LA FRANCE PITTORESQUE
28 février 1791 : journée des Poignards,
supposée conspiration visant à
enlever Louis XVI pour livrer
la France à la guerre civile
(D’après « Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à
la révolution de 1789 » Tome 6 (par Louis-Pierre Anquetil) paru en 1862,
« Tableaux historiques de la Révolution française » (Tome 2) paru en 1798,
« Mémoires pour servir à la vie du général La Fayette, et à l’histoire
de l’assemblée constituante » (par Jean-Joseph Regnault-Warin) paru en 1824,
« Histoire des ducs d’Orléans » Tome 4 (par Pierre-Sébastien Laurentie)
paru en 1832, « Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI » (par Madame
la comtesse d’Armaillé) paru en 1886 et « Précis historique de la Révolution
française » (par Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne) édition de 1792)
Publié le jeudi 28 février 2019, par Redaction
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Journée tumultueuse parfois simplement dénommée Bataille de cannes, cette manoeuvre politique, dont les commanditaires et les objectifs n’ont jamais été véritablement déterminés, se déroule sur deux fronts : plus d’un millier d’hommes s’attelant à la démolition du donjon de Vincennes ; 400 autres armés de poignards et pistolets investissant le château des Tuileries
 

Dans les émeutes et les rassemblements qui troublaient alors Paris, il y avait une menace constance contre le roi et sa famille. Louis XVI ne pouvait paraître, non plus que la reine, sans recevoir d’infâmes insultes. Il y eut des outrages d’un tel raffinement d’atrocité, que l’histoire aurait peine à les raconter, écrit en 1832 dans son Histoire des ducs d’Orléans le journaliste et historien Pierre-Sébastien Laurentie. Une brutalité sauvage poursuivait la malheureuse Marie-Antoinette. Rien n’était sacré, et Paris ressemblait à une ville où la seule loi était de ne plus avoir de loi.

La faction d’Orléans voulait un commandant de la garde nationale plus digne d’elle que le général La Fayette : Antoine-Joseph Santerre, commandant du faubourg Saint-Antoine, était son homme. Il s’ensuivit de la division jusque dans l’émeute. La Fayette avait peur du crime et s’efforçait de le comprimer ; mais il avait soif de popularité et s’efforçait de la retenir : double rôle qui ne donnait de sécurité à personne, ni aux royalistes, ni aux révolutionnaires.

En ce mois de février 1791, la rumeur était grande dans la ville. On croyait le moment venu d’obtenir les changements désirés par les Jacobins, et surtout la chute de La Fayette. On souffla l’insurrection dans le faubourg Saint-Antoine, où commandait Santerre : tout annonçait de sinistres événements.

Antoine-Joseph Santerre. Gravure de Paul-André Basset (1793)

Antoine-Joseph Santerre. Gravure de Paul-André Basset (1793)

On faisait alors des réparations au donjon de Vincennes pour qu’il servît de prison légale ou de succursale à celles de Paris, devenues insuffisantes. Dès le matin de ce 28 février 1791, un mouvement populaire était excité dans plusieurs quartiers, surtout à l’Hôtel de Ville, pour la démolition de ce donjon. Environ douze cents hommes du faubourg Saint-Antoine se réunirent sous les ordres de Santerre et se portèrent vers le château de Vincennes, s’occupant ensuite à démolir un parapet et autres parties de ce donjon.

Le général La Fayette, instruit de ce mouvement, rassembla un détachement de la garde nationale et, vers trois heures de l’après-midi, marcha sur Vincennes. Il demanda et obtint du maire de ce lieu l’ordre d’arrêter la démolition. Il entra dans les cours, parvint au donjon, et ordonna aux démolisseurs de se retirer. Il y eut quelque résistance, quelques coups donnés et reçus, et La Fayette conduisit 64 prisonniers à Paris.

Arrivé à la barrière du Trône, il la trouva fermée et gardée par une multitude de gens du faubourg ; il lui fallut forcer ce poste. Des hommes apostés avaient, dans le bois de Vincennes, tiré plusieurs coups de fusil sur son aide-de-camp, le prenant pour le général. Ce dernier, en passant dans la rue du faubourg Saint-Antoine, fut exposé à de pareilles attaques. Un homme de mauvaise mine le suivait depuis quelque temps et tentait de passer une barre entre les jambes de son cheval, dans le dessein évident de faire abattre la monture et de tuer facilement le cavalier. Mais un grenadier prévint l’attentat en portant un coup de baïonnette à cet homme.

Gilbert du Motier de La Fayette, commandant général de la garde parisienne. Estampe de la fin du XVIIIe siècle

Gilbert du Motier de La Fayette, commandant général de la garde parisienne.
Estampe de la fin du XVIIIe siècle

Pendant que La Fayette s’occupait de cette expédition hors de Paris, cette ville et le château des Tuileries étaient le théâtre d’événements qui, quoique d’un autre genre, n’étaient pas étrangers à ceux de Vincennes. Dès le matin, un certain marquis de Court de Tombelle, chevalier de Saint-Louis, et qui se dit ensuite lieutenant pour le roi à Salins, avait paru dans les appartements des Tuileries, longtemps avant l’heure où l’on y en trait, portant sous son habit une espèce de long poignard dont il laissait paraître la poignée ; en sorte, comme on l’écrivit alors, qu’il le cachait ostensiblement.

Dans cette attitude, faite pour exciter le soupçon, il passa près d’un garde suisse qui l’arrêta. Il ne parut ni effrayé ni surpris. On lui demanda pourquoi il portait cette arme cachée ; ce à quoi il répondit que depuis un mois c’était sa coutume et qu’il ne sortait jamais autrement. On le conduisit chez Duparc, concierge du château, chez Villequier, premier gentilhomme de la chambre. En vain. Le major général Gouvion l’envoya enfin à la prévôté de l’hôtel, qui le renvoya au tribunal de la section des Tuileries. On l’interrogea ; il répondit toujours la même chose : c’était son usage de porter ce poignard ; c’était seulement pour sa défense, et sans aucun mauvais dessein ; il était connu de tels et tels, qui en effet le reconnaissaient et le réclamaient. On le remit en liberté.

Cependant, le bruit de son arrestation se répandit dans la ville ; et chaque parti, selon ses intérêts et ses préventions, en variait les circonstances, certains faisant de l’homme au poignard caché un régicide, un Jacobin, chargé d’assassiner le roi. Au signal donné par cette rumeur, environ quatre cents individus, nobles ou ennemis de la révolution, venus de la province ou habitants de Paris, et la plupart membres du club monarchique, accoururent vers les neuf ou dix heures du soir, de toutes parts, armés d’épées, de sabres, de poignards, de pistolets d’arçon, et à la faveur de cartes d’entrée que le duc de Villequier leur avait délivrées, s’introduisirent dans les appartements des Tuileries.

La garde parisienne, étonnée de les voir, ne le fut pas moins de leur entendre raconter que La Fayette venait d’être tué à VIncennes, ou se trouvait en danger de l’être, et qu’il fallait promptement marcher à son secours. Le major général Gouvion arriva aux Tuileries, démentit ces bruits alarmants, désabusa ceux qui pouvaient y croire, et la garde parisienne, qu’on voulait éloigner, resta à son poste. Gouvion se rendit chez le roi et l’avertit que sa personne n’était pas en sûreté, qu’une troupe de gens armés remplissait ses appartements.

Chevaliers du poignard désarmés par ordre du roi au château des Tuileries, le 28 février 1791

Chevaliers du poignard désarmés par ordre du roi au château des Tuileries, le 28 février 1791

Ces nobles, pour justifier leur réunion extraordinaire au château, disaient que Paris étant en insurrection, que le peuple s’égorgeant au faubourg Saint-Antoine, on devait craindre qu’il ne se portât aux Tuileries, et que les jours du roi étant menacés, ils s’étaient réunis pour le défendre ; en même temps, ils adressaient ces paroles au roi : « Sire, c’est votre noblesse qui accourt auprès de votre personne sacrée pour la défendre. » Le roi leur répondit : « Votre zèle est indiscret ; rendez vos armes et retirez-vous ; je suis en sûreté au milieu de la garde nationale. »

Cependant La Fayette arriva aux Tuileries avec un détachement de la garde parisienne : selon les mémoires du marquis de Ferrières, « surpris du nombreux rassemblement qui s’y trouve, il reproche aux nobles, en termes peu ménagés, leur coupable entreprise, exige qu’ils lui remettent leurs armes. Les nobles résistent ; les grenadiers de la garde nationale s’étaient emparés de tous les postes, et remplissaient tous les appartements. La Fayette s’adresse au roi, lui parle de l’indignation de la garde nationale, lui montre les inconvénients d’un refus ; le roi, intimidé, confirme l’ordre de La Fayette, invite les nobles à déposer leurs armes sur deux grandes tables placées dans l’antichambre. Ils obéissent. »

Ces armes consistaient en quelques poignards de forme singulière, en couteaux de chasse, en épées, en pistolets, en cannes à épée : deux grandes mannes en furent remplies, et les gardes nationales se les distribuèrent comme objets de bonne prise. Le journal de Prud’homme évoque quatre cents gentilshommes « vêtus d’un costume sombre, signe de ralliement, armés jusqu’aux dents » et cachant dans leurs manches des poignards dont la lame était en « langue de vipère », et affirme qu’ils s’étaient réunis aux Tuileries pour forcer le roi à la fuite, « livrer la France aux horreurs de la guerre civile et planter l’étendard du despotisme au milieu de fleuves de sang et de monceaux de morts ».

Les nobles présents aux Tuileries sont brutalement désarmés, le 28 février 1791. Eau-forte de 1815 d'après le dessin de Jean-Louis Prieur le Jeune (1759-1795)

Les nobles présents aux Tuileries sont brutalement désarmés, le 28 février 1791.
Eau-forte de 1815 d’après le dessin de Jean-Louis Prieur le Jeune (1759-1795)

Dans la seconde édition de son Précis historique de la Révolution française parue en 1792, le pasteur Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne dit Rabaut-Saint-Étienne, ancien président de l’Assemblée constituante — du 15 au 28 mars 1790 — et contemporain de cette journée des Poignards, affirme que « des poignards faits à l’avance et d’une forme particulière, annoncent que la complot avait été tramé de longue main ; un fort anneau servait à les tenir, et il en sortait une lame à deux tranchants se terminant en langue de vipère. Le rendez-vous était donné au château ; là devait se réunir une foule de prétendus amis du roi : ils devaient crier que sa vie était en danger, et se servir des armes qu’ils aurait apportées. »

Rabaut-Saint-Étienne évoque ensuite le personnage mentionné précédemment, le marquis de Court de Tombelle dont nous avons vu qu’il s’était rendu au château des Tuileries dans la matinée : « Un homme qui arriva deux heures trop tôt découvrit le complot. La garde nationale aperçut un poignard sous son habit ; il fut arrêté et fouillé ; on lui trouva des pistolets, et il fut conduit au district. La garde, ainsi avertie, vit arriver, deux heures après, des hommes suspects : elle les fouilla à mesure ; et leur ayant trouvé beaucoup de pistoles, elle se contenta de les désarmer et de les chasser. Il y en avait un grand nombre dans le jardin ; ils reçurent le même traitement. Quelques personnes furent arrêtées, et bientôt élargies. Personne n’avait reçu de mal, les jours du roi surtout étaient hors de péril ; l’affront que les conjurés avaient reçu fut la seule vengeance qu’on en tira, et les tribunaux ne donnèrent aucune suite à cette affaire. Mais les citoyens furent toujours plus convaincu qu’on voulait enlever le roi. »

On assure, en effet, que ces nobles chassés du château devaient être appuyés par plusieurs autres, qui, dans les environs et dans le jardin même des Tuileries, attendaient avec impatience le moment du succès. L’événement de Vincennes et celui des Tuileries ont entre eux une connexion frappante ; le premier devait favoriser le second.

Dans une lettre datée du 2 mars suivant et adressée à Madame de Raigecourt, la soeur de Louis XVI, Madame Élisabeth, relate ainsi les événements de la journée du 28 février : « Il y a eu beaucoup de bruit du côté de Saint-Antoine. Tout le monde s’est porté avec beaucoup de zèle. Mais les gens qui étaient chez le Roi ont parlé avec trop de légèreté et sont restés toute la journée chez lui au lieu de se mêler parmi la garde, pour lui prouver qu’ils n’avaient que de bonnes intentions.

Le désarmement de la bonne noblesse. Estampe de 1791

Le désarmement de la bonne noblesse. Estampe de 1791 portant le sous-titre :
Forme exacte des infâmes poignards dont étaient armés ceux qui ont été souffletés, arrêtés
ou chassés des Tuileries par la garde nationale le 28 février 1791
. Sur le poignard,
on peut lire l’inscription : Forgez par les aristo-monarchiens. Trampées
par les calotins réfractaires à la loi

« Une partie de la garde a cru qu’on la méprisait ; l’autre a imaginé que l’on voulait faire une contre-révolution. Bref, à 8 heures du soir, en sortant de chez le Roi, tout le monde était fouillé, et l’on s’emparait des pistolets et espèces de poignards que l’on trouvait. Plusieurs jeunes gens ont été fort maltraités ; d’autres menés à l’Abbaye. Si le peuple avait fait mine de se porter au château, tout le monde aurait été égorgé. La moitié de ce qui remplissait les cours était ivre. Mais le premier tort vient des mauvaises têtes qui se sont a trouvées là. Le Roi, pour calmer tout, a été obligé de demander lui-même à ces messieurs leurs armes.

« Une heure après, la garde a exigé qu’elles fussent portées au corps de garde. Elles ont été pillées au bas de l’escalier. Tout est fort tranquille depuis ce moment-là. Je crois que c’est fini, parce que les méchants ont obtenu ce qu’ils voulaient, et que nous autres, bonnes bêtes, nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez, et donnons tête baissée dans tous les pièges qu’on nous tend. Je ne puis rendre combien cela me met en colère. »

Le lendemain de la journée des Poignards, La Fayette fit afficher une relation des événements dans laquelle de Duras et de Villequier, premiers gentilshommes de la chambre, qui avaient favorisé l’introduction des conspirateurs dans le château, étaient qualifiés de chefs de la domesticité. Ces deux personnages donnèrent leur démission et ne tardèrent pas à sortir de France. Cette affaire, et surtout son fâcheux résultat, affectèrent tellement Louis XVI qu’il en fut malade pendant plusieurs jours.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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