LA FRANCE PITTORESQUE
13 janvier 1908 : premier vol d’un kilomètre en circuit aérien fermé,
exécuté par le Parisien Henry Farman
(D’après « L’Aérophile » du 15 janvier 1908
et « France aviation » paru en janvier 1960)
Publié le mardi 18 janvier 2022, par Redaction
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De cette performance date la conquête définitive de l’air : en couvrant 1 km en circuit fermé, l’appareil devant virer autour d’un fanion placé à 500 mètres du départ et revenir à son point de départ qu’il devait survoler, Henry Farman démontrait la possibilité de contrôler les évolutions d’un plus lourd que l’air et confondait les détracteurs de l’avion
 

À l’époque, la question se discutait très sérieusement de savoir si un avion pouvait virer. On y répondait presque toujours par la négative. D’ailleurs, les scientifiques les plus purs étaient affirmatifs : un virage était absolument impossible. Et d’expliquer qu’une automobile pouvait virer parce qu’elle s’appuyait sur la route, mais qu’un avion...

Henry Farman, lui, sentait confusément que cela devait être possible. Encore fallait-il qu’il pût prendre de la hauteur. Il s’y essaya. De tâtonnements en tâtonnements, il réussit à voler jusqu’à dix mètres au-dessus du sol. « Promesse inutile et mortelle », lui disait-on de toutes parts.

Henry Farman. Timbre émis le 18 octobre 2010 dans la série Personnages célèbres. Dessin de Jame's Prunier

Henry Farman. Timbre émis le 18 octobre 2010 dans la série
Personnages célèbres. Dessin de Jame’s Prunier

Il parvint, un jour, à parcourir 770 m dans ces conditions. Il refit une tentative, celle-ci couronnée de succès. Alors, s’efforçant d’oublier tous les sinistres présages, il s’essaya à un virage. L’avion, bien sagement, tourna. Le lendemain, il vira dans un sens, puis dans l’autre. Et, le surlendemain, les officiels de l’Aéro-Club de France, convoqués, étaient là, incrédules.

Toute la nuit, Henry Faman, Gabriel Voisin — qui venait de fonder avec son frère Charles les Aéroplanes Voisin, l’une des premières sociétés aéronautiques françaises — et le mécanicien Herbster avaient fignolé le moteur. Il tournait à merveille. Une véritable horloge. Mais tournerait-il aussi bien quand le moment serait venu de la grande aventure ? Il était 9h30 lorsque Farman et ses habiles constructeurs, les frères Voisin, procédaient à une dernière et minutieuse révision de tout l’appareil. Puis l’aéroplane fut sorti du hangar : Farman voulut tâter une dernière fois le moteur, et à la première sollicitation l’excellent 50 chevaux 8 cylindres « Antoinette » éclata en fanfare joyeuse.

Tout était au point. L’avion fut alors amené à bras jusqu’au point de départ désigné par Farman, à l’extrémité du champ de manœuvres, du côté de la porte de Sèvres. Mais les heures du début de la matinée n’en finissaient pas de s’écouler. Gabriel Voisin pestait. Ils n’arriveraient donc jamais ces officiels ? Sans doute dormaient-ils encore ?... C’est alors qu’ils convinrent que le vol aurait lieu avec ou sans les représentants de l’Aéro-Club. Il fallait profiter de ce que le moteur était dans les meilleures dispositions. Ce faisant, ils prenaient le risque de renoncer à une fortune : 50 000 francs or offerts dans le cadre du Grand Prix d’aviation par les deux mécènes Henry Deutsch de la Meurthe et Ernest Archdeacon, et dont chacun des deux généreux donateurs avait souscrit la moitié.

Représentation de l'aéroplane à bord duquel Henry Farman réussit son exploit du 13 janvier 1908

Représentation de l’aéroplane à bord duquel Henry Farman réussit son exploit du 13 janvier 1908

Créé en 1904, pour une durée de 5 ans, le Grand Prix d’aviation devait être attribué au premier aviateur qui, après avoir coupé, en plein vol, une ligne de départ délimitée par 2 poteaux distants de 50 mètres, irait virer autour d’un 3e poteau placé à 500 mètres, sur une perpendiculaire élevée du milieu de la ligne de départ et reviendrait couper, en plein vol, cette ligne de départ, sans avoir touché terre en cours de route. Les inscriptions étaient reçues par l’Aéro-Club de France, et le contrôle des tentatives était assuré par sa Commission d’aviation. Henry Farman s’était inscrit le 12 janvier 1908.

Durant les préparatifs de Farman et des frères Voisin en ce matin du 13 janvier 1908, les commissaires officiels, eux, traçaient, selon les rites coutumiers, la piste à boucler. Ernest Archdeacon arriva quelques instants à peine avant le départ, suivi bientôt de Henry Deutsch de la Meurthe. Mais en dehors des officiels, il y avait relativement peu de spectateurs, l’assistance habituelle n’arrivant que vers 11 heures, cependant que le départ avait eu lieu à 10h15.

À cette heure, le moteur fut en effet mis en route, et l’appareil s’élança sur ses roues, augmentant rapidement son allure. Au bout de quelques dizaines de mètres, il fut à l’essor ; c’est par 4 mètres de hauteur environ, qu’il coupa la ligne de départ et continua d’un vol aisé et sûr vers le poteau de virage ; un instant à peine et Farman attaquait déjà résolument la boucle redoutée. Il entra dans le virage, laissant le poteau à une centaine de mètres sur sa gauche. L’appareil s’éleva progressivement à 6 mètres au maximum, insensiblement incliné sur bâbord, très stable, Le poteau des 500 mètres fut doublé ; l’immense oiseau blanc entra dans la ligne de retour.

Ernest Archdeacon (à gauche) et Henry Deutsch de la Meurthe (à droite), créateurs du Grand Prix d'aviation en 1904

Ernest Archdeacon (à gauche) et Henry Deutsch de la Meurthe (à droite),
créateurs du Grand Prix d’aviation en 1904

Quelques secondes d’intense émotion. Un incident stupide ne viendra-t-il pas arrêter, trop tôt, cette envolée splendide ! Mais Henry Farman avait raison lorsqu’il se déclarait sûr du succès. Sans un accroc, avec une régularité admirable, l’aéroplane poursuivit son chemin, impressionnant de régularité. Et c’est par 4 mètres de hauteur qu’il vint couper, entre les deux poteaux, la ligne de départ devenue ligne d’arrivée. La fatidique boucle était bouclée. Le Grand Prix d’aviation Deutsch-Archdeacon était gagné !

Quelques mètres plus loin, l’appareil obéissant à son pilote vint se poser doucement au sol et s’arrêta après avoir roulé encore quelques mètres. La distance réellement parcourue en plein vol ne peut pas s’indiquer avec une précision absolue. Toutefois, étant donnée la large courbe décrite pour virer, on peut l’estimer entre 1 500 et 1 800 mètres, car la sortie du virage se fit très au large du poteau.

Henry Farman déclara qu’en sortant du virage, il n’avait vu qu’assez tard les fanions de la ligne de départ devenue ligne d’arrivée, fanions estompés dans le brouillard. Il avait actionné son gouvernail vertical, pour redresser sa direction et revenir passer entre les poteaux d’arrivée. Le contrôle officiel de l’essai avait été assuré, tant au départ et à l’arrivée qu’au virage et dans la voiture automobile qui avait suivi l’engin aérien, par Blériot, Godard, le comte de La Vaulx, Kapférer, membres de la Commission d’aviation. La durée du vol avait été de 1 minute et 28 secondes.

Farman franchit en plein vol la ligne d'arrivée marquée par les fanions de l'Aéro-Club et boucle le circuit aérien d'un kilomètre
Farman franchit en plein vol la ligne d’arrivée marquée par les fanions
de l’Aéro-Club et boucle le circuit aérien d’un kilomètre.
© Crédit illustration : Benjamin Freudenthal (https://www.flyandrive.com)

Au milieu des vivats, des acclamations, Henri Farman descendit de son banc de pilote. Il dissimula mal sous son flegme habituel une émotion sincère et bien naturelle, surtout lorsque son frère Maurice Farman, champion cycliste et automobile, fendant la foule, l’étreignit fraternellement. Toujours modeste, le vainqueur du Grand Prix chercha visiblement à se dérober à cette ovation. Il en trouva bientôt le moyen. Cédant à de pressantes sollicitations, il remontat à bord de son aéroplane, après avoir déclaré toutefois qu’il ne se sentait pas assez maître de lui, en cet instant, pour tenter à nouveau la boucle ; il s’envola de nouveau, et après un virage superbe vint reprendre terre devant le hangar, descendit et s’éloigna tranquillement en auto tandis qu’on rentrait l’appareil au garage.

L’avion était à peine rentré dans le hangar que la foule se précipita de toutes parts envahissant la plaine d’Issy-les-Moulineaux. La Commission d’aviation de l’Aéro-Club de France, réunie d’urgence, le soir même de cette performance historique, constata officiellement qu’Henry Farman avait gagné, sans parler du prestige d’une inoubliable victoire, les 50 000 francs dont Henry Deutsch de la Meurthe et Ernest Archdeacon avaient doté ce Prix.

Bien que le parcours effectif ait été beaucoup plus grand, conformément aux règlements des concours aéronautiques, la distance franchie fut comptée à vol d’oiseau du point de départ au point de virage et retour. C’est donc à 1 000 mètres que Henry Farman porta officiellement la Coupe d’aviation Ernest Archdeacon, challenge de distance dont il était devenu quatrième détenteur par son envolée de 770 mètres, le 26 octobre 1907. Ce trophée avait été conquis pour la première fois le 23 octobre 1906 par Santos-Dumont avec un vol de 25 mètres et porté successivement par le glorieux initiateur à 82 m60, puis à 220 mètres le 12 novembre 1906.

Parcours aérien réel suivi par Henry Farman dans sa tentative victorieuse pour le Grand Prix d'aviation Deutsch-Archdeacon, le 13 janvier 1908, à Issy-les-Moulineaux

Parcours aérien réel suivi par Henry Farman dans sa tentative victorieuse pour
le Grand Prix d’aviation Deutsch-Archdeacon, le 13 janvier 1908, à Issy-les-Moulineaux

En outre, Henry Farman se vit décerner la grande médaille d’or de l’Aéro-Club de France, par laquelle la Société d’encouragement à la locomotion aérienne récompensait les services exceptionnels rendus à la cause. D’autre part, l’Aéro-Club de France attribua une grande médaille commémorative de vermeil : aux deux frères Voisin, ingénieurs-aviateurs de Billancourt qui avaient étudié et construit l’appareil du vainqueur et avaient été pour Farman les collaborateurs les plus précieux et les plus dévoués ; à Léon Levavasseur, directeur de la Société Antoinette, le savant inventeur du merveilleux moteur extra-léger de ce nom, qui donna des ailes à la plupart de nos appareils d’aviation, aux plus glorieux. Enfin, la Société Antoinette gagnait également, par la victoire de Farman, la médaille d’or offerte par Albert C. Triaca, membre de l’Aéro-Club, au constructeur du moteur dont serait muni l’appareil d’aviation qui gagnerait le Grand Prix Deutsch-Archdeacon.

Santos-Dumont avait prouvé la possibilité du vol artificiel ; Farman démontra que ce vol pouvait être dirigé. Le lendemain, tous les journaux français, tous les journaux étrangers consacraient à l’extraordinaire nouvelle des colonnes et même des pages entières. Dans les rues de Paris, on s’arrachait les éditions spéciales.

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