LA FRANCE PITTORESQUE
2 janvier 1860 : annonce de
l’observation de la planète Vulcain
(D’après « Comptes-rendus hebdomadaires des séances
de l’Académie des sciences », paru en janvier 1860)
Publié le mardi 2 janvier 2024, par Redaction
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Expliquant les anomalies observées dans l’orbite de Mercure, l’existence de Vulcain annoncée en 1846 par Le Verrier — et aujourd’hui infirmée —, située entre cette planète et le Soleil, est « confirmée » par le médecin passionné d’astronomie Edmond Lescarbault, ayant installé un observatoire dans sa maison : la différence sera en fait justifiée plus tard par la théorie de la relativité générale.
 

C’est le célèbre astronome Urbain Le Verrier — découvreur de Neptune en 1846 — qui fait l’annonce de l’observation de la supposée nouvelle planète Vulcain lors de la séance de l’Académie des sciences du 2 janvier 1860. Il donnait tout d’abord lecture de la lettre suivante datée du 22 décembre 1859 et reçue de l’astronome Edmond-Modeste Lescarbault au sujet de l’observation à Orgères (Eure-et-Loir), le 26 mars 1859, d’une planète entre le Soleil et l’orbite de Mercure :

« Orgères, le 22 décembre 1859.

« Pénétré d’admiration pour les immortels géomètres qui découvrent, à l’aide des principes de l’analyse, la route mystérieuse des mondes, j’ai, dès mon enfance, été poussé à m’occuper avec passion de l’étude des grands phénomènes célestes.

Urbain Le Verrier

Urbain Le Verrier

« Ayant remarqué, dès 1837, que la loi de Bode est loin de représenter exactement les rapports des distances des planètes au Soleil, je m’imaginai qu’indépendamment des quatre petites planètes Cérès, Pallas, Junon, Vesta, découvertes de 1801 à 1807 par Piazzi, Olbers, Harding dans le grand espace compris entre Mars et Jupiter, il pourrait peut-être bien s’en rencontrer ailleurs. Alors il m’était fort difficile de faire des recherches à ce sujet ; et, sans y renoncer, je me résignai à attendre.

« Le passage de Mercure sur le Soleil, que je vis le 8 mai 1845, me fournit l’idée que, s’il existait entre le Soleil et nous quelque autre corps que Mercure et Vénus, ce corps devait avoir aussi ses passages devant l’astre radieux et qu’en observant fréquemment les bords du Soleil, on devait, à un certain instant, être témoin de l’apparence d’un point noir empiétant sur le Soleil pour en parcourir une corde dans un temps plus ou moins long.

« À cette époque il me fut plus impossible que jamais de réaliser mes projets d’observations. Je ne m’en occupai qu’à partir de 1853 dans des conditions encore peu favorables ; et jusqu’en 1858 je n’appliquai que rarement l’œil à la lunette. À dater de cette même année 1858, j’eus une terrasse à ma disposition. Je me fabriquai provisoirement une espèce d’instrument, peu délicat, à la vérité, mais susceptible de donner, à un degré près, un angle de position. Des mesures prises sur des taches de la Lune et rapportées à une carte de notre satellite par Jean-Dominique Cassini m’ont permis de compter sur cette approximation. »

Suit une description très précise de la nature et de la disposition de l’instrument utilisé par Lescarbault.

Observatoire du Docteur Edmond Lescarbault à Orgères (Eure-et-Loir)

Observatoire du Docteur Edmond Lescarbault à Orgères (Eure-et-Loir)

L’astronome poursuit : « Chaque fois que j’espérais du loisir pour l’après-midi, avant d’aller terminer mes visites, je réglais ma montre sur le passage du centre du Soleil par le méridien, à l’aide d’une petite lunette méridienne, et je disposais mes autres moyens d’observation, comme je viens de le dire. À mon retour, je faisais parcourir, presque sans relâche, à ma lunette, pendant un temps qui variait entre une demi-heure et trois heures, tout le contour du Soleil, tenant l’œil appliqué à l’oculaire.

« Enfin, le 26 mars 1859, j’eus le bonheur de trouver ce qui suit (l’espoir de revoir le petit astre, dont je vais parler, m’a fait différer jusqu’ici pour en donner connaissance ; je ne crois pas devoir attendre plus longtemps).

« Je n’ai corrigé les résultats suivants ni des effets de la réfraction, qui pouvaient être négligés dans chaque observation partielle, ni de l’erreur due au déplacement de notre globe dans son orbite ; car cette dernière rectification n’aurait pas apporté une amélioration bien notable à des valeurs provenant de mesures imparfaites. »

Après avoir livré les mesures effectuées, Lescarbault ajoutait :

« La planète paraît comme un point noir d’un périmètre circulaire bien arrêté. Son diamètre angulaire, vu de la terre, est très petit ; je l’estime bien inférieur au quart de celui que j’ai vu à Mercure, avec le même grossissement appliqué à ma lunette, lors de son passage devant le Soleil, le 8 mai 1845. »

Fournissant ses autres mesures, l’astronome concluait ainsi : « J’ai la conviction que, quelque jour, on reverra passer devant le Soleil un point noir parfaitement rond, très petit, parcourant une ligne située dans un plan dont l’inclinaison à l’écliptique sera comprise entre 5° + 1/3 et 7° + 1/3 ; que l’orbite contenue dans ce plan coupera le plan de l’orbe terrestre vers 183 degrés, en passant du sud au nord ; qu’à moins d’une excentricité énorme de l’orbite décrite par ce point noir autour de l’astre qui nous éclaire, il sera susceptible d’être vu par nous parcourir le diamètre solaire en 4h30 environ. Ce point noir sera, avec un grand degré de probabilité, la planète dont j’ai suivi la marche le 26 mars 1859, et il deviendra possible de calculer tous les éléments de son orbite.

Planètes du Système Solaire : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune

Planètes du Système Solaire : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune.
© Crédit illustration : Stocktrek Images

« Je suis fondé à croire que sa distance au Soleil est inférieure à celle de Mercure, et que ce corps est la planète ou l’une des planètes dont vous, Monsieur le Directeur, avez, il y a quelques mois, fait connaître l’existence dans le ciel, au voisinage du globe solaire, par cette merveilleuse puissance de vos calculs qui, en 1846, vous fit aussi reconnaître les conditions d’existence de Neptune, en fixer la place aux confins de notre monde planétaire et en tracer la route à travers les profondeurs de l’espace. »

Après cette communication, Urbain Le Verrier explique que la lettre lui est parvenue par l’entremise de M. Vallée, inspecteur général honoraire des Ponts et Chaussées, et que les détails compris dans la lettre d’Edmond Lescarbault permettaient de lui accorder dès l’abord une certaine confiance. « On pouvait être surpris toutefois, ajoute-t-il, que M. Lescarbault, se trouvant en possession d’un fait aussi considérable, fût demeuré neuf mois sans en donner connaissance. Cette considération m’a déterminé à me rendre sur-le-champ à Orgères, où M. Vallée fils, ingénieur des Ponts et Chaussées, a bien voulu m’accompagner, et où nous sommes arrivés le samedi 31 décembre sans avoir été annoncés.

« Nous avons trouvé en M. Lescarbault un homme adonné depuis longtemps à l’étude de la science, entouré d’instruments, d’appareils de toute nature, construisant lui-même et ayant fait édifier une petite coupole tournante. M. Lescarbault a bien voulu nous permettre d’examiner dans le plus scrupuleux détail les instruments dont il s’est servi, et il nous a donné les explications les plus minutieuses sur ses travaux et en particulier sur toutes les circonstances du passage d’une planète sur le Soleil.

« L’entrée elle-même n’a point été observée par lui ; la planète avait déjà parcouru quelques secondes sur le disque du Soleil au moment où M. Lescarbault l’a aperçue, et c’est en tenant compte de la vitesse qu’il lui a reconnue qu’il a jugé du moment de l’entrée.

« Les angles de position relativement à la verticale ont été mesurés à l’entrée et à la sortie par le procédé décrit par M. Lescarbault ; c’est en rapportant ensuite ces observations sur une sphère céleste, qu’il est parvenu à déterminer la longueur de la corde parcourue par la planète et à en conclure le temps que l’astre eût mis à traverser le disque entier du Soleil.

Schéma paru dans le 15e volume de La Science illustrée (1895) représentant les hypothèses avancées alors pour expliquer plusieurs irrégularités des mouvements de Mercure : 1. l'existence de Vulcain, soutenue par Urbain Le Verrier ; 2. l'existence d'une ceinture d'astéroïdes autour de Mercure, soutenue par Simon Newcomb

Schéma paru dans le 15e volume de La Science illustrée (1895) représentant les
hypothèses avancées alors pour expliquer plusieurs irrégularités des mouvements de Mercure :
1. l’existence de Vulcain, soutenue par Urbain Le Verrier ; 2. l’existence d’une ceinture
d’astéroïdes autour de Mercure, soutenue par Simon Newcomb

« Les explications de M. Lescarbault, la simplicité avec laquelle il nous les a données ont porté dans notre esprit l’entière conviction que l’observation détaillée qu’il a faite doit être admise dans la science, et que le long délai qu’il a mis à la publier provient uniquement d’une réserve modeste et du calme qu’on peut encore conserver loin de l’agitation des villes. Un article du journal le Cosmos, relatif au travail que nous avons donné sur Mercure, a seul déterminé M. Lescarbault à rompre le silence.

« En soumettant au calcul les données fournies par l’observation, nous avons trouvé que la corde parcourue par la planète sur le Soleil est de 9’17’’ ; et qu’à ce compte elle eût mis 4h26m48s à traverser le disque entier. Ces nombres diffèrent très peu de ceux donnés par M. Lescarbault. Ce résultat prouve que cet observateur a mis un grand soin dans les déductions graphiques tirées de ses observations, et l’on doit dès lors espérer que les observations elles-mêmes jouissent d’une certaine exactitude, malgré l’imperfection des moyens dont l’observateur disposait. »

S’appuyant sur les observations de Lescarbault, Le Verrier conclut que la masse de la nouvelle planète « ne serait que le dix-septième de la masse de Mercure : masse beaucoup trop petite, à la distance où elle est placée, pour produire la totalité de l’anomalie constatée dans le mouvement du périhélie de Mercure.

« Le nouvel astre, en raison du faible rayon de son orbite, ne s’éloignerait jamais à une distance de plus de 8 degrés du Soleil. Et la lumière totale qu’il nous renvoie étant plus faible que celle de Mercure, on peut comprendre qu’on ne l’ait point aperçu jusqu’ici. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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