LA FRANCE PITTORESQUE
6 février 1626 : élaboration d’un
édit royal graduant les peines
encourues par les duellistes
(D’après « Du duel considéré dans ses origines et dans l’état actuel
des moeurs » (par Eugène Cauchy), Tome 1 paru en 1863)
Publié le mardi 6 février 2024, par Redaction
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Conscient qu’il est un degré de sévérité que les lois pénales ne peuvent franchir sans tomber dans l’impuissance d’être appliquées, le cardinal de Richelieu, assistant à la multiplication des duels en dépit d’édits toujours plus nombreux les prohibant, décide de modérer les peines en les graduant suivant les circonstances de chaque affaire
 

Le cardinal de Richelieu caractérise en termes pleins de vigueur l’état de choses où l’on était arrivé vers 1626 : « La multitude de ceux qui se battaient était si grande, dit-il, et les peines ordonnées par les édits précédents si rigoureuses, que le roi avait peine de les faire punir, d’autant que ce n’eût plus été un effet de justice, qui est d’en châtier un petit nombre pour en rendre sages beaucoup, mais plutôt un effet d’une rigueur barbare, qui est d’étendre la punition à tant de personnes qu’il semble n’en rester plus qui puissent s’amender par l’exemple. »

Il ajoute que « les duels étaient devenus si communs que les rues commençaient à servir de champ de combat, et, comme si le jour n’était pas assez long pour exercer leur furie, ils se battaient à la faveur des astres ou à la lumière des flambeaux qui leur servaient d’un funeste soleil. »

Un duel sous Louis XIII. Chromolithographie de 1952

Un duel sous Louis XIII. Chromolithographie de 1952

Ainsi s’explique la rareté des condamnations contradictoires pendant cette période de sévérité excessive. Ce vain étalage de menaces écrites dans les lois n’aboutissait le plus souvent qu’à des arrêts de contumace, en dépit desquels les coupables affectaient de récidiver. Pour n’en citer qu’un exemple marquant, le comte de Montmorency-Bouteville, déjà condamné par contumace en 1624, pour son duel avec Pontgibaud, se battit de nouveau avec le sieur de Valencey au mois de janvier 1625. Une seconde condamnation par défaut fut pour lors la seule répression de son audace.

Après s’être soustraits par la fuite et par l’aide de leurs amis aux recherches de la justice, les duellistes obtenaient facilement des lettres d’abolition, motivées sur l’atrocité des peines par eux encourues ; et ainsi leur était acquise la plus complète impunité. C’est ce que constate le préambule de l’édit de 1626 : « D’autant, y est-il dit, que la qualité desdites peines est telle qu’aucuns de ceux qui ont l’honneur d’approcher de plus près de notre personne ont pris souvent la liberté de nous importuner pour en modérer la rigueur en diverses occasions ; ce qui a fait que les coupables, qui ont par cette faveur et considération obtenu sur ce nos lettres d’abolition, sont demeurés entièrement impunis. »

Ces grâces multipliées conduisirent enfin à une amnistie générale : elle fut promulguée en février 1626, à l’occasion du mariage de Henriette de France avec le roi d’Angleterre. Cette amnistie n’était pas de celles qui n’ouvrent carrière à la clémence qu’après qu’il a été satisfait aux droits de la justice, et qui, en interrompant quelques effets des lois pénales, laissent subsister ces lois dans toute leur force pour effrayer ceux que n’aurait pu désarmer une grande mesure d’indulgence.

Il s’agissait, au contraire, en 1626, de faire encore l’essai d’une législation nouvelle à la place de celle qui s’était trouvée faible par trop d’énergie. Le cardinal de Richelieu, dans ses Mémoires, nous fait assister en quelque sorte à la séance du conseil où furent discutées les bases de l’édit de 1626. Les uns conseillaient au roi d’opposer au progrès du mal un système de rigueur inflexible, observant « qu’il n’y a rien qu’enfin la prévoyance d’une punition de mort inévitable ne puisse emporter sur les esprits des hommes. » D’autres, s’appuyant sur l’exemple des siècles passés, proposaient de remettre en vigueur le système de transaction admis par Henri IV, dans l’article 5 de son édit de 1609, et voulaient que le roi se réservât d’autoriser le combat pour certaines causes, sauf à punir ceux qui se battraient sans recourir à son autorité.

Le duel à l'épée. Estampe de Jacques Callot (1621-1622)

Le duel à l’épée. Estampe de Jacques Callot (1621-1622)

Richelieu ne se rangea ni au premier ni au second de ces avis. Punir de mort tous les coupables de duel indistinctement, comme le faisait la déclaration de 1623, lui semblait d’une rigueur outrée. Il trouvait d’autre part que permettre les duels dans certains cas était un moyen peu expédient pour les détruire, car de proche en proche les combats seraient redevenus si fréquents qu’il eût fallu bientôt recourir aux mesures employées autrefois pour arrêter les gages de bataille.

Mais, non content d’envisager ainsi la question par son côté pratique, Richelieu la creuse au point de vue de la morale, et, avec ce coup d’œil rapide et sûr qui est le propre du génie, il distingue à travers les obscurités de la scolastique le véritable nœud de la difficulté, pour le trancher aussitôt par l’application d’un principe d’une manifeste évidence.

Moralistes, théologiens, hommes d’État, philosophes, il est peu d’auteurs des derniers siècles qui n’aient dit, au moins en passant, leur avis sur le duel et sur les embarras qu’il cause à la conscience comme à la loi. Nulle part on ne trouve la question posée avec autant de netteté, résolue avec autant de profondeur que dans la citation suivante, tirée des Mémoires du cardinal. La voici, exempte de toute modification, car, dans les lignes mêmes dont la rudesse semblerait surannée, on retrouve avec intérêt le germe d’une pensée à laquelle une plume éloquente a naguère imprimé son cachet d’audacieuse originalité.

« Tous les théologiens, dit Richelieu, conviennent que le duel pour cause singulière [à la différence du duel pour cause publique, comme celui qui a lieu pour éviter une bataille, car c’est alors un moindre mal d’exposer à la mort deux hommes que vingt mille] ne peut être permis selon la loi de Dieu, mais je n’en ai vu aucun qui en exprime bien clairement la vraie raison. Quelques-uns estiment qu’elle tire son origine de ces mots de l’Écriture : C’est à moi qu’appartient la vengeance, et j’entends l’exercer par moi-même. Mais ils montrent bien que les particuliers, de leur autorité, ne peuvent chercher par cette voie la vengeance des injures qu’ils ont reçues ; mais non pas qu’un prince ne la puisse ordonner, ainsi qu’il peut commander à un exécuteur de justice de mettre à mort celui qui aura violé la propre fille du même exécuteur, auquel cas le dit ministre de justice venge, non de soi-même, mais par autorité du prince, l’injure que le public a reçue en sa famille, et ce sans péché, pourvu qu’il rectifie son intention [c’est-à-dire, pourvu qu’en exécutant le malfaiteur il n’ait pas l’intention de venger sa propre offense] ; ce qui fait que si les duels n’étaient défendus qu’en vertu de ce principe, on les pourrait pratiquer par commandement du prince, avec les mêmes circonstances qu’un exécuteur de justice doit garder en sa conscience.

Un duel sous Louis XIII. Chromolithographie d'une série Hachette du XXe siècle sur les costumes français à travers les âges

Un duel sous Louis XIII. Chromolithographie d’une série Hachette du XXe siècle
sur les costumes français à travers les âges

« La vraie, primitive et fondamentale raison, poursuit Richelieu, est que les rois ne sont pas maîtres absolus de la vie des hommes, et, par conséquent, ne peuvent les condamner à la mort sans crime ; ce qui fait que la plupart des sujets des querelles n’étant pas dignes de mort, ils ne peuvent, en ce cas, permettre le duel qui expose à ce genre de peine. Qui plus est : quand même une offense serait telle que l’offensant mériterait la mort, le prince ne peut pour cela permettre le combat, puisque, le sort des armes étant douteux, il expose par ce moyen l’innocent à la peine qui n’est méritée que par le coupable : ce qui est de toutes les injustices la plus grande qui puisse être faite.

« Les rois doivent la justice déterminément, et, par conséquent, ils sont obligés de punir les coupables sans péril et hasard pour l’innocent. Si Dieu s’était obligé de faire que le sort des armes tombât toujours sur le coupable, on pourait pratiquer cette voie, mais puisqu’il n’en est pas ainsi, elle est plus que brutale pour la raison susdite. »

Sur ce raisonnement de Richelieu, le combat judiciaire fut pour toujours rayé de nos lois, où il s’était nominativement maintenu jusqu’alors, puisque l’édit de 1609 n’avait pas encore été formellement abrogé. Les dispositions du nouvel édit publié en même temps que l’amnistie de 1626 furent rédigées, conformément à l’avis du cardinal, dans la vue de modérer les peines, en les graduant suivant les circonstances de chaque affaire.

La privation des charges et offices, la confiscation de moitié des biens et un bannissement de trois années parurent suffisants pour punir le simple appel. La déchéance de noblesse, l’infamie ou la peine capitale devaient être appliquées , suivant le degré de criminalité , au coupable de duel non suivi de mort. Les peines du crime de lèse-majesté (la mort et la confiscation totale) furent réservées pour le cas où l’un des combattants aurait succombé. Il était cependant permis aux juges d’appliquer aux coupables la rigueur des anciennes ordonnances, lorsque l’atrocité du fait paraîtrait mériter un châtiment exemplaire.

Un des articles ajoutés à l’édit faisait classe à part de ceux qui auraient eu recours à des seconds : c’était moins en aggravant la peine à leur égard qu’en les flétrissant d’une note d’infamie, qu’il attaquait cette funeste manie dont l’effet était de transformer, pour ainsi dire, les duels en batailles rangées.

Jour de la promulgation du décret de Richelieu contre le duel (24 mars 1626). Détail d'une estampe de Gustave Doré (1852)

Jour de la promulgation du décret de Richelieu contre le duel (24 mars 1626).
Détail d’une estampe de Gustave Doré (1852)

« S’il arrivait, porte cet article, que non contents de commettre tels crimes si énormes devant Dieu et les hommes, ils y attirassent et engageassent encore d’autres personnes dont ils se serviraient pour seconds, ce qui ne peut être fait par aucuns que pour chercher lâchement dans l’adresse ou le courage d’un tiers la sûreté de leurs personnes, qu’ils veulent exposer par vanité contre leur devoir sous cette seule confiance ; Nous Voulons que ceux qui se rendront coupables à l’avenir d’une telle et si criminelle lâcheté soient irrémissiblement punis de mort, suivant la rigueur de nos premiers édits ; et dès à présent déclarons les appelants et appelés qui se serviront desdits seconds, ignobles, eux et leur postérité, déchus de toute noblesse et incapables de toutes charges pour jamais ; sans que nous ni nos successeurs les puissent rétablir et eur ôter la note d’infamie qu’ils auront encourue tant par l’infraction de nos édits que par leur lâcheté. »

De nouvelles précautions furent employées, lors de la publication de l’édit de 1626, pour prévenir l’abus du droit de grâce. Outre la parole donnée par le roi de ne jamais gracier aucun duelliste, il fit jurer à son secrétaire des commandements de ne signer aucune lettre de grâce en cette matière, et au chancelier de n’en point sceller.

Le parlement de Paris n’ordonna d’abord la vérification de l’édit qu’en ce qui concernait l’abolition des crimes précédemment commis en duel ; et, fidèle à ses traditions de sévérité, il fit au roi des remontrances pour qu’il ne fût rien retranché de la rigueur des précédentes ordonnances : mais Louis XIII comprit, sur l’observation de Richelieu, « qu’un médecin qui, par plusieurs expériences, a reconnu l’inefficacité d’un remède, ne peut être blâmé d’en prescrire un nouveau, surtout s’il conserve le premier dans sa force pour y recourir au besoin. »

En conséquence, des lettres de jussion furent adressées au parlement, qui enregistra l’édit, suivant sa forme et teneur, le 24 mars 1626.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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