LA FRANCE PITTORESQUE
15 décembre 1686 : mort de
Daniel Gittard, architecte de Louis XIV
(D’après « Bulletin de la Société d’archéologie, sciences, lettres
et arts du département de Seine-et-Marne », paru en 1865)
Publié le vendredi 15 décembre 2023, par Redaction
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Architecte du roi à 30 ans, quatrième des huit architectes qui composent l’Académie d’architecture lors de sa fondation par Colbert, le 31 décembre 1671, Daniel Gittard s’illustre notamment dans la construction de l’hôtel de la Meilleraye, de la maison de Lully et du choeur de l’église Saint-Sulpice à Paris, mais également des fortifications du château de Belle-Ile acheté par Fouquet, succédant dans cette oeuvre-ci au célèbre Le Vau
 

Daniel Gittard naquit le 14 mars 1625 à Blandy, bourg de la Brie française situé à 11 kilomètres de Melun. Son acte de baptême porte que « le quatorzième jour du dit mois de mars, au dit an (1625), a esté baptisé Daniel, fils de Jehan Gittard et de Claude Beschard, ses père et mère, et tenu sur les saints fonts par honorable homme Daniel Viart, laboureur, demeurant au Chastelet en Brie, et par honeste femme Jacqueline Masson, laquelle a déclaré ne savoir escrire ni signer, de ce requise par moy, curé soubzsigné, qui ay, avec le dit sieur Viart, signé cy contre. »

Le bourg de Blandy est célèbre dans la contrée par un vieux château féodal qui, construit par les vicomtes de Melun, appartint successivement aux Tancarville, aux d’Harcourt, aux d’Orléans-Longueville — à l’état de ruine à la fin du XIXe siècle, il fut classé Monument Historique en 1889 puis restauré à la fin du XXe siècle, et fut réouvert en 2007. Il faisait partie du douaire d’Anne de Montafié, veuve du comte de Bourbon-Soissons lorsque Daniel Gittard vint au monde.

Le père de Daniel s’appelait Jean Gittard l’aîné. Il était charpentier à Blandy. L’un de ses fils Pierre, suivit la même profession et ce fut lui qui obtint du surintendant Foucquet la fourniture de la charpente du château de Vaux.

Daniel Gittard. Miniature du temps

Daniel Gittard. Miniature du temps

Indépendamment de son frère Pierre, Daniel en avait plusieurs autres, dont deux exerçaient la profession de maître maçon à Paris, et il est présumable que ce fut en travaillant avec eux qu’il parvint à les dépasser et à devenir l’un des plus habiles architectes de son temps ; c’est-à-dire à marcher à côté des François Blondel ; des Lemuet, des Le Vau, des François Mansart, etc. Nous ignorons, du reste, sous quel maître il étudia.

Étant encore fort jeune, Daniel Gittard fit construire le bel hôtel de Saint-Simon, depuis hôtel de la Force, situé rue Taranne, auprès de la fontaine de la Charité. Dans sa Nouvelle description de Paris (1725), Germain Brice nous apprend que Daniel Gittard a fait les dessins de l’hôtel de La Meilleraye, rue des Saints-Pères, et qu’il fit bâtir pour le célèbre musicien Lully une maison rue Neuve des Petits-Champs, « ornée par le dehors de grands pilastres d’ordre composé et de quelques sculptures qui ne sont pas mal imaginées. »

Mais le travail qui, sans contredit, fait le plus d’honneur à Daniel Gittard, est sa participation à la construction de l’église de Saint-Sulpice. L’ancienne église placée sous ce vocable étant devenue insuffisante par suite de l’augmentation de la population du faubourg Saint-Germain, dont elle était la seule paroisse, on sentit la nécessité de l’agrandir. En 1615 un architecte appelé Christophe Gamard avait été chargé de dresser les plans des nouvelles constructions. Mais quelques années plus tard, il parut plus convenable de construire une nouvelle église dans de bien plus vastes proportions.

Le 18 mars 1636 il fut arrêté que l’on y travaillerait incessamment, que les dessins seraient revus par Gamard, de La Vallée et Le Roy ; que le chœur serait entièrement fini avant que l’on touchât à l’ancienne église ; que néanmoins, en attendant que les plans fussent dressés, on solliciterait auprès de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés de transporter la foire dans un autre endroit du faubourg, afin d’y bâtir une nouvelle église paroissiale. « Ce projet ne réussit pas, continue l’historien de Saint-Sulpice, puisque le 29 mai de la même année il fut arrêté que le plan dressé par M. Le Roy, architecte, serait pleinement exécuté » (Remarques historiques sur l’église et la paroisse de Saint-Sulpice, 1773).

Nous ignorons par quelles circonstances le plan de Le Roy fut abandonné, mais le 8 août 1645, en conséquence de plusieurs délibérations faites dans plusieurs assemblées générales de la paroisse et notamment dans celle du 19 mars 1643, qui se tint dans la nef de l’église, en présence du prince de Condé, de plusieurs personnes de qualité et du curé Olier, l’architecte Christophe Gamard traça les fondements du chœur de la nouvelle église dans le cimetière qui était derrière l’ancienne, et y mit aussitôt les ouvriers. Le 20 février 1646, la reine Anne d’Autriche posa la première pierre du maître-autel.

Louis Le Vau, premier architecte du roi, remplaça Gamard dans la direction de la nouvelle église, et, à son tour, Daniel Gittard lui fut substitué en 1660. C’est à lui que l’on doit le chœur, les bas-côtés et la plus grande partie de la croisée à gauche, ainsi que le portail de ce côté. Blondel fait remarquer dans son Architecture française que les bas-côtés sont ornés d’un ordre corinthien dont Daniel Gittard « s’était proposé de faire un ordre français ».

Germain Brice dit que « l’on doit voir dans cette église un petit escalier de pierre de taille d’un seul trait, tourné en limaçon depuis le bas jusqu’en haut, dont le trait est ingénieux et très-hardi, où il paraît quelques effets de la coupe des pierres. Il est, ajoute-t-il, de l’invention de Gittard, habile architecte, lequel a conduit la plus grande partie des travaux de cette église, qui sera un ouvrage de conséquence, si jamais on peut parvenir à l’achever sur les modèles qui en ont paru, ce qui demande encore du temps et une très grande dépense pour le voir dans son entière perfection. »

Église Saint-Sulpice à Paris, dont Daniel Gittard réalisa notamment le choeur (1660-1675). Dessin du XVIIIe siècle de Jean-Baptiste Lallemand

Église Saint-Sulpice à Paris, dont Daniel Gittard réalisa notamment le choeur (1660-1675).
Dessin du XVIIIe siècle de Jean-Baptiste Lallemand

L’église de Saint-Sulpice, en effet, n’a été élevée ni par l’État ni par la ville de Paris, mais au moyen de quêtes et de souscriptions particulières, dues au zèle et à l’activité de plusieurs de ses curés. Il est vrai que les religieux de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, comme seigneurs de ce quartier, sont entrés pour une forte somme dans ces souscriptions, et que, ces ressources étant insuffisantes, on fut obligé d’imposer une taxe considérable sur toutes les maisons de la paroisse. Malgré tous ces efforts, les travaux furent interrompus faute de fonds en 1678, et ils ne purent être repris qu’en 1718, longtemps après la mort de Daniel Gittard. Il parait toutefois que son fils aîné, qui avait la qualité d’architecte ordinaire du roi, fut chargé de succéder à son père, car ce fut lui qui donna les dessins du portail qui fait face à la rue Servandoni. Néanmoins, c’est Oppenord et ensuite Servandoni qui eurent la direction des travaux de Saint-Sulpice.

On doit encore à Daniel Gittard le portail de l’église de Saint-Jacques du Haut-Pas. « Cet édifice, dit Blondel, n’est estimé que pour l’ordre dorique du rez-de-chaussée, dont l’ordonnance est régulière et d’une exécution assez correcte ; son entablement est mutulaire et couronné d’un fronton sur lequel devaient être les figures de saint Jacques et de saint Philippe, mais que l’économie a fait supprimer, quoiqu’on les voie sur cette planche (donnée par Blondel). »

Roland de Virloys, dans son Dictionnaire d’architecture (1770), au mot Gittard, n’indique pas d’autres travaux dus à cet architecte que ceux que nous venons de mentionner. Daniel Gittard est le quatrième des huit architectes qui composèrent l’Académie d’architecture, lors de sa fondation par Colbert, le 31 décembre 1671. Il plaçait toutes ses économies en terres qu’il achetait à Blandy, son pays natal, où il possédait une maison de campagne et une ferme.

Dans une circonstance importante, il témoigna de l’intérêt à la ville de Melun, ainsi qu’on le voit par la mention suivante, extraite des archives de l’église de Saint-Aspais : « Le 13 septembre 1676, Gittard, ingénieur et architecte des bâtiments du roi, dressa un devis des réparations à faire à l’église de Saint-Aspais, qui s’élevait à environ 11 000 livres. Puis, par une sollicitude toute particulière pour les intérêts de cette paroisse, il se transporta gratuitement Corbeil pour déjouer les cabales des soumissionnaires, qui ne voulaient pas entreprendre les travaux à moins de 33 000 livres. »

Daniel Gittard mourut à Paris, dans sa maison de la rue des Saint-Pères, le 15 décembre 1686. Voici son acte mortuaire, copié sur les registres de la paroisse de Saint-Sulpice :

« Le 17e décembre 1686,

« A esté fait les convoys, service et enterrement de Monsieur Daniel Gittard, ingénieur et architecte ordinaire des bâtimens du roy et de son Académie royale, et ancien marguillier de cette paroisse, mort le quinzième du présent mois, en sa maison rue des Saints-Pères, aagé d’environ soixante ans, et ont assisté au dit enterrement Pierre Gittard et Daniel Gittard, tous deux fils du dit deffunt. »

Hôtel Lully à Paris, oeuvre de Daniel Gittard en 1671

Hôtel Lully à Paris, oeuvre de Daniel Gittard en 1671

Daniel Gittard prenait le titre d’ingénieur dans les actes notariés et dans les actes de l’état civil auxquels il figurait, ce qui doit porter à penser qu’il joignait, comme Blondel et Lemuet, à sa qualité d’architecte civil, les fonctions d’ingénieur, qui appartenaient alors à ceux qui s’occupaient des travaux des ponts-et-chaussées ou des fortifications. Ce qui nous porte à croire que c’est à cette dernière classe d’ingénieurs que Daniel Gittard appartenait, c’est que son fils aîné et sa descendance suivirent la même carrière.

Pierre Gittard, celui qui figure dans l’acte de décès de son père, et qui fut reçu membre de l’Académie d’architecture en 1699, entra dans le corps du génie en 1690, fut en 1712 ingénieur en chef à Philippeville, passa en la même qualité à Lille en 1713, reçut en 1738 le titre de directeur des fortifications, et mourut à Lille au mois de juin 1746.

Le fils de Pierre Gittard fut aussi ingénieur. Il entra dans le corps en 1705 et fut ingénieur en chef à Lille en 1738, puis directeur des fortifications en 1743, nommé à la direction des places conquises en 1746, d’abord à Ypres, puis à La Rochelle. Ce dernier eut pour fils Gittard de Brannay, entré au corps du génie en 1726, ingénieur à Bouchain en 1733, ingénieur en chef en 1747.

Outre son fils aîné Pierre, Daniel Gittard avait eu trois autres enfants de sa femme Marie Dupré. Un second fils, appelé aussi Daniel Gittard (et qui figure dans l’acte mortuaire de son père), prend dans les actes la qualification de bourgeois de Paris, ce qui semble prouver qu’il n’exerça aucune profession ; une fille appelée Marie-Anne Gittard, décédée célibataire en sa maison de Blandy, le 7 février 1748, et une deuxième fille nommée Catherine Gittard, qui fut mariée en 1694 à Ambroise-Charles Guérin — ancien bâtonnier de l’ordre des avocats au parlement de Paris, mort doyen des avocats le 26 septembre 1752 —, laquelle décéda le 24 juillet 1730.

Les mémoires de Gourville nous révèlent sur la vie de Daniel Gittard qu’en 1660, lorsque le surintendant Foucquet acheta la terre de Belle-Ile, ce fut Gittard qu’il y envoya pour fortifier le château ; la surveillance des travaux y exigea même sa présence assez longtemps. Or, personne n’a oublié que dans le fameux procès, la fortification de cette place fut l’un des chefs les plus graves de l’accusation. Mais il est évident que l’architecte-ingénieur exécutait tous ces travaux le plus innocemment du monde. Gittard était employé par le surintendant : en 1658, lorsque le prodigue ministre fit l’acquisition du couvent des carmes de Melun, à Maincy, pour y établir sa manufacture de tapisserie, le procès-verbal d’expertise fut dressé par Gittard et son frère Pierre.

La restauration complète du château de Saint-Maur, près de Charenton, fut aussi confiée à Gittard par l’intendant du prince de Condé. Ce renseignement qu’on chercherait vainement ailleurs, a été consigné par Pérelle au bas de deux vues gravées de ce célèbre manoir. Après avoir rappelé qu’il fut commencé à bâtir pour Catherine de Médicis, dans son enthousiasme pour le style de son temps, voici comment s’exprime le graveur : « Le changement des croisées, des portes, l’augmentation des fossés, cours et fermeture des ailes, qu’a faits le sieur Gittard, y augmentent non seulement la beauté mais en rendent les appartements commodes, et l’escalier qui était au milieu de la façade ayant été changé, donne la facilité de voir de la cour dans le jardin, qui est du dessin de M. Le Nostre exécuté par le sieur Regots. »

Autographe de Daniel Gittard figurant sur le mémoire en forme de devis réalisé en vue des réparations de l'église Saint-Aspais

Autographe de Daniel Gittard figurant sur le mémoire en forme de devis
réalisé en vue des réparations de l’église Saint-Aspais

Voici les garanties d’authenticité du portrait de Daniel Giffard que nous donnons en début d’article, copie de la miniature originale qui s’est transmise de père en fils dans la famille d’Eugène Grésy, membre de la Société des antiquaires de France et issu de la lignée du mariage de Catherine Gittard — seconde fille de Daniel Gittard — avec Ambroise-Charles Guérin. Eugène Grésy rapporte qu’il a toujours été de tradition que c’était le portrait de Daniel Gittard, et cela, à une époque où la notoriété, pouvant s’attacher à ce nom, était complètement effacée de tous les souvenirs, où aucun intérêt d’amour-propre ne pouvait songer à en fabriquer un ancêtre. Le petit cadre en bois très finement sculpté, qui entoure la miniature originale accuse incontestablement le règne de Louis XIV, précise-t-il ; enfin le personnage paraît porter le costume officiel de l’Académie, c’est ainsi du moins que dans la suite des hommes illustres de Perrault on voit représentés Pélisson, Quinault, Mansart, Sarazin et autres académiciens, avec la grande perruque, la robe noire et le rabat blanc.

L’autographe de Daniel Gittard reproduit ci-dessus est emprunté au mémoire en forme de devis que, sur la recommandation de madame de Miramion, il vint faire gratuitement à Melun pour les réparations de l’église Saint-Aspais. Il s’agissait de tirer l’emploi le plus utile des deux mille livres données si généreusement à la fabrique par cette dame de Rubelles, et Gittard y fait preuve de l’intérêt le plus vif pour le monument en ruine.

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