LA FRANCE PITTORESQUE
31 janvier 1895 : mort de
l’entomologiste lyonnais
Claudius Rey
(D’après « Annales de la Société linnéenne de Lyon », paru en 1895)
Publié le mercredi 31 janvier 2024, par Redaction
Imprimer cet article
Consacrant toute son existence à l’étude des sciences naturelles, le goût de l’entomologie étant fortement ancré en lui dès sa jeunesse, il sut saisir les lignes essentielles de la structure des insectes, les décrire avec une fidélité et une exactitude aussi remarquables que son talent de dessinateur, et se montra, malgré sa réserve et sa timidité natives, serviable et dévoué aux entomologistes venant le consulter
 

Né à Lyon le 2 septembre 1817, Claudius Rey s’adonna de bonne heure à l’étude des sciences naturelles qu’il devait cultiver avec autant de zèle que de succès jusqu’à l’âge de soixante-dix-sept ans. Ses parents vivaient dans l’aisance ; mais il perdit sa mère qu’il était encore en bas âge. D’une complexion délicate, mais plein de volonté et d’ardeur au travail, il fut un bon élève durant les années de l’adolescence et de l’instruction classique. Il montra dès lors un goût prononcé pour l’entomologie. En compagnie de son condisciple Guillebeau, touché comme lui par l’étincelle du feu sacré, il mettait à profit ses promenades et ses sorties pour se livrer à la chasse des insectes et amasser les premiers matériaux de sa collection.

Ses chasses prirent plus d’extension et d’importance lorsqu’il eut terminé ses études scolaires. Les environs de Lyon, le Bugey, le mont Pilat furent explorés d’abord par le jeune entomologiste. Le résultat vint récompenser et encourager ses efforts : il put découvrir bon nombre d’espèces qui avaient échappé aux recherches de ses devanciers.

Le travail de détermination et de classement n’était pas chose facile. Claudius Rey n’avait guère à sa disposition, comme livre d’étude, qu’un exemplaire incomplet de l’ouvrage d’Olivier, trouvé dans la bibliothèque paternelle. Mais il le consultait si soigneusement, qu’il sut y rencontrer les noms et les descriptions de bon nombre d’insectes, et y puiser la connaissance des éléments principaux de leur répartition méthodique en genres et en espèces.

Portrait de Claudius Rey paru dans les Annales de la Société entomologique de France en 1895

Portrait de Claudius Rey paru dans les Annales de la Société entomologique de France en 1895

Les maîtres incontestés de l’entomologie à Lyon vinrent aussi à son aide et lui apportèrent, avec le concours de leurs lumières et de leur expérience, les précieux avantages d’une direction pleine de charmes. Étienne Mulsant venait alors d’entreprendre l’œuvre capitale de sa vie : l’Histoire naturelle des coléoptères de France, qui lui a valu le titre de Pater entomologicus, comme l’appelaient ses amis et ses disciples reconnaissants. En donnant ses conseils et ses encouragements au jeune débutant, il ne prévoyait pas qu’il préparait son futur collaborateur.

D’ailleurs, absorbé comme il l’était par des occupations multiples, il ne pouvait pas songer à se faire le mentor de Claudius Rey. Foudras, plus libre de son temps, se chargea volontiers de cette mission. Avec un dévouement, dont son élève lui a gardé une vive et profonde gratitude, il était toujours prêt, soit à l’accompagner dans ses chasses, soit à le guider pour la détermination et l’étude des insectes. Aussi est-ce à lui surtout que revient le mérite et l’honneur d’avoir formé le naturaliste qui devait à son tour devenir un maître et conquérir une place distinguée parmi les entomologues du XIXe siècle.

Peu a peu, Claudius Rey élargit le cercle de ses excursions. Un voyage dans le midi de la France, un séjour au mont Dore, un campement de quinze jours à la Grande Chartreuse, une visite en Suisse, aux environs de Fribourg et au Lac Noir, furent ses premières étapes au delà des limites de la région lyonnaise. Il en rapporta de bonnes et nombreuses captures qu’il s’empressa de préparer et de classer méthodiquement, comme il le faisait chaque fois au retour de ses chasses.

Il faut l’avoir vu à l’œuvre pour se rendre compte de la patience et de l’habileté qu’il déployait dans ce travail minutieux. Tous ses insectes, quelque minuscule que fût leur taille, étaient transpercés par de longues épingles de fer, suivant la mode adoptée alors à Lyon. La sûreté de son coup d’œil et une dextérité peu commune ne parvenaient pas à surmonter d’une façon satisfaisante les difficultés d’un système qui permettait, il est vrai, d’examiner le dessous aussi bien que le dessus des insectes, mais dont les résultats les plus ordinaires étaient la mutilation de précieuses bestioles, ou la déformation des segments, traversés par une tigelle envahie par la rouille et sujette à se tordre ou à se briser au moindre choc.

C’est seulement dans ses dernières années que Rey renonça à ce procédé défectueux et consentit à fixer ses micro-coléoptères et ses hémiptères les plus délicats sur des languettes de carton. Après les avoir ajustés tous à la même hauteur, il les disposait dans ses boîtes avec une parfaite régularité, en rangs serrés et si rapprochés les uns des autres que le maniement et le repiquage des individus à confronter ne pouvaient être effectués sans beaucoup de précautions. Il n’en paraissait pas gêné, mais l’habitude acquise par un long exercice n’était pas de trop pour manœuvrer à souhait au milieu de ce fourré d’épines et écarter les mille accidents qui sont parfois d’irréparables désastres.

À mesure que sa collection prenait plus d’importance, Claudius Rey acquérait aussi un savoir plus étendu. Jusqu’alors, il avait étudié pour lui-même. Désormais, il allait communiquer aux autres le fruit de ses observations. Cependant, vers 1847, sa vie fut troublée par un incident qui le remplit d’amertume. Sa fortune, à laquelle il devait l’aisance et le loisir de satisfaire ses goûts de naturaliste, s’écroula dans une entreprise d’imprimerie, dont il avait abandonné la gestion avec trop de confiance. On sait d’ailleurs par de nombreux exemples qu’en général les savants sont dépourvus d’aptitude au commerce. Après avoir liquidé honorablement une situation où il s’était si malencontreusement engagé, Rey se retira dans le Beaujolais, auprès de son oncle, Millon, grand propriétaire de vignobles.

Bien des années s’écoulèrent avant qu’il ait pu, par ses économies, réparer une partie des brèches faites à son patrimoine. En 1876 seulement, il se vit en mesure de revenir à la ville natale et d’y fixer de nouveau son domicile. Mais il ne délaissa jamais l’entomologie, qui l’avait rendu si heureux au temps de la prospérité et qui fut sa consolatrice après ses malheurs. Ayant établi sa résidence à Morgon, hameau de Villié, en Beaujolais, il commença l’exploration de la contrée et ne cessa de récolter une abondante moisson de coléoptères et d’hémiptères, qui enrichirent sa collection et les cartons de ses collègues.


Planche du Tome 9 de l’Histoire naturelle des coléoptères de France,
par Étienne Mulsant et Claudius Rey (1872)

Attentif à observer les premiers états des insectes afin d’apprendre comment ils parcouraient le cycle biologique, il recueillit beaucoup de larves, les rangea dans ses boîtes selon sa méthode ordinaire, les examina à fond pour bien saisir les traits essentiels de leur structure et constater leurs affinités, et ne négligea point les occasions de faire connaître celles qui lui semblaient inédites. En même temps, il continuait de donner à Mulsant son concours le plus dévoué pour la composition de l’Histoire naturelle des coléoptères de France.

Par un sentiment excessif de modestie et de réserve, il s’effaçait devant le maître, dont il partageait de longue date les travaux, sans se préoccuper de réclamer sa part de gloire. Dès 1842 — le fait était de notoriété publique à Lyon —, il collaborait à l’ouvrage de Mulsant. Il était resté étranger à la première édition des Longicornes, qui parut en 1839 ; mais c’est à son crayon d’artiste qu’il faut attribuer les dessins qui figurent au volume des Lamellicornes (1ère édition, 1842), ainsi qu’à celui des Palpicornes (1844), des Sulcicolles et Sécuripalpes (1846). Il est prouvé qu’il a souvent contribué, par l’indication de caractères inobservés, à l’établissement de quelques genres et à la séparation des espèces.

Il fallut faire violence à sa modestie pour que, à partir de 1863, son nom fût associé à celui de Mulsant dans la publication des Angusticolles et Diversipalpes. Il en est de même pour les volumes subséquents, Térédiles (1865), Fossipèdes et Brévicolles (1865), Vésiculifères (1867), Floricoles (1868), Gibbicolles (1868), Brévipennes (1871-1884) ; mais il est juste d’ajouter que le mérite de leur rédaction appartient exclusivement à Rey. L’édition des Palpicornes, parue en 1885, ne porte que son nom, parce qu’elle est en réalité un ouvrage nouveau, auquel il a seul travaillé. Enfin, nous savons pertinemment qu’il a droit à être considéré comme l’auteur, au moins pour une part notable, de l’Histoire des punaises de France (cinq tomes, 1866-1879).

Il faut toutefois préciser que, sans les conseils et l’impulsion de Mulsant, Rey n’aurait probablement jamais publié ses propres observations et se serait borné, comme tant d’autres naturalistes, à collectionner et étudier les insectes par pur amour de la science. Au surplus, indépendamment de l’expérience acquise, Mulsant possédait de nombreux matériaux provenant des relations qu’il entretenait avec les entomologistes des deux mondes ; il avait en outre à sa disposition une riche bibliothèque et les plus grandes facilités pour publier ses travaux dans les Annales et Mémoires des trois principales sociétés savantes de Lyon.

On reprocha à Claudius Rey, avec une sévérité quelquefois voisine de l’injustice, sa méthode méticuleuse, la création superflue des groupes secondaires, la formation de noms inusités pour désigner les familles, la multiplication des coupes génériques poussée à l’excès, l’abus des séparations basées sur des caractères de mince valeur, la longueur interminable de ses descriptions, et d’autres méfaits encore. Le savant ne crut pas devoir se défendre contre ces griefs, fondés peut-être, dans une certaine mesure, mais à coup sûr fort exagérés.

Il était loin pourtant d’être insensible aux attaques. D’humeur paisible, il préférait supporter en silence les vivacités de la polémique. Par vertu aussi, il tenait à posséder son âme dans la patience, et craignait de s’engager sur le terrain glissant des compétitions qui dégénèrent trop souvent en animosités personnelles. Dans l’intimité, il consentait modestement à passer condamnation sur les défauts qu’on lui signalait, ou bien il se bornait à plaider les circonstances atténuantes, en indiquant, sans y insister beaucoup, les raisons parfois très plausibles qui avaient déterminé son jugement et ses procédés scientifiques. Il comptait du reste que le temps et la réflexion amèneraient ses contradicteurs à des appréciations plus modérées, ou modifieraient leur manière de voir.

Outre les volumes que nous avons mentionnés, et qui ont paru dans les Annales de la Société Linnéenne, Claudius Rey publia un bon nombre de travaux moins étendus, qui suffiraient à lui assurer une place distinguée aux premiers rangs des entomologistes. Plusieurs de ces mémoires se trouvent parmi les Opuscules entomologiques de Mulsant.

La vie de Claudius Rey fut remplie par un travail continu. Depuis qu’il eut repris domicile à Lyon, il passait l’été dans la propriété de son frère Francisque à Saint-Genis-Laval. Il explorait le Clos de 5 hectares et y faisait de nombreuses et intéressantes découvertes, qu’il aimait ensuite à raconter. Durant son séjour en ville, il déterminait les espèces nouvellement recueillies, décrivait celles qui étaient inédites, révisait sa collection et, malgré sa réserve et sa timidité natives, se montrait serviable et dévoué aux entomologistes qui venaient le consulter.

Annonce parue dans le numéro du 13 octobre 1885 de L'Échange et relative à la mise en vente par Claudius Rey de sa collection de coléoptères européens « pour cause d'affaiblissement de la vue » et de sa bibliothèque entomologique

Annonce parue dans le numéro du 13 octobre 1885 de L’Échange et relative à la mise
en vente par Claudius Rey de sa collection de coléoptères européens « pour cause
d’affaiblissement de la vue » et de sa bibliothèque entomologique

Lorsque l’hiver commençait à se faire sentir, il allait chercher dans le midi de la France un climat plus doux. Le littoral méditerranéen avait ses préférences, à cause de sa faune spéciale, hibernante ou précoce. À Collioure, comme à Hyères et à Saint-Raphaël, à Cannes et à Menton, il pouvait se livrer à son exercice favori, multiplier les excursions et revenir au logis les mains pleines. Il dut néanmoins renoncer à ses voyages de prédilection, vers les trois dernières années de son existence. Alors en effet, sa santé exigeait des soins, et ses forces, qu’il sentait décliner, n’étaient plus en état de supporter les incommodités du déplacement, ni surtout les fatigues de la chasse.

La maladie qui l’enleva si rapidement à l’affection de sa famille et de ses amis le trouva debout au milieu de ses livres et de ses insectes. Le 24 janvier 1895, il fut contraint de quitter sa table de travail pour se mettre au lit. Avec la sérénité du chrétien qui a toujours vécu de la foi, il vit venir la mort et l’accueillit comme une envoyée du ciel. Plein de confiance dans l’infinie miséricorde, il recommanda son âme à Dieu et se sépara paisiblement de tout ce qu’il aimait ici-bas. Son frère, atteint de la même maladie épidémique qui fit tant de victimes dans la ville de Lyon, l’avait précédé de quatre jours dans la tombe.

Claudius Rey comptait parmi les membres les plus anciens de la Société Linnéenne de Lyon ; on peut dire qu’il en a été l’ornement et qu’il demeure une de ses gloires. À plusieurs reprises, ses collègues lui ont donné le témoignage de leur estime en l’appelant à l’honneur de les présider : il ne voulut jamais accepter la fonction qu’on lui offrait, alléguant le mauvais état de sa santé. Cependant il fut toujours parmi les plus assidus aux séances et, si modeste qu’il fût, il ne pouvait complètement ignorer son mérite.

Claudius Rey semble n’avoir eu qu’un défaut, celui qui précisément a empêché tant d’hommes de grande valeur de conquérir dans le monde la place distinguée à laquelle ils avaient droit : la timidité. Grande fut la surprise de Claudius Rey, lorsqu’un jour Mulsant lui annonça qu’il venait d’être nommé officier d’Académie, le 25 mars 1876. À cette époque, cette distinction honorifique n’était pas commune, et bon gré mal gré, il fallut que, par égard pour Mulsant, Claudius Rey consentît à orner sa boutonnière du ruban violet.

Il s’associa des premiers à la Société française d’entomologie, fondée en 1882, qui le proclama son président sans jamais lui retirer cette marque de confiance. Cette présidence était purement honorifique et n’imposait aucune obligation matérielle.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE