LA FRANCE PITTORESQUE
24 février 1812 : mort du physicien
Étienne-Louis Malus, qui mit en
évidence la polarisation de la lumière
(D’après « École Polytechnique. Livre du centenaire (1794-1894) »
(Tome 1) paru en 1895, « Oeuvres complètes de François Arago »
publiées sous la direction de J.-A. Barral (Tome 3) paru en 1859
et « La Grande encyclopédie Larousse » (Tome 16) paru en 1975)
Publié le jeudi 24 février 2022, par Redaction
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Au nombre des premiers élèves que compta l’École Polytechnique, c’est au cours de la campagne d’Égypte, à ses heures perdues, qu’il entama ses travaux visant à montrer que la lumière n’était pas un corps simple, une découverte fortuite qu’il fit après son retour en France le confortant dans cette hypothèse et lui valant de recevoir le prix de l’Institut
 

Étienne-Louis Malus naquit à Paris le 23 juillet 1775, d’Anne-Louis Malus du Mitry, conseiller du roi et trésorier de France, et de Louise-Charlotte Desboves. Ses premières études furent principalement littéraires ; il acquit une connaissance très approfondie des auteurs qui font la gloire des lettres grecques et latines. Jusqu’à ses derniers jours, il récitait, sans hésiter, de longs passages de l’Iliade, d’Anacréon, d’Horace et de Virgile.

Comme presque tous les écoliers doués de quelque facilité, il consacra étourdiment son jeune talent à des productions au-dessus de ses forces et dont un de nos grands poètes caractérisait si énergiquement la difficulté en les appelant les Œuvres du Démon.

Malus avait fait marcher de front, avec un succès marqué, les études littéraires et celles de l’algèbre et de la géométrie. Il subit l’examen pour l’École du génie de Mézières, en 1793, et fut classé cette même année comme sous-lieutenant dans la promotion où le général Bertrand occupait le premier rang. Mais des désordres graves dont l’École de Mézières avait été le théâtre, ayant amené sa suppression, Malus ne put pas profiter de son brevet d’admission et s’enrôla comme volontaire au 15e bataillon de Paris, puis alla à Dunkerque où il prit part, la brouette à la main, comme simple terrassier, aux travaux qu’exigeaient les fortifications de campagne dont on entourait cette place.

Étienne-Louis Malus. Gravure (colorisée) réalisée par Ambroise Tardieu d'après une peinture communiquée par François Arago

Étienne-Louis Malus. Gravure (colorisée) réalisée par Ambroise Tardieu
d’après une peinture communiquée par François Arago

Lepère, ingénieur des ponts et chaussées, qui dirigeait une partie de ces constructions, ayant remarqué des dispositions particulières et non prévues dans la manière dont les soldats exécutaient les déblais et les remblais, voulut en connaître l’origine. On lui désigna alors celui qui les avait indiquées comme devant conduire au but avec le moins de fatigue possible. Quelques moments de conversation montrèrent à l’ingénieur qu’il venait de découvrir dans l’humble terrassier du 15e bataillon de Paris, un homme supérieur, et il l’envoya à l’École polytechnique qui venait d’être fondée.

Malus fut donc un des premiers élèves de cette institution célèbre. Il y conquit bientôt l’amitié de Monge, qui en était l’âme ; il ne fallut rien moins que cette amitié ardente et dévouée pour le sauver des destitutions qu’il avait encourues en se mêlant, contre le gouvernement établi, à plusieurs des mouvements politiques qui agitèrent la capitale. En sortant de l’École polytechnique, Étienne-Louis se rendit à Metz, où il fut reçu comme élève sous-lieutenant du Génie, le 20 février 1796. Nommé capitaine du Génie le 19 juin, il fut envoyé l’année suivante à l’armée de Sambre-et-Meuse, où il prit une part active et distinguée aux combats que livra cette vaillante armée.

En 1798, Malus partit pour l’armée d’Orient, où il se distingua dans plusieurs batailles. Chef du Génie, tantôt en Syrie, tantôt en Égypte, il fut deux fois atteint de la peste et dut interrompre un moment son service actif. Peut-être la science doit-elle quelque gratitude à cette interruption ; car c’est à cette époque que, malade sous la tente, Malus commença à s’occuper de la théorie de la lumière. Il y était prédestiné, d’ailleurs ; le premier de ses essais mathématiques avait eu pour objet la route que suivent les rayons lumineux réfléchis ou réfractés par une surface de courbure quelconque.

Dans son Mémoire d’optique, composé en 1799 lors de la campagne d’Égypte, il se propose de prouver que la lumière n’est pas un corps simple, que ses principes constituants sont le calorique et l’oxygène dans un état particulier de combinaison. Pour établir cette théorie, il cite des faits nombreux empruntés à la chimie et qui prouvent qu’il était parfaitement initié, non seulement aux principes généraux, mais encore aux détails de cette science. Précisons cependant que toutes les déductions de Malus, même les plus plausibles, sont aujourd’hui contredites ; il suffirait de citer à l’encontre de tous les phénomènes qu’il rapporte, la lumière qui s’engendre dans le vide à l’aide du courant voltaïque parcourant des substances simples, telles que le carbone, le platine, etc.

Dans la seconde partie du Mémoire, Malus cherche à établir que les diverses natures de lumière ne diffèrent les unes des autres que par la proportion plus ou moins grande de calorique qu’elles renferment. Le rouge serait ainsi la lumière la plus chaude, le violet la plus froide, ce qui est conforme à l’expérience. Suivant une opinion singulière professée par l’auteur, tous les rayons doués d’une certaine intensité devraient produire la sensation du blanc.

La troisième partie du travail de Malus est consacrée aux conséquences mécaniques qui se déduisent par l’analyse, de la supposition développée dans les deux premières sections ; l’auteur trouve, comme tous les partisans du système de l’émission, que la vitesse de la lumière doit être plus grande dans l’eau que dans l’air.

Ce Mémoire était destiné à l’Institut d’Égypte. Aucune armée au monde n’avait compté auparavant dans ses rangs un officier s’occupant, dans les loisirs des avant-postes, de recherches aussi complètes et aussi profondes.

Regagnant la France en 1801, il gagna Marseille et, après une courte visite à ses parents, partit pour Giessen où il rejoignit mademoiselle Wilhermine-Louise Koch, sa fiancée depuis quatre ans, et l’épousa. En 1802-1803 il fut employé à Lille. Puis nous le voyons, en 1804, à Anvers, rédiger, d’après la demande de Napoléon, des projets pour compléter l’établissement naval de cette ville et agrandir son enceinte.

Dans ce travail très élaboré, accompagné de onze feuilles de dessins, l’auteur traite analytiquement, mais sans négliger les applications numériques, deux questions de mécanique qui, dans les circonstances et dans la localité, avaient une grande importance, à savoir : 1° le parti qu’on peut tirer du poids des hommes marchant dans des tambours pour faire mouvoir les chapelets inclinés, ou vis d’Archimède, servant aux épuisements ; 2° l’emploi pour atteindre le même but de la force du vent agissant sur des moulins à ailes horizontales et disposés de manière à tourner toujours dans le même sens.

Théorie de la double réfraction de la lumière dans les substances cristallisées. Mémoire d'Étienne-Louis Malus couronné par l'Institut en 1810

Théorie de la double réfraction de la lumière dans les substances cristallisées.
Mémoire d’Étienne-Louis Malus couronné par l’Institut en 1810

En 1805, Étienne-Louis Malus fut attaché à l’armée du Nord. En 1806, 1807 et 1808, il était sous-directeur des fortifications à Strasbourg. En cette qualité il présida à la reconstruction du fort de Kehl, fit des remarques très judicieuses sur la forme des revêtements et appliqua une analyse exacte à la détermination de leur épaisseur. À dater de 1809, on l’appela à Paris, puis il devint major du Génie en 1810. Les archives du comité de l’arme prouvent que les inspecteurs généraux le consultaient souvent avec beaucoup de fruit sur le mérite des travaux qui leur étaient soumis. Depuis 1805, l’École Polytechnique lui confiait les examens de sortie pour la Géométrie descriptive, et en 1806 on avait ajouté à sa tâche les examens de Physique.

C’est en accomplissant ces fonctions qu’il fut conduit aux découvertes par lesquelles il illustra son nom. Dès 1807, il avait présenté à l’Académie des Sciences un Traité d’Optique analytique, qui fut inséré dans le Recueil des Savants étrangers, ainsi qu’un mémoire sur le pouvoir réfringent des corps opaques. En 1808, des fenêtres de sa maison, située rue d’Enfer, il examinait, à l’aide d’un cristal biréfringent — du spath d’Islande —, le disque du soleil réfléchi par les vitres du palais du Luxembourg.

À sa grande surprise, au lieu de deux images qu’il devait recevoir, il n’en aperçut qu’une. En tournant l’instrument, il reconnut que la dualité des images se rétablissait, mais avec des variations réciproques dans l’intensité de chacune d’elles. De plus, le phénomène dépendait de l’inclinaison sous laquelle les rayons étaient réfléchis. En d’autres termes, la lumière du soleil, après réflexion sur le verre, pouvait être dans les mêmes conditions que si elle avait, au préalable, traversé un premier cristal biréfringent, ce qui produisait les apparences déjà constatées par Huygens.

À la fin du XVIIe siècle, Huygens avait en effet bâti tout un édifice mathématique qui, s’appuyant sur l’hypothèse des ondulations de l’ « éther », rendait compte de la réflexion et de la réfraction de la lumière ; ce système lui avait permis de proposer des lois très exactes de la double réfraction provoquée par un cristal de spath d’Islande, phénomène observé pour la première fois par Érasme Bartholin en 1669.

La découverte d’Étienne-Louis Malus passionna les savants d’alors, qui apportèrent quelques compléments, notamment Arago, qui découvrit l’influence de la couleur sur le phénomène (polarisation chromatique), et Jean-Baptiste Biot, qu découvrit la polarisation rotatoire en remarquant l’action de certaines substances, telles que les sucres, sur une lumière polarisée. Notons que ces différentes découvertes furent confirmées par les travaux de l’Anglais Bewster. Cependant, ni la théorie ondulatoire d’Huygens, ni la théorie de l’émission de Newton ne permettaient d’expliquer les raisons pour lesquelles une lumière réfléchie par une vitre ou ayant traversé un spath, jouissait de telles propriétés de polarisation.

Si la découverte de Malus était due au hasard, du moins le hasard était-il bien tombé ; car, entre les mains de Malus, la science ne devait pas perdre le fruit d’une telle aubaine. Justement l’Académie des Sciences venait de mettre au concours, pour 1810, la question des modifications apportées aux rayons lumineux par la traversée des cristaux. Malus chercha à interpréter la nature de cette transformation de la lumière, qui venait de lui apparaître d’une façon si nette.

De son temps, la théorie de l’émission régnait encore sans partage, et l’on croyait à la réalité des particules lumineuses. Il n’est donc pas étonnant qu’ayant à se prononcer sur le changement réel que subit la nature des rayons, il en ait cherché le principe dans une disposition particulière des molécules qui les composent. Celles-ci, sous certaines influences, se tourneraient toutes d’un même côté, comme si elles possédaient un axe des pôles, susceptible d’une orientation déterminée. De là le nom de polarisation, créé par Malus pour cette importante propriété, nom si commode qu’il survit à toutes les interprétations théoriques.

Le fait constaté au Luxembourg montrait que la polarisation pouvait se produire, non seulement par réfraction, mais aussi par réflexion. Dans la nuit même de sa trouvaille, l’infatigable physicien déterminait l’angle sous lequel s’accomplit la polarisation par réflexion sur l’eau, puis sur le verre. Ensuite il s’attaquait à la double réfraction, imaginait des appareils ingénieux, et bientôt il était en possession de toutes les lois du phénomène, qui devaient être longtemps enseignées sous le nom de « lois de Malus », comme celles de la réflexion et de la réfraction simple sont connues sous le nom de « lois de Descartes ».

L’Institut n’attendit pas, pour décerner le prix, l’expiration du délai assigné au concours. Il fit mieux, et, dès le 15 août 1810, Malus, devenu lieutenant-colonel, était élu académicien en remplacement de Montgolfier. Complétant ses découvertes, il détermina toutes les circonstances de la polarisation, tant par réfraction que par réflexion, extérieure ou intérieure. Il sut mettre en évidence les deux modes de la réflexion totale interne, suivant qu’elle s’accomplit avant ou après la surface d’émergence, à une distance infiniment petite de cette dernière. Enfin, on a pu dire justement que l’observation faite à la fenêtre de la rue d’Enfer était devenue, grâce à son génie, « la source d’un nombre infini de phénomènes, jusqu’alors absolument ignorés », affirme Biot dans son Discours aux funérailles de Malus.

Une place étant devenue vacante dans la section de physique de l’Institut, par la mort de Montgolfier, Malus se trouva naturellement au nombre des candidats qui se présentèrent pour recueillir la succession de l’illustre physicien. Parmi ses concurrents, figurait un ingénieur des ponts et chaussées qui avait fait aussi partie de l’expédition d’Égypte et dont les relations avec des académiciens étaient nombreuses et d’ancienne date. C’est Étienne-Louis qui l’emporta, obtenant 31 suffrages et son concurrent 22.

Expérience de Malus relative à la polarisation de la lumière

Expérience de Malus relative à la polarisation de la lumière.
© Crédit illustration : Maison pour la Science en Midi-Pyrénées

En 1811, Malus généralisa les résultats obtenus dans un Mémoire intitulé : Sur l’axe de réfraction des cristaux et des substances organisées, lu à l’Académie le 19 août. Cette même année 1811, Malus remplissait par intérim les fonctions de directeur des études de l’École polytechnique ; on n’attendait plus que l’accomplissement de quelques formalités réglementaires pour lui confier définitivement cet important emploi. La compagne de son choix, qu’il était allé chercher à Giessen après l’expédition d’Égypte, répandait sur son existence un ineffable bonheur. Les Académies les plus célèbres de l’Europe s’empressaient à l’envi de se l’associer.

Il était aimé, honoré, estimé de tous ceux qui le connaissaient. Il devait jouir d’avance des découvertes brillantes que lui promettait son génie. Il possédait enfin, après les labeurs guerriers de sa première jeunesse, tout ce qui doit attacher à la vie. Et c’est alors que, pour le malheur de ses proches, de ses amis, des sciences et de la gloire nationale, la vie lui manqua.

Une phtisie, dont il éprouva les premiers symptômes vers le milieu de 1811, fit des progrès rapides et effrayants, peut-être à cause des germes que la peste avait laissés. Malus ne se croyait pas gravement atteint, car, l’avant-veille de sa mort, il exigea d’un de ses amis qu’il lui promît de l’accompagner dans la semaine à Montmorency, où il désirait se retirer momentanément pour respirer l’air de la campagne. Malus n’avait pas trente-sept ans lorsque l’Académie le perdit.

Ce fut Fresnel qui apporta en 1821 une première explication au problème de polarisation de la lumière, en supposant que celle-ci était constituée de vibrations transversales de l’éther, perpendiculaires à la direction de propagation. La solution du problème fut fournie par Maxwell qui, en 1869, montra que la lumière était constituée par un champ électrique et un champ magnétique transversaux qui peuvent se propager même dans le vide sans avoir besoin du support matériel qui avait été imaginé jusqu’alors.

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