LA FRANCE PITTORESQUE
Inquisition médiévale :
au-delà de la légende noire
(Source : Le Figaro)
Publié le dimanche 30 janvier 2022, par Redaction
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Le 20 avril 1233 le pape Grégoire IX établit l’Inquisition en France. Dans l’imaginaire collectif, ce tribunal ecclésiastique du Moyen Âge est associé à un temps de violence, d’infâmes tortures, d’immenses bûchers, de fanatisme... Retour sur quelques idées reçues.
 

Il y a 785 ans le pape Grégoire IX introduit dans le royaume de France l’Inquisition pontificale. Il s’agit d’un tribunal ecclésiastique confié aux ordres mendiants (les dominicains et les franciscains) pour lutter contre l’hérésie en Europe. Ainsi le 20 avril 1233, le pape charge les frères prêcheurs (les dominicains) de lutter contre l’hérésie dans le Languedoc. Mais qu’en est-il de l’action de cette institution en France ? Répression aveugle ou action modérée ? Signe d’obscurantisme ? Décryptage en quatre idées reçues.

Idée reçue n°1 : l’Inquisition médiévale est le signe d’un temps d’intolérance et de fanatisme
Ce tribunal pontifical médiéval est institué par la papauté pour protéger l’orthodoxie catholique : il est créé pour lutter contre les dissidences religieuses. En contestant l’organisation de l’Église romaine et certains de ses dogmes elles menacent son unité. Ces membres sont considérés comme des hérétiques. Aussi l’objectif du tribunal est avant tout de sauver les âmes égarées, de les ramener dans le giron de l’Église romaine.

Hérétique subissant le supplice de la roue pendant l'Inquisition espagnole. Gravure du XIXe siècle colorisée ultérieurement

Hérétique subissant le supplice de la roue pendant l’Inquisition espagnole.
Gravure du XIXe siècle colorisée ultérieurement

À l’origine dans l’esprit de la papauté il s’agit davantage d’un outil de persuasion que de répression, ce que certains juges oublieront. L’Inquisition est créée pour préserver la chrétienté et ne juge que les chrétiens. Les tribunaux inquisitoriaux sont introduits en 1233 dans le royaume de France pour lutter contre les Cathares, installés dans le Midi de la France. Les inquisiteurs, nommés par le pape, s’appuient dans leur mission sur les pouvoirs laïcs.

En replaçant cette organisation ecclésiastique, dans le contexte culturel et historique du Moyen Âge, on ne peut parler de fanatisme ou d’intolérance.

Idée reçue n°2 : Les juges inquisitoriaux rendent une justice arbitraire
L’Inquisition est souvent présentée comme une justice arbitraire et archaïque, alors qu’elle apparaît plutôt moderne : elle met en place une procédure d’enquête. Le but est de ramener la personne suspectée d’hérésie dans le droit chemin, de permettre la conversion. Ainsi l’instruction est méthodique, elle ne peut débuter que sur la base de témoignages vérifiés. Il faut des preuves concrètes et des témoignages probants avant de pouvoir faire procéder à l’arrestation d’une personne par les pouvoirs civils. La justice s’appuie sur l’aveu : s’il est obtenu par la torture, il doit être réitéré « sans aucune pression de force ou de contrainte », hors de la chambre de torture pour être recevable. Le faux témoignage est par ailleurs poursuivi et condamné.

Interrogatoire d'un accusé par le Tribunal du Saint-Office de l'Inquisition espagnole

Interrogatoire d’un accusé par le Tribunal du Saint-Office de l’Inquisition espagnole

L’historien Didier Le Fur précise dans son livre sur L’Inquisition que la sentence du tribunal est prise sur l’avis du conseil — qui comprend des membres du clergé régulier ou séculier et des laïcs désignés expressément et chacun fait serment de donner les bons conseils. On ne communique pas forcément le nom du prévenu. Enfin Il faut soulever que l’Inquisition ne condamne pas systématiquement les personnes suspectées. Il ne s’agit pas d’une justice aveugle, comme peut l’être la justice seigneuriale, souvent arbitraire et expéditive.

Idée reçue n°3 : l’Inquisition est un tribunal qui envoie des milliers de personnes au bûcher
La légende noire de l’Inquisition, présentant les inquisiteurs comme des juges cruels, responsables d’immenses bûchers est un héritage de la littérature et de l’iconographie du XIXe siècle. Or les recherches récentes ont permis de réévaluer largement à la baisse le nombre d’occis. Ainsi selon les chiffres des sentences de Bernard Gui, inquisiteur à Toulouse pendant 15 ans, de 1308 à 1323, sur 633 sentences, seules 40 personnes sont remises au bras séculier, donc au bûcher (l’Inquisition qui ne peut en théorie pratiquer la peine de mort envoie le condamné à la justice laïque). Dès la fin du XIIIe siècle le bûcher est de plus en plus exceptionnel ; il est aussi le signe de l’échec de l’Église, incapable de ramener les âmes perdues.

L'inquisiteur Bernard Gui. Gravure du XIXe siècle

L’inquisiteur Bernard Gui. Gravure du XIXe siècle

Il est certain qu’au cours de son histoire l’Inquisition a pu se montrer féroce, mais il faut aussi mentionner que les abus de certains juges sont aussi punis. Ainsi Robert le Bougre — ancien hérétique converti — inquisiteur en Champagne qui envoie des dizaines de condamnés au bûcher (bûcher du Mont-Aimé) est suspendu temporairement en 1233. Lorsqu’il reprend sa mission, ses excès sont tels qu’il est révoqué et condamné à la prison à perpétuité en 1247. Mais ces dérives ne sont pas une généralité : les tribunaux inquisitoriaux sont davantage modérés dans leurs sentences que les tribunaux laïcs. Et la grande majorité des peines consiste en un temps d’emprisonnement.

Les images de violences proviennent surtout de l’amalgame qui est fait avec l’Inquisition espagnole -fondée en Espagne, en 1478, à la demande des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Elle est un temps sous l’autorité du tristement célèbre grand inquisiteur Thomas de Torquemada. Elle est instaurée pour sévir contre toutes les déviances, c’est-à-dire contre tous ceux qui ne sont pas catholiques. Il s’agit d’un phénomène politico-religieux. Abolie une première fois en 1808, elle l’est définitivement en 1834.

Exécution d'hérétiques par le feu. Gravure extraite de Historien der heyligen ausserwölten Gotteszeügen, par Ludwig Rabus (1557)

Exécution d’hérétiques par le feu. Gravure extraite de Historien der heyligen
ausserwölten Gotteszeügen
, par Ludwig Rabus (1557)

Idée reçue n°4 : l’Inquisition en France est une organisation pontificale puissante pendant des siècles
L’Inquisition médiévale dans le royaume de France perd de son importance avec le déclin des hérésies cathare et vaudoise à la fin du XIVe siècle. Ainsi un siècle après sa création elle est affaiblie notamment par la royauté qui souhaite affermir son autorité et conteste celle de l’Église. Aussi dans certaines affaires — comme celle des Templiers avec Philippe le Bel — il est difficile de définir la frontière entre le domaine politique et religieux.

La perte de l’influence du tribunal pontifical est flagrante au moment de la réforme protestante puisque ce n’est pas lui qui est au premier plan dans la lutte. En effet, les protestants sont considérés comme une menace pour la paix dans le royaume, par leur rébellion. Ce sont des criminels qui désobéissent au roi et dépendent donc de la justice laïque. Alors qu’en tant qu’hérétiques ils devraient relever du tribunal ecclésiastique, mais seuls les cas d’hérésie simple sont jugés par lui.

L’inquisition reprend une certaine importance à la fin du XVIe siècle lorsqu’elle s’engage dans la chasse aux sorcières (magiciens, devins, sorciers). Les tribunaux inquisitoriaux disparaissent du royaume de France à la fin du XVIIe siècle.

Véronique Laroche-Signorile
Le Figaro

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L'Inquisition, par Didier Le Fur. Éditions du Livre de Poche
POUR ALLER PLUS LOIN :
L’Inquisition, par Didier Le Fur
Éditions du Livre de Poche
192 pages. Format 11 x 17,8 cm
PRIX : 6,60 euros.
ISBN : 978-2-253156581
Réédition de janvier 2015 au format poche de l’ouvrage paru en 2012

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