LA FRANCE PITTORESQUE
Fête de la Saint-Siffrein
à Carpentras (Vaucluse) :
un hommage vieux de cinq siècles
(D’après « Vie de saint Siffrein, évêque
et patron de Carpentras », paru en 1860)
Publié le samedi 25 novembre 2017, par Redaction
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Excepté sous la Révolution, la fête de la Saint-Siffrein, en hommage au saint du VIe siècle dont les reliques furent, selon la tradition, « amenées » à Carpentras par deux voleurs, fut toujours célébrée depuis 1525 avec pompe et magnificence à Carpentras, l’affluence étant immense
 

Siffrein naquit à Albano, près de Rome, vers l’an 490. Son père possédait la moitié de cette ville par droit de succession : c’était un noble chevalier, issu d’une famille romaine qui portait un grand nom, et qui, après avoir terminé sa carrière militaire, s’était allié avec une dame d’une naissance aussi illustre que la sienne.

Le père de Siffrein avait un grand nom, de grands biens, une femme vertueuse. Toutefois, l’éclat des richesses et les vanités du siècle ne séduisirent point son cœur. Ayant laissé son épouse par une inspiration divine, il songea à se retirer dans la solitude et à dire au monde un éternel adieu. La réputation de science et de sainteté où étaient alors les moines de l’île de Lérins lui fit choisir leur monastère pour le lieu de sa retraite.

Saint Siffrein

Saint Siffrein

Il quitta donc l’Italie et vint débarquer à cette île avec son fils, alors âgé d’environ dix ans. Saint Césaire, abbé de ce monastère, les reçut avec une tendresse paternelle. Après quelques jours d’épreuve, le père fut admis au noviciat, et son fils fut placé sous la conduite d’un saint et savant religieux, qui fut chargé de le former aux sciences et à la vertu.

Siffrein fit tant de progrès dans les lettres et les vertus, que tous le regardaient comme un modèle de science et de piété. Sur le renom de sa sainteté, le clergé et le peuple de Venasque — à quelques kilomètres de Carpentras — l’élurent pour leur évêque, avant même qu’il fût initié aux ordres sacrés. Son humilité fut alarmée de ce choix, et s’estimant incapable de porter une charge si pesante, il ne voulut pas l’accepter. Forcé toutefois par l’obéissance d’être élevé à des honneurs qu’il avait déclinés de tout son pouvoir, et conduit auprès de saint Césaire, il fut promu aux ordres sacrés, et reçut des mains de ce célèbre prélat la consécration épiscopale.

Ayant gardé, pendant son épiscopat, la manière de vivre qu’il observait dans le monastère, il répandit au loin les rayons de sa sainteté. Son abstinence était prodigieuse : du pain, de l’eau et quelques légumes faisaient toute sa nourriture. Il macérait sa chair par les veilles, le jeûne et le cilice. Son assiduité à la prière était admirable : il consacrait des nuits entières à la contemplation des choses divines, sans donner à son corps quelques moments de repos.

Compatissant aux besoins des pauvres et des malades, il était pour eux un père, mais un père tellement rempli de tendresse qu’on le voyait souvent porter ses pas vers leurs demeures, pour leur faire entendre la parole qui console, et répandre dans le sein de l’indigent d’abondantes aumônes. Pasteur vigilant, il nourrissait le troupeau que lui avait confié le père de famille, de la grâce des sacrements et du pain de la parole sacrée, et il montait tous les jours à l’autel afin d’offrir la victime sainte pour leur salut.

Pour relever et accroître la splendeur du culte divin, il bâtit plusieurs basiliques : l’une en l’honneur de la Très-Sainte Trinité, l’autre en l’honneur de la Vierge Marie, et la troisième à saint Jean-Baptiste ; il en bâtit une à Carpentras en l’honneur de Saint Antoine, dans laquelle il allait souvent se recueillir, loin du commerce des hommes, pour s’occuper de Dieu seul et des intérêts de son âme.

On attribue la réalisation de nombre de miracles à saint Siffrein : il ressuscita un clerc que la mort venait de surprendre, et qui lui était cher à causé de son innocence et de ses mœurs irréprochables ; il rendait la vue aux aveugles, la santé aux malades que l’on s’empressait de toutes parts d’apporter à ses pieds, et il délivrait les possédés de la puissance du démon. Doué de l’esprit prophétique, les choses les plus secrètes lui étaient connues ; il lisait au fond des cœurs, et pénétrait dans les replis de l’âme les plus cachés.

Quand il fut parvenu à un âge fort avancé, voulant se livrer plus librement aux sentiments de ferveur qui l’animaient, et veiller avec plus de soin à la garde de son troupeau, il se bâtit une petite maison, à côté de la basilique qu’il avait élevée en l’honneur de la Très-Sainte Mère de Dieu. C’était dans ce modeste réduit que le pieux pasteur, consacrant la nuit et le jour à méditer la loi de Dieu, menait une vie plus angélique qu’humaine, et soupirait sans cesse après les joies ineffables de la céleste patrie.

Ayant su par révélation le jour de son bienheureux trépas, son cœur en éprouva un contentement indicible. Il s’empressa aussitôt d’appeler auprès de lui le clergé et le peuple dont il faisait les délices, et il les exhorta avec de vives instances à conserver le dépôt de la foi, à vivre dans l’exercice de la charité et dans la pratique des autres vertus. Enfin, le cinquième jour des calendes de décembre, ayant conservé jusqu’au dernier moment l’usage de ses sens, il rendit l’âme. Son corps fut recueilli au sein de la basilique de Venasque.

L'église Saint-Siffrein de Carpentras au début du XXe siècle

L’église Saint-Siffrein de Carpentras au début du XXe siècle

Après la mort de saint Siffrein, il s’opéra tant de miracles à son tombeau qu’on y accourait de toutes parts ; les vœux des nombreux pèlerins y étaient exaucés, et aucune prière ne demeura sans effet. Mais par la suite, ses précieuses reliques furent enlevées de ce lieu sacré et transportées à Carpentras, comme l’atteste la antique et pieuse tradition suivante.

Des étrangers, voulant en effet doter leur patrie d’un trésor si précieux, s’introduisirent furtivement dans la basilique de la Très-Sainte Trinité de Venasque. Ayant brisé, pendant la nuit, la pierre sépulcrale, ils prirent la châsse qui contenait les reliques et l’emportèrent. À peine arrivés au ruisseau qui coule tout près de Carpentras, ils furent sur-le-champ frappés de cécité, en punition de leur sacrilège. Forcés de s’arrêter, ils prièrent des cultivateurs qui passaient par là de leur indiquer le chemin. Ceux-ci, se doutant de quelque crime, les dénoncèrent au magistrat de la cité. Les coupables furent saisis et avouèrent leur crime.

Témoin du prodige, toute la ville fut en émoi, et il n’y eut qu’une voix pour demander que le trésor sacré fût enlevé à ces impies. On fit droit à une réclamation aussi juste. Aussitôt le clergé et le peuple firent éclater leur joie, transportèrent religieusement dans la ville ces reliques vénérées, au chant des hymnes et des cantiques, et les déposèrent dans l’église principale de Carpentras, qui fut rebâtie ensuite dans de plus larges proportions. Les ravisseurs, qui demandèrent pardon à Dieu de leur faute, recouvrèrent la vue.

En vertu d’une bulle du pape Grégoire XIII en date du 18 janvier 1525, autorisation fut donnée d’exposer la relique du Trésor de la cathédrale de Carpentras lors de la fête annuelle de Saint-Siffrein, fixée au 27 novembre.

Un manuscrit de dom Maillet (XVIIe siècle) nous livre les détails de cette fête telle qu’elle se déroulait avant la Révolution : « La veille, dit-il, à la pointe du jour, cette fête était annoncée par la décharge de dix-huit boîtes hors la porte d’Orange, et par les cloches de la cathédrale. Même répétition à midi ; les tambours se faisaient entendre, accompagnés du fifre attaché à la commune, en habit rouge. Le soir, MM. les consuls, avec leur cortège ordinaire et en chaperon, assistaient aux premières vêpres, qu’on chantait à grand orchestre. Après les vêpres, la bénédiction du Saint Clou [appelé aussi Saint Mors, emblème de la ville depuis 1260], avec une brillante illumination.

« En sortant des vêpres, les consuls se rendaient hors la porte d’Orange, précédés des tambours et de leur cortège, pour allumer un beau feu de joie. Du moment qu’ils sortaient de cette porte, on tirait de nouveau les boîtes. On promenait enfin par la ville la bannière de saint Siffrein.

« Le lendemain matin, à la pointe du jour, nouvelle décharge des boîtes, ainsi que pendant le parcours de la procession ; le buste en argent de saint Siffrein y était porté par quatre pénitents gris, avec une escorte de cinquante paysans armés. Un chanoine était à côté du buste, les consuls venaient ensuite. Ils assistaient à la messe solennelle qui se célébrait immédiatement après la procession, et le soir aux vêpres qu’on chantait avec la même magnificence que la veille. »

« On fêtait avec une pareille solennité la translation des reliques de saint Siffrein, le troisième dimanche après Pâques. Toute la différence consistait en ce que, au lieu du buste de saint Siffrein, on portait à la procession la châsse des reliques du saint. »

Le Saint Mors dans son reliquaire

Le Saint Mors dans son reliquaire

L’orage révolutionnaire eut temporairement raison de ces réjouissances. Mais depuis l’église de Saint-Siffrein ayant été rouverte à la piété des fidèles en 1802, la fête du patron titulaire fut de nouveau célébrée tous les ans avec magnificence. Selon un témoignage de la fin du XIXe siècle, les sonneries majestueuses des cloches annoncent, dès la veille, cette grande solennité. Dès l’aurore, la joie se réveille dans le cœur des habitants. Toute la ville s’émeut pour cette fête, et se presse aux pieds des autels. Les vêpres sont chantées avec gravite par un nombreux clergé, et les officiants, revêtus de riches ornements tissus d’or, exécutent les augustes cérémonies avec un ensemble admirable.

De temps en temps les archevêques d’Avignon, invités à la solennité, viennent, par leur présence et la pompe qui les environne, doubler l’éclat de la fête. Le Saint Clou est exposé à la vénération des fidèles sur une estrade élevée au dessus de la grande tribune qui domine la porte latérale de l’édifice sacré. Les chapelles sont parées avec goût et somptuosité.

Les reliques de saint Siffrein, renfermées dans des urnes splendides, sont déposées sur le maître-autel qu’on a jonché de fleurs et embelli de tissus magnifiques. Des torches ardentes, placées symétriquement sur les gradins et sur des candélabres, faisant rejaillir leur lumière sur tous ces objets, en relèvent, la richesse et la beauté. Le sanctuaire brille d’un éclat éblouissant par la quantité de flambeaux et de lustres suspendus à la voûte, reflétant comme une image d’un ciel constellé.. Un immense triangle, portant au milieu l’effigie du Saint Clou soutenu par deux anges, s’élève majestueusement sous la coupole de l’abside, projetant tout autour ses rayons enflammés ; et une guirlande de milliers de flambeaux ceint les chapelles de la vaste nef, qui resplendit de leur lumière.

Le lendemain matin, aux graves sonneries des cloches, les fervents chrétiens de la cité s’empressent d’assister à la messe solennelle et de payer le tribut de leurs hommages aux reliques exposées à la vénération des fidèles. Le soir, une foule encore plus nombreuse se rend avec la même joie que la veille dans l’ancienne cathédrale pour chanter, avec les ministres sacrés, la gloire de Dieu et exalter les mérites du saint Patron.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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