LA FRANCE PITTORESQUE
Forces occultes : film antimaçonnique
sous le régime de Vichy
(Extrait (enrichi) de « Cinéma et propagande anti francs-maçons »
par Pierre-Yves Beaurepaire, Professeur d’histoire moderne
à l’Université de Nice-Sophia Antipolis)
Publié le jeudi 29 mars 2018, par Redaction
Imprimer cet article
Deux ans et demi après la promulgation en août 1940 d’une loi du régime de Vichy interdisant les sociétés secrètes, le film Forces occultes est présenté aux journalistes le 9 mars 1943 : s’appuyant sur la force d’une fiction, « commandé » par le gouvernement et réalisé par deux anciens francs-maçons, il entend dénoncer le péril maçonnique à l’origine de l’effondrement de 1940 et met en scène un député qui, ayant rejoint l’Ordre avant de rompre son serment, est poignardé par ses « frères »
 

Dès le 13 août 1940, soit moins de deux mois après la fin dramatique de la campagne de France et l’armistice, le régime de Vichy — régime politique dirigé par le maréchal Philippe Pétain du 10 juillet 1940 au 20 août 1944 — promulgue une loi interdisant les sociétés secrètes. Le 12 novembre le maréchal Pétain confie à Bernard Faÿ, professeur au collège de France, récemment nommé administrateur de la Bibliothèque nationale, la direction du Service des Sociétés Secrètes, installé symboliquement dans l’hôtel du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris.

En 1941, Faÿ demande à un ancien franc-maçon, Jean Marquès-Rivière, passé au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot — l’un des deux principaux partis collaborationnistes en 1940-1944, avec le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat —, de travailler au scénario d’un film antimaçonnique : Forces occultes. Produit la société Nova-Fims de Robert Muzard, très lié à la propagande nazie pour laquelle il réalise des documentaires, le film est tourné à la fois au Palais-Bourbon — l’Assemblée nationale a été mise en congé par l’État français — et au siège du Grand Orient. Il est réalisé par Paul Riche — pseudonyme de Jean Mamy —, également ancien maçon et membre du PPF.

Avec la bénédiction des autorités d’occupation, le tournage débute le 4 septembre 1942. Les scènes qui ne sont pas tournées in situ, le sont dans les studios de Nova Films à Courbevoie où un temple est reconstitué d’après les photographies prises au Grand Orient. L’affiche est réalisée par les graphistes de Nova-Films sur une idée de Jean Marquès-Rivière.

Affiche du film Forces occultes, présenté pour la première fois le 9 mars 1943

Affiche du film Forces occultes, présenté pour la première fois le 9 mars 1943

Le héros est le député Avenel, qui naïf et sincère, a fait l’erreur d’accepter l’invitation des francs-maçons à les rejoindre. Quand il découvre que les francs-maçons ont trempé dans tous les malheurs que la France a traversés dans l’avant-guerre : Front populaire, scandale de l’affaire Stavisky, en association avec les juifs ou avec la finance anglo-saxonne, il décide de rompre le serment qui lui impose de taire le secret de l’ordre sous peine d’une mort atroce et de dénoncer les agissements criminels. Ses « frères » décident alors de l’éliminer. Il survit miraculeusement à cette tentative d’assassinat mais quand il se réveille sur son lit d’hôpital, il est trop tard, les conspirateurs de l’anti-France ont fait basculer le pays dans la tragédie de la guerre contre l’Allemagne, malgré l’impréparation des armées françaises.

Le titre du film renvoie à la dénonciation des forces de l’anti-France contre lesquelles combattent la Révolution nationale et le maréchal Pétain. Ce sont ces forces : parlementaires corrompus, « péril juif », francs-maçons vendus aux intérêts de la ploutocratie internationale qui ont précipité la France dans la guerre en 1939 et dans la défaite de 1940 en poussant à la guerre contre l’Allemagne.

L’affiche du film donne un avant-goût de la tension dramatique : le héros est sous la menace d’une épée ; ses yeux masqués ne peuvent évaluer la menace qui pèse sur lui, à l’image de la France de la IIIe République qui s’est précipitée dans une guerre qui n’était pas la sienne. La scène représentée par l’affiche est issue de la cérémonie d’initiation du personnage central du film, le député Avenel. Deux francs-maçons revêtus de leur tablier de maître le maintiennent masqué, entravé et chemise ouverte, tandis que le troisième pointe sur lui une épée. À l’issue de sa prestation de serment, il sera lié pour la vie à l’ordre maçonnique, auquel il doit s’abandonner. Ses frères le protègeront, mais s’il tente de reprendre sa liberté, leur épée le transpercera.

Le 15 octobre 1942, un mois après le début du tournage, le scénariste Jean Marquès-Rivière écrivait dans Les Documents maçonniques : « Comme auteur du scénario, je tiens à présenter ce film qui traite de la Franc-Maçonnerie. J’ai voulu d’abord, par ce film, continuer la propagande antimaçonnique que font, chacun dans leur secteur, mes camarades de l’équipe à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. À une heure où les prudents cherchent le vent, où les habiles préparent de futurs reniements, à une heure où le F :. Marchandeau, l’auteur du fameux décret de mai 1939, ce décret qui interdisait de prononcer ou d’écrire le mot juif, peut encore paraître à la tête des maires de France sans être hué, il paraît singulièrement urgent de dire tout haut ce que personne n’ose prononcer et de dénoncer clairement le mal dont meurt la France.

« À force d’être secrète, la Franc-Maçonnerie a disparu déjà de la mémoire de nos concitoyens, ces Français qui ont la mémoire courte, et sa nocivité est en proportion de cette occultation. C’est pourquoi, par notre revue, par nos conférences, par nos tracts, par le film, nous ne cesserons de jeter le cri d’alarme.

« J’entends bien les indignations : union des Français, bonne volonté commune, respect des valeurs spirituelles, absolution du passé, reconstruction socialiste du pays... et nous sommes les attardés, les réactionnaires odieux, les gêneurs du renouveau français. Sur cela, nous nous sommes expliqués et nous nous expliquerons encore : qu’il me suffise de dire ici que, pour nous, ces mots ont une sonorité qui date d’avant 1940, mais que nous les voulons purs et vrais et non point au titre de commodes paravents ; nous nous refusons de jouer avec des dés pipés. Reconstruction de la France ? Oui, mais sans le IVe pouvoir occulte des Loges. Union des Français ? Oui, mais sans l’existence secrète des initiés auxquels tout est permis et des profanes qui n’ont qu’à payer et qu’à applaudir. Absolution du passé ? Oui, si les FF :. redeviennent sincèrement des Français du Maréchal, des Français pour le servir et l’aider et non point pour le trahir.

« Ce film, je l’ai voulu précis et dur ; il fallait montrer aux foules de cinéma — vous savez tous ce que représente une foule de cinéma, le samedi soir... — pendant trente minutes, le problème maçonnique. Pour voir la question, pour la transformer en images sonores, j’ai songé à ce qui était lié très particulièrement avec la Maçonnerie : le Parlementarisme. C’est l’histoire d’un jeune député dont le talent inquiète les Forces occultes qui dirigent la France ; le Grand Orient lui offre l’initiation maçonnique et lui promet une aide puissante ; mais il ne veut pas jouer le jeu malpropre qu’on lui propose et il clame son indignation et son mépris. La vengeance maçonnique l’attend ; de son lit d’hôpital, il verra partir ses camarades vers cette drôle de guerre qu’il a tant redoutée et dont il s’est expliqué si rudement dans une séance maçonnique fameuse. Et je remercie encore ici mon camarade Maurice Rémy du personnage émouvant qu’il a su créer dans ce film.

Laissez-nous tranquilles. Franc-Maçonnerie. Le Juif. De Gaulle. Le Mensonge. Affiche du régime de Vichy exécutée en 1941 par l'illustrateur Jé (signature en bas à droite)

Laissez-nous tranquilles. Franc-Maçonnerie. Le Juif. De Gaulle. Le Mensonge. Affiche
du régime de Vichy exécutée en 1941 par l’illustrateur Jé (signature en bas à droite)

« Palais-Bourbon, temple maçonnique, diptyque inséparable quand on veut représenter la France d’avant 1940 ; c’est cette atmosphère lourde et trouble que j’ai voulu évoquer dans Forces Occultes, afin de faire comprendre aux Français de 1942 de quel cauchemar ils sortent et où certains inconscients voudraient les faire revenir. C’est le dévoilement de l’action puissante et néfaste des Loges maçonniques, c’est la révélation du rituel des tenues et des initiations, ce grand secret maçonnique, dans son déroulement le plus exact et le plus grotesque. Si l’esprit critique et le sens du ridicule n’ont pas complètement abandonné les Français, ce film doit les éclairer et aider les campagnes que nous menons dans cette revue. Il est vrai que n’est pire sourd que celui qui ne veut point entendre ».

Faisant un compte-rendu détaillé de la première projection du film, Les Documents maçonniques reproduisent le discours prononcé en préambule par Jean Marquès-Rivière : « J’ai l’honneur de vous présenter le film antimaçon Forces occultes que j’ai fait en collaboration avec le metteur en scène Paul Riche et qui a été réalisé par le courageux directeur de Nova-Films M. Muzard. Ce film veut être un acte politique. Il veut être aussi un acte révolutionnaire. Dans le silence de l’agonie de la France, il veut être enfin un cri d’alarme.

« Je sais que ce cri n’est pas unique : je sais les efforts désespérés du petit nombre qui ne veut pas la disparition de notre pays dans un effacement rageur et stérile. C’est un cri de plus pour secouer le bon sens populaire qui a toujours pensé qu’un crime capital méritait une peine capitale. (...) Crime capital, ai-je dit. Il est pitoyable que la mémoire courte des Français leur ait déjà fait oublier les causes profondes de la situation présente. (...) Un malaise subsiste, de tous côtés des forces occultes freinent les volontés de renouvellement et stérilisent les efforts révolutionnaires. Un sabotage systématique de ce qui est le vouloir du maréchal a été organisé.

« À chaque pas en avant, de puissantes et mystérieuses mains défaisaient le travail accompli, et lorsque nous nous retournons sur deux ans de travail, nous ne pouvons que constater une incurie désolante et inquiétante, une suite d’occasions manquées et de temps perdu. Voilà pourquoi, j’ai voulu que ce film fût âpre et dur ».

À la Libération, Jean Marquès-Rivière, Robert Muzard et Jean Mamy furent épurés pour collaboration avec l’ennemi. Muzard fut condamné à trois ans de prison ; Marquès-Rivière, qui s’était exilé, fut condamné à mort par contumace et à la dégradation nationale ; Mamy fut condamné à mort et fusillé le 29 mars 1949.

Visionner le film Forces occultes sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=bkbxwQkxbTk

Extrait (enrichi) de
« Cinéma et propagande anti francs-maçons »
Pierre-Yves Beaurepaire

Professeur d’histoire moderne à l’Université de Nice-Sophia Antipolis
Histoire par l’image
Accédez à l’article source

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE