1901 et 1976 furent des années terribles pour l’imparfait du subjonctif, un arrêté du 21 février de la première lui substituant dans certains cas le présent du subjonctif, un autre du 28 décembre de la seconde visant à le reléguer aux oubliettes de la langue française : pourtant, subsiste de nos jours cette forme dont l’élégance le dispute parfois au ridicule...
Le 26 février 1901 paraissait un Arrêté relatif à la simplification de la syntaxe française, émanant du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts et entérinant celui du 31 juillet 1900 au sujet duquel le ministre Georges Leygues avait sollicité l’avis de l’Académie française avant d’en prescrire la mise en vigueur.
Dans sa circulaire du 28 février 1901 adressée aux recteurs, il précise qu’il « estime, en effet, qu’une réforme portant sur une matière aussi délicate doit s’appuyer sur la double autorité du Conseil supérieur de l’Instruction publique, qui arrête les programmes des cours d’études et fixe la règle des examens des divers ordres d’enseignement, et de l’Académie française, dont la mission traditionnelle est de travailler à épurer et à fixer la langue, à en éclaircir les difficultés et à en maintenir les caractères et les principes. » Georges Leygues rapporte que le principe de la réforme ne soulevait aucune objection et qu’en dépit de certaines divergences entre les deux institutions, « il y avait communauté de vues dans un grand nombre de cas où les difficultés grammaticales peuvent être simplifiées », justifiant ainsi l’application des mesures fixées par l’arrêté.
Dans la liste annexée à l’arrêté, on trouve notamment le paragraphe : « Concordance ou correspondance des temps. On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait dans les propositions subordonnées dépendant de propositions dont le verbe est au conditionnel présent. Ex. : il faudrait qu’il vienne ou qu’il vînt. »
Grammaire française (1953), aux éditions Armand Colin |
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Dans son commentaire de cet arrêté ministériel qu’il publie la même année, Léon Clédat, professeur à l’Université de Lyon, avance que « Il faudrait qu’il vienne » est plus correct que « Il faudrait qu’il vînt ». En effet, poursuit-il, si, sans changer de temps, on substitue à falloir un autre verbe qui ne gouverne pas le subjonctif, on dira par exemple : « Je saurais qu’il vient ou qu’il viendra. » Le temps qui convient dans la proposition subordonnée est donc le présent ou le futur. Or c’est le présent du subjonctif qui correspond au présent et au futur de l’indicatif.
« Il faudrait qu’il vînt », explique Léon Clédat, ne serait correct que si l’on disait, comme jadis, dans la tournure indicative : « Je saurais qu’il viendrait ». Même en faisant dépendre le temps de la subordonnée du temps du verbe principal, comme le faisaient à tort les anciennes grammaires, l’imparfait ne se justifie pas après le conditionnel présent, puisque le verbe principal est au présent du conditionnel. Si la réforme de 1901 « tolère », dans cette configuration, le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait, Clédat va plus loin : on peut tolérer l’imparfait du subjonctif, mais c’est le présent du subjonctif qu’il faut recommander dans de tels cas.
En somme, la disposition de l’arrêté de 1901 relative à l’usage du présent du subjonctif au lieu de l’imparfait en présence du conditionnel présent, était dictée par une parfaite logique grammaticale, ce qui ne sera pas le cas de celle de 1976. En 1902, le romancier et critique d’art Remy de Gourmont se réjouissait d’une réforme scellant un recul de l’imparfait du subjonctif, et tançait les grammairiens qui, à ses yeux, allaient accepter malaisément la forme « Il faudrait que nous parlions », leur goût étant de dire « Il faudrait que nous parlassions. » Il voyait dans l’imparfait du subjonctif qu’une affirmation de pédantisme.
« On ne peut le nier, écrit-il : l’imparfait du subjonctif est en train de mourir. Des formes comme aimassiez ont peut-être été rendues ridicules par la floraison assez nouvelle des verbes péjoratifs en asser — rimasser, traînasser —, et par la confusion avec l’imparfait du présent des verbes comme ramasser, embrasser, autrefois d’un usage restreint. Le discrédit s’est jeté par assimilation logique sur les formes correspondantes des autres conjugaisons : vinssiez, dormissions ; sur les formes irrégulières et fort embarrassantes, bouillions, fuissions (fuir), pourvoyions, cousissions (coudre), moulussions (moudre) et l’extraordinaire nuisissions ! » Et d’ajouter, malicieux : « Quant à Il faudrait que nous sussions (savoir), reçussions (recevoir), n’hésitons pas à les proférer lorsque nous voulons exciter ou le rire ou la stupeur. On embaumera ces flexions, on les roulera dans les suaires de la grammaire historique, et cela sera très bien. »
Le 28 décembre 1976 paraissait au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, un nouvel arrêté. Il complétait celui de 1901 en ajoutant « (...) dans les propositions subordonnées dépendant d’une proposition dont le verbe est à un temps du passé : j’avais souhaité qu’il vînt ou qu’il vienne sans tarder ». Il n’était désormais plus nécessaire que nous sussions conjuguer ce temps, que nous l’employassions à bon escient, que nous prissions en compte le temps du verbe de la principale et que nous écrivissions conformément à la concordance des temps. Il suffisait maintenant que l’on sache, que l’on emploie, que l’on prenne et que l’on écrive.
C’était porter un coup bien rude à ce temps, déjà trop souvent moqué pour son élégance un peu désuète et qui semblait un peu gêné de cette protubérance en -sse, -sses, -ssions, -ssiez ou -ssent, protubérance encombrante et un peu similaire au nez formidable de Cyrano. Rostand d’ailleurs ne s’y était pas trompé, qui fait dire à son personnage : Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse ! Un simple Que je me l’ampute aurait rendu cet appendice moins digne de la fameuse tirade. L’imparfait du subjonctif, c’est le vilain petit canard du conte : moqué parce que dissemblable, il lui faut pour s’épanouir la majestueuse compagnie des cygnes. Cet imparfait, un nom étrange qui paraît désigner quelque être disgracié, n’est, au fond, pas plus un imparfait que le cygne n’est un canard. Retrouver qui l’a engendré, c’est retourner aux sources de son élégance : cet allongement en -sse, -sses, etc. lui vient de son vrai père, le plus-que-parfait du subjonctif latin du type amavissem.
L’écrivain. Chromolithographie de 1890 |
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L’imparfait du subjonctif a en effet ce talent rare de donner de l’élégance à tout verbe, quelque trivial que soit ce dernier. Prenons-en un qui soit peu ragoûtant, comme cracher. Il semble bien difficile de lui donner bonne mine. Confions-le au Charles Trénet du Grand Café qui le mettra au subjonctif imparfait, et l’expectoration deviendra presque poétique :
Par terre on avait mis de la sciure de bois
Pour que les cracheurs crachassent comme il se doit. |
Et ce n’est pas la seule vertu de ce temps. Il a aussi un caractère euphémistique qui lui permet de faire passer pour d’innocentes gamineries les scènes les plus violentes, les actes les plus barbares pour des espiègleries d’enfants de chœur. C’est ce que fait Rabelais quand il raconte la victoire de frère Jean des Entommeures sur les pillards qui détruisaient les vignes de l’abbaye : « Les petits moinetons coururent au lieu où était frère Jean et lui demandèrent en quoi ils voulaient qu’ils lui aidassent. A quoy répondit qu’ils égorgetassent ceux qui étaient portez par terre. »
Rappelons, pour conclure, cette anecdote, preuve d’attachement à l’imparfait du subjonctif, arrivée à Nicolas Beauzée, né en 1717 et élu académicien en 1772. Il fut un des collaborateurs de la fameuse entreprise de l’Encyclopédie et surtout l’auteur d’une Grammaire générale qui contribua, comme pour Malherbe, à lui valoir sa réputation de froide rigueur. N’est-ce pas Rivarol, le fameux auteur du Discours sur l’universalité de la langue française qui dit de lui : « C’est un bien honnête homme qui passe sa vie entre le supin et le génitif. »
Plus jeune que son grammairien de mari, Madame Beauzée avait une liaison avec un précepteur allemand. Au retour d’une séance de l’Académie, en 1775, Nicolas Beauzée surprit un jour les amants. Le séducteur, qui dit alors à l’épouse infidèle : « Quand je vous avertissais, madame, qu’il fallait que je m’en aille », fut repris par l’académicien qui le corrigea ainsi : « Eh, monsieur, dites au moins : Que je m’en allasse ! »
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