LA FRANCE PITTORESQUE
1er octobre 1814 : mort de l’entomologiste
et voyageur Guillaume-Antoine Olivier
(D’après « Annales de l’agriculture française, contenant des observations
et des mémoires sur toutes les parties de l’agriculture », paru en 1815)
Publié le dimanche 1er octobre 2023, par Redaction
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Docteur en médecine à l’âge de 17 ans, il s’adonne avec ardeur à sa véritable passion, l’étude des sciences naturelles, et se voit confier des missions en Angleterre et en Hollande pour y recueillir les insectes de ces deux pays, avant d’être chargé de rédiger la partie entomologique de l’Encyclopédie, puis d’effectuer une périlleuse expédition de six années dans l’Empire ottoman, en Perse et en Égypte
 

Guillaume-Antoine Olivier naquit aux Arcs, petite ville voisine de Toulon, le 19 janvier 1756. Dès sa jeunesse il montra tant de dispositions et mit tant d’application à ses études, qu il finit ses humanités à l’âge de quatorze ans ; il alla ensuite étudier la médecine à Montpellier, et portant dans cette nouvelle occupation toujours la même facilité et la même-ardeur, il reçut le grade de docteur-médecin à l’âge de dix-sept ans.

Le botaniste et médecin Antoine Gouan (1733-1821) avait été l’un de ses professeurs dans cette université justement célèbre ; le naturaliste et médecin Pierre Broussonet (1761-1807) avait été un de ses condisciples ; le jeune Guillaume ne put résister à l’attrait des leçons qu’il recevait de l’un et à l’exemple que lui donnait l’autre. Il se livra particulièrement, pendant sa licence, à l’étude de l’histoire naturelle, qui était enseignée à Montpellier d’après les principes de Linné ; il s’occupa principalement de l’entomologie. Cette étude devint une passion pour lui, et il suivit avec la même assiduité des recherches de ce genre lorsqu’il fut rappelé dans sa famille après avoir reçu le bonnet de docteur.

Antoine Gouan. Collection de la Bibliothèque de l'Académie nationale de médecine

Antoine Gouan. Collection de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine

Il avait continué de correspondre fréquemment avec Broussonet, qui, après avoir quitté aussi Montpellier, avait voyagé en Angleterre, et s’était fixé à Paris où il était devenu secrétaire de la Société d’Agriculture. Leur correspondance avait pour objet l’histoire naturelle ; Olivier avait le plus grand désir de se réunir à son compagnon d’études, de visiter les riches collections de la capitale, et d’étendre ses connaissances ; mais son père désirant qu’il continuât d’exercer la médecine qu’il pratiquait déjà avec succès, refusait des fonds pour le voyage ; l’occasion vint de se passer de son secours.

Louis-Bénigne-François Bertier de Sauvigny (1737-1789), intendant de Paris, conçut l’idée de faire faire la statistique de sa généralité ; Broussonet indiqua son ami comme capable d’exécuter une semblable entreprise, et Guillaume-Antoine Olivier fut appelé en 1783 pour exécuter ce grand travail. Il était alors âgé de vingt-sept ans ; il était pourvu de toutes les connaissances que son ardeur pour l’instruction et la facilité dont il était doué, lui avaient permis d’acquérir, mais il trouva alors de nouvelles études à faire, et ces études étaient si étendues qu’elles demandèrent toute son application et tous ses moments ; en effet, les travaux de statistique exigent, non seulement la connaissance approfondie et préalable de toutes les parties de l’histoire naturelle, de l’agriculture, des arts et manufactures, de la physique et de la chimie, mais encore celles d’économie politique, d’administration, de commerce, d’histoire et d’antiquités.

Olivier ne s’effraya point de la carrière qu’il avait à parcourir ; il connut et remplit toutes les obligations que le travail dont il était chargé lui imposait. Il remit successivement à Bertier de Sauvigny plusieurs mémoires sur la géologie et sur la minéralogie de la généralité, sur les plantes qui y croissaient spontanément et sur celles qui y étaient cultivées, sur les procédés de culture, sur les quadrupèdes, les oiseaux, les insectes et les vers qui s’y trouvaient, sur les cours d’eau, sur la météorologie, sur les produits des arts économiques, etc. Les connaissances multipliées que leur auteur avait été obligé d ’acquérir pour se livrer à ce travail apprirent à Olivier à ne rien négliger de ce qui doit être examiné dans la description d’un pays ; elles lui apprirent à distinguer ce qu’il est essentiellement utile de recueillir, et elles le mirent à même de n’oublier ensuite aucune des observations qui pouvaient le conduire à obtenir une connaissance positive et complète des objets véritablement intéressants dans les diverses contrées qu’il fut chargé depuis de visiter.

L’entomologie était, de toutes les parties de l’histoire naturelle, celle qui intéressait le plus Guillaume-Antoine Olivier ; pendant ses courses aux environs de Paris, il avait souvent étudié les mœurs et les caractères des insectes, il avait augmenté sa collection, et avait publié plusieurs mémoires sur des espèces nouvelles qu’il avait trouvées, sur des genres qu’il jugeait convenable de rectifier ou de former de nouveau : telles furent ses descriptions de plusieurs espèces de coléoptères, ses observations sur le genre fulyne, son mémoire sur les chenilles fileuses et sur une nouvelle espèce de bombix ; enfin son travail sur l’utilité de l’étude des insectes relativement à l’agriculture et aux arts.

Son mémoire sur les causes des récoltes alternes de l’olivier et sur les moyens de se procurer des récoltes annuelles de son fruit, présenta surtout des observations bien importantes pour l’économie rurale et pour le commerce ; Olivier, en y indiquant la manière et l’époque les plus convenables pour tailler les arbres et pour récolter les olives, prouve que c’est au retard apporté dans ces opérations, retard qui est fondé sur des préjugés qu’il combat tous victorieusement, qu’on doit la mauvaise qualité de la plupart des huiles, la médiocrité de la récolte intercalaire, et la multiplication des insectes qui dévorent souvent les fruits de cet arbre précieux.

Olivier rédigea, de concert avec Mauduit, les premiers volumes de la partie entomologique de l’Encyclopédie Méthodique ; il rédigea, pour l’entomologiste et minéralogiste Jean-Baptiste Gigot d’Orcy (1737-1793), les premiers volumes d’une Histoire générale des Coléoptères, avec des figures coloriées ; il voyagea pour cet objet en Angleterre et en Hollande, à l’effet de visiter les cabinets, de dessiner les espèces qui n’existaient pas dans les collections de Paris. Ces grands travaux n’empêchèrent pas qu’il ne fournît des mémoires et des rapports à la Société d ’Agriculture, dont il était membre, et qu’il n’enrichît de ses observations les Trimestres de la Société, le Journal d’Histoire naturelle, la Feuille du Cultivateur, et les Actes de la Société d’Histoire naturelle de Paris.

Guillaume-Antoine Olivier. Portrait du XIXe siècle de la Société de Géographie

Guillaume-Antoine Olivier. Portrait du XIXe siècle de la Société de Géographie

Mais la Révolution, dès son commencement, avait enlevé à Olivier la place qu’il tenait de Bertier ; elle le força de suspendre l’impression de l’Encyclopédie Méthodique et de l’Histoire générale des Coléoptères ; il se trouvait, après tant de travaux, sans aucuns moyens d’existence à Paris. Un de ses amis intéressa le ministre en sa faveur, et bientôt Olivier fut chargé, de concert avec Jean-Guillaume Bruguière, naturaliste très distingué, d’une mission du Gouvernement français près le roi de Perse. Il leur était ordonné, en se rendant à leur destination, de visiter l’Empire Ottoman, l’Égypte et l’Asie Mineure (majeure partie de la Turquie actuelle). Ils partirent vers la fin d’octobre 1792 ; on leur avait laissé à peine le temps de faire quelques préparatifs, et ils n’avaient aucune autre garantie de succès, que l’ordre qui leur était donné, un besoin ardent d’acquérir des connaissances nouvelles, et la certitude qu’ils avaient de conserver une persévérance imperturbable.

Dès le premier pas, ils furent abandonnés à eux-mêmes ; les ministres qui se succédaient avec tant de rapidité en France, à cette époque, ne furent bientôt plus ceux qui avaient ordonné la mission d’Olivier et de Bruguière, et les intérêts pressants de l’intérieur, où la fortune, la puissance, la vie même des gouvernants, étaient souvent compromises, firent promptement perdre de vue une mission lointaine, qui n’avait pour objet que des recherches d’histoire naturelle, et des relations diplomatiques indirectes, qui ne pouvaient avoir alors qu’un but fort éloigné. Les deux voyageurs attendirent d’abord inutilement pendant longtemps, tant à Marseille qu’à Toulon, l’occasion de s’embarquer, et ils n’arrivèrent à Constantinople que sept mois après leur départ de Paris.

Dans ce nouveau séjour, oubliés et sans argent, il leur fallut attendre de nouveaux ordres et de nouveaux moyens : l’ambassadeur de France n’était pas même prévenu de leur mission ; mais Olivier sut mettre à profit le long séjour qu’il fit à Constantinople, et les observations intéressantes qu’il recueillit sur les mœurs, les coutumes, les monuments et les institutions civiles et militaires, sur les arts et métiers, et sur l’agriculture, observations qu’il a publiées dans la relation de son voyage, ajoutèrent beaucoup à tout ce qu’on savait déjà sur cette ville célèbre et sur ses environs.

Par suite, Olivier et Bruguière parcoururent quelques-unes des îles de la Grèce, visitèrent les champs Troyens, visitèrent les tombeaux attribués à plusieurs des héros célébrés par Homère, avant de se diriger vers l’Égypte et d’aborder à Alexandrie, le 3 décembre 1794. Pendant ce voyage, ils reçurent de l’ambassadeur de France à Constantinople l’ordre de revenir dans cette capitale de l’Empire Ottoman, à l’effet de se préparer à remplir la mission qui leur avait été donnée, et dont l’exécution était suspendue. A leur arrivée ils reçurent, avec l’argent nécessaire, des instructions particulières et les autorisations et les recommandations les plus puissantes de la Porte.

Débarquant à Barut, ils traversèrent la Syrie, une partie de l’Arabie et la Mésopotamie ; arrivés à Bagdad, ils durent à leur sagacité et à leurs talents des moyens sur lesquels ils n’avaient pas compté pour pour remplir une mission qui, sans secours, aurait présenté d’insurmontables difficultés. Le pacha était déjà âgé et affecté d’une maladie de langueur qui l’avait fait condamner par les médecins et par l’astrologue ; il voulut consulter les deux voyageurs avant leur départ : ceux-ci le guérirent en peu de temps. Suleyman reconnaissant leur offrit ses trésors ; mais ils le refusèrent, alléguant qu’ils recevaient de la France un traitement suffisant. Quelques modiques présents, et surtout des lettres de recommandation du pacha pour le kan de Kermanchah et pour les principaux officiers du roi de Perse, furent leur seule récompense, et leur devinrent dans la suite d’une grande utilité.

Ce voyage d’Olivier, dans la Syrie, l’Arabie et la Mésopotamie, avait duré dix mois ; il avait visité ces contrées, si riches en vieux souvenirs, avec toute l’attention que pouvaient inspirer les événements remarquables et les grandes catastrophes dont elles avaient été le théâtre. Les arts, les sciences, les monuments, le commerce, l’agriculture, les langues, le sol, les traditions, les hommes, surtout, furent pour lui des objets constants d’observations précieuses.

Mais les États qu’il avait désormais à parcourir et qui faisaient l’objet principal du voyage, devaient lui présenter un autre spectacle physique et moral ; c’était un pays récemment ruiné par de longues guerres intestines ; les cités les plus florissantes avaient été incendiées et réduites au douzième de leurs habitants. Après avoir eu plusieurs conférences à Téhéran avec le premier ministre et avoir obtenu de lui des réponses favorables sur tous les objets de leur mission diplomatique, après avoir visité une grande partie de la Perse, Olivier et Bruguière se décidèrent à se rapprocher de leur patrie, et quittèrent Ispahan.

Prospectus de 1789 pour Entomologie ou Histoire naturelle des insectes, de Guillaume-Antoine Olivier

Prospectus de 1789 pour Entomologie ou Histoire naturelle des insectes,
de Guillaume-Antoine Olivier

Dans ce dernier voyage, Guillaume-Antoine Olivier fut exposé au plus grand danger qu’il eût encore couru : voulant aller au secours de son collègue qui était tombé de cheval dans un ravin profond, et qui allait être attaqué par cinq voleurs armés de pierres et de massues, il fut lui-même assailli ; blessé violemment à la tête, il perdit connaissance, fut dépouillé en partie, et ne dut son salut qu’à l’arrivée de quelques voyageurs de la caravane dont la présence mit en fuite les assaillants, qui se contentèrent d’emporter ses armes et quelques autres de ses effets.

Olivier, ainsi grièvement blessé, et son collègue déjà depuis longtemps malade, furent obligés de suivre la caravane à travers une partie du désert. Gagnant Constantinople où ils prirent quelque repos et réunirent les immenses collections d’histoire naturelle qu’ils avaient recueillies pour le Gouvernement, ils frétèrent un bâtiment pour revenir en France, visitèrent Athènes, Ithaque, Céphalonie, Corfou, et débarquèrent à Ancône, où Olivier éprouva la douleur de voir périr de maladie l’infortuné compagnon de son long et périlleux voyage. Il partit de suite pour Paris, où il arriva en décembre 1798, plus de six ans après son départ.

Cette mort de Bruguière devait être bientôt suivie d’une perte plus douloureuse encore pour Olivier ; ce fut celle de sa femme, dont ses voyages l’avaient depuis si longtemps séparé ; ce ne fut qu’au bout de quelques années qu’une nouvelle union, telle qu’il la méritait, vint embellir son existence et lui procurer des moyens efficaces de consolation et de bonheur.

Mais avant cette époque, il se livra avec la plus grande ardeur à classer et à mettre en ordre ses nombreuses collections sur toutes les parties de l’histoire naturelle, et à rédiger la relation de son voyage. Il s’occupa aussi de la rédaction de deux nouveaux volumes de la partie entomologique de l’Encyclopédie Méthodique, et d’un volume de l’Histoire générale des Coléoptères : ces travaux importants exigèrent l’emploi de tout son temps pendant plusieurs années. Il fut ensuite nommé professeur de zoologie à l’École vétérinaire d’Alfort.

Malgré sa maladie et malgré les leçons dont Guillaume-Antoine Olivier était chargé, il faisait des rapports et rédigeait des mémoires pour l’Institut et pour la Société d’Agriculture, dont il était vice-secrétaire ; il continuait toujours ses recherches entomologiques qui lui fournirent beaucoup d’observations nouvelles et donnèrent lieu notamment à un travail qui l’occupa longtemps, et qui devint une nouvelle preuve de l’utilité de l’étude des insectes relativement à l’agriculture et aux arts : la recherche de ceux de ces petits animaux qui attaquent les tiges de nos céréales et qui les font périr avant même qu’elles n’aient développé leur épi.

Très peu de ces insectes étaient alors connus, et leur résidence habituelle dans le germe ou dans la tige des graminées les faisait échapper aux yeux des naturalistes. Seules quatre espèces de ces destructeurs de nos moissons avaient été identifiées. Les recherches d’Olivier furent si assidues et si bien dirigées qu’elles le mirent à même, non seulement de décrire et de figurer neuf espèces différentes d’insectes rongeurs de nos céréales qui n’avaient encore été décrits par aucun naturaliste, mais encore de reconnaître cinq autres espèces d’insectes dont les individus sont beaucoup plus nombreux et qui déposent leurs oeufs dans le corps des premiers ; bientôt leurs larves écloses rongeant ceux-ci intérieurement, empêchent leur reproduction et leur multiplication, et deviennent ainsi les conservateurs naturels de nos moissons.

Il indiqua aussi qu’une rotation raisonnée d’assolements bien entendus, serait le moyen le plus efficace de diminuer le nombre de ces insectes qui, dans les assolements ordinaires, trouvaient trop fréquemment les céréales qui constituaient leur aliment par excellence et leur unique moyen de propagation.

Olivier continuait avec assiduité ses recherches intéressantes, il lui fallait encore quelques années d’observations pour les compléter ; mais déjà tout son courage lui suffisait à peine pour se livrer à de semblables occupations. Depuis plusieurs années il était en proie à un malaise général et à des douleurs tantôt intermittentes, tantôt permanentes, tantôt aiguës et tantôt sourdes, mais qui étaient toujours très fatigantes. Les médecins crurent pendant longtemps devoir attribuer ces douleurs à des coliques métalliques, et le malade fut traité en conséquence ; cependant les remèdes n’ayant aucun succès les eaux thermales et l’air du pays lui furent conseillés.

Aquarelle préparatoire de Reinold Audebert à l'édition de l'ouvrage de Guillaume-Antoine Olivier sur l'histoire naturelle des insectes

Aquarelle préparatoire de Reinold Audebert à l’édition de l’ouvrage
de Guillaume-Antoine Olivier sur l’histoire naturelle des insectes

Après avoir tenté inutilement ce nouveau moyen, il avait quitté la Provence et revenait accompagné de sa digne épouse qui lui avait consacré sa vie et qui lui prodiguait les soins les plus assidus. Arrivé à Lyon, il y trouva, dans la famille de sa femme, de nouveaux témoignages d’amitié ; il se livrait à ces doux épanchements, se sentait soulagé, comptait encore sur une guérison parfaite, s’abandonnait à cette gaieté douce qu’il développait toujours dans l’intérieur de sa famille, et enfin projetait de nouveaux travaux, lorsqu’une nuit, le 1er octobre 1814, il perdit tout à coup la vie sans proférer une seule plainte.

La rupture d’un anévrisme de l’aorte occasionna cette mort subite et prématurée. Aucun symptôme n’avait annoncé la nature de cette maladie dont il était tourmenté depuis si longtemps ; d’autres causes attribuées aux maux qu’il éprouvait lui avaient fait continuer des remèdes bien contraires au régime modéré à l’aide duquel il aurait peut-être encore vécu pendant plusieurs années.

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