la Pentecôte, après dîner, les marguilliers, assistés de sergents en costume et accompagnés de la foule, se rendaient dans quelque bois voisin où l’on arrachait un chêne qui était conduit, au son de la musette, sur la place de l’église.

Le jour de la Pentecôte, sitôt après la première messe, les marguilliers, accompagnés de leur cortège, faisaient amener le Cheval Mallet dans l’église et il était placé dans le banc seigneurial, où il demeurait pendant la grand’messe. Entre les deux offices, au son de la musette seule, on plantait le chêne. À l’issue de la grand’messe, tous les acteurs de la cérémonie amenaient l’animal sur la place et, dansant et caracolant, faisaient trois fois le tour de l’arbre au son de la musique. Toute personne étrangère devait, pendant cette danse, se tenir à neuf pieds au moins des acteurs. Puis on se rendait chez l’un des marguilliers qui donnait (en partie aux frais des mariés de l’année) un banquet aux notables de la paroisse.

Après les vêpres, auxquelles il assistait assistait dans le banc seigneurial, le coursier postiche était ramené de nouveau sur la place ; on dansait en faisant neuf fois le tour du chêne que l’on faisait embrasser trois fois par le cheval . Alors les sergents criaient à trois reprises : Silence ! et le bâtonnier (celui qui portait le bâton ferré) entonnait une chanson de 99 couplets, qui devait être renouvelée chaque année et contenir tous les tours plaisants (anecdotes scandaleuses) et les événements remarquables survenus à Saint-Lumine depuis la dernière fête. L’original de cette chanson restait aux archives du lieu avec le procès-verbal de la cérémonie et un double en était déposé à la Chambre des Comptes de Nantes.

La chanson finie, le Cheval Mallet était reconduit processionnellement chez un des nouveaux marguilliers, qui en restait dépositaire jusqu’à la Pentecôte suivante. Le lendemain, les marguilliers avec leur cortège étaient tenus d’aller sur la place et autour de l’église et d’ôter eux-mêmes les pierres et autres objets qui obstruaient le passage. En revanche, ils avaient le droit, le jour de la fête, d’aller sur la place où se trouvaient des marchands forains et de leur prendre ce qu’ils croyaient propre à parer ou embellir leur coursier postiche.

Chapelle Notre-Dame du Châtelier, ancienne église paroissiale de Saint-Lumine-de-Coutais

Chapelle Notre-Dame du Châtelier, ancienne église paroissiale de Saint-Lumine-de-Coutais

« Cette grotesque cérémonie du Cheval Mallet, dit le chanoine Guillotin de Corson, était un souvenir de la donation faite aux paroissiens de Saint-Lumine, par un duc de Bretagne, seigneur de Loyaux, de la jouissance commune d’un marais situé au bord du lac de Grand-Lieu . »

Quant à l’origine des caractères si bizarres de cette fête, il est malaisé de la définir. De la Borderie y voit « un dernier vestige des exercices militaires des hommes du fief au Moyen Age ». C’est possible, mais rien n’est moins prouvé. Signalons, sans entrer dans une description détaillée, deux cérémonies analogues qui avaient lieu en des contrées fort éloignées de Bretagne.

À Lyon, on célébrait le cheval fou : chaque année, le jour de la Pentecôte, un homme, dans un cheval postiche, vêtu d’ornements royaux, ceint de la couronne et tenant un sceptre à la main, sautait et gambadait à travers les rues du quartier du Bourg-Chanin.

À Montluçon (Allier), la confrérie des Chevaux-Fugs, dite aussi du Saint-Esprit, se livrait chaque année, à la Pentecôte, à de pittoresques ébats : les confrères dansaient sur la place publique, entrechoquant leurs armes ; quelques-uns, enfermés dans des chevaux de carton, figuraient une charge de cavalerie ; puis, au son d’une musique militaire, ils parcouraient la ville.

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