LA FRANCE PITTORESQUE
Fanfan la Tulipe,
d’Émile Debraux
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Publié le samedi 24 juin 2017, par Redaction
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À l’origine du personnage de Fanfan la Tulipe qui devint le héros de pièces de théâtre, d’opérettes ou encore de films, cette chanson, lors de son apparition, en 1819, passa rapidement des goguettes où elle avait pris naissance, dans les rangs de l’armée qui l’accueillit avec enthousiasme
 

Peu de chansons ont obtenu les honneurs d’une popularité égale à celle de Fanfan la Tulipe. Écrite par le chansonnier et goguettier — la goguette désignait la pratique consistant à se réunir en petit groupe de personnes pour passer un bon moment et chanter, à ne pas confondre avec guinguette — Émile Debraux sur un air populaire anonyme du XVIIIe siècle intitulé Marche des Grenadiers, elle eut la cote au sein des goguettes, puis dans l’armée, et pénétra bientôt, rayonnante, dans les salons, où les souvenirs de notre gloire trouvaient encore des échos. On assure même qu’elle fut souvent chantée par le duc de Berry qui en aimait surtout la musique. Enfin, pour que rien ne manquât à son triomphe, le théâtre de la Gaîté en fit le sujet d’une charmante petite pièce qui eut une longue suite de représentations.

Ce n’est pas, cependant, que cette chanson fût regardée comme un chef-d’œuvre de purisme ou de poésie ; son esprit de bon aloi autant que d’à-propos, sa franchise nationale et son originalité sans prétention, en avaient seuls déterminé le succès. Émile Debraux, qui en est l’auteur, se souciait peu d’observer les règles du langage et de la versification, bien qu’il eût fait d’assez bonnes études pour être correct.

Fanfan la Tulipe. Chromolithographie du premier quart du XXe siècle

Fanfan la Tulipe. Chromolithographie du premier quart du XXe siècle

La nature lui avait donné le secret de parler au cœur et de s’en faire comprendre, il n’aspirait pas à autre chose. Chansonnier du peuple, ce titre semblait suffire à son ambition. Il est mort sans avoir songé qu’il aurait pu être un poète remarquable. En jetant sur la tombe d’Émile un adieu qui ressemble beaucoup à un brevet d’immortalité, Béranger a dit :

À tant d’esprit passez la négligence ;
Ah ! du talent le besoin est l’écueil.

Mais il est fort douteux que Debraux, placé dans une condition de fortune moins équivoque, se fût jamais plus sérieusement occupé de ses compositions. Une impérieuse habitude de produire était devenue sa première muse ; il traitait vingt sujets pour ne pas prendre le temps d’en choisir un ; ses pensées étaient souvent jetées sans ordre sur le papier, et, lorsqu’il en avait formé un tout, quelque imparfait qu’il fût pour lui-même, il n’y retouchait plus. Cependant, que de jolis refrains éclos sous la plume d’Émile Debraux, et combien on regrette en les parcourant, que leur auteur, plus convaincu de son mérite ou plus soigneux de sa réputation d’écrivain, ne se soit pas toujours conformé aux exigences de l’art en suivant l’exemple du grand maître dont il était le contemporain et l’admirateur enthousiaste !

La circonstance est le meilleur aliment de la chanson, telle que la comprenait Debraux, et il savait l’exploiter avec autant de talent que de bonheur. Fanfan la Tulipe, cette chaleureuse expression des sentiments guerriers qui agitaient la France à l’époque où la queue de l’invasion se traînait encore à nos portes, aurait probablement fait moins de bruit quelques années plus tard. L’intérêt qui se rattache aux plus grandes choses se prescrit vite ; mais celles que célébrait la chanson, deux cent mille braves, à peine dépouillés de leur vieil uniforme, venaient d’en être témoins. L’histoire de Fanfan la Tulipe était la leur, rien n’y manquait, pas même l’épilogue :

Maintenant je me repose
Sous le chaume hospitalier...

La chanson d’Émile Debraux, c’est la victoire au repos, mais toujours prête à marcher au premier signal. Les soldats d’autrefois la chantaient comme ils racontaient un épisode de leur vie, et leurs successeurs comme une fiction de leur état.

Voici les paroles de cette chanson :

Comme l’mari d’notre mère
Doit toujours s’app’ler papa,
Je vous dirai que mon père
Un certain jour me happa ;
Puis me m’nant jusqu’au bas de la rampe
M’dit ces mots qui m’mirent tout sens d’ssus d’ssous :
J’te dirai, ma foi,
Qui gnia plus pour toi
Rien chez nous,
V’là cinq sous,
Et décampe.

Refrain :
En avant,
Fanfan la Tulipe,
Oui, mill’ noms d’un’ pipe,
En avant !

Puisqu’il est d’fait qu’un jeune homme,
Quand il a cinq sous vaillant,
Peut aller d’Paris à Rome,
Je partis en sautillant.
L’premier jour je trottais comme un ange
Mais l’lend’main
Je mourais quasi d’faim.
Un r’cruteur passa
Qui me proposa...
Pas d’orgueil,
J’m’en bats l’œil,
Faut que j’mange.

(Refrain)

Quand j’entendis la mitraille,
Comm’ je r’grettais mes foyers !
Mais quand j’vis à la bataille
Marcher nos vieux grenadiers ;
Un instant nous somm’s toujours ensemble,
Ventrebleu ! me dis-je alors tout bas !
Allons, mon enfant,
Mon petit Fanfan,
Vite au pas,
Qu’on n’dis’ pas
Que tu trembles.

(Refrain)

En vrai soldat de la garde,
Quand les feux étaient cessés,
Sans r’garder à la cocarde,
J’tendais la main aux blessés.
D’insulter des hommes vivant encore
Quand j’voyais des lâches se faire un jeu,
Quoi Mill’ ventrebleu !
Devant moi, morbleu !
J’souffrirais
Qu’un Français
S’déshonore !

(Refrain)

Vingt ans soldat, vaill’ que vaille,
Quoiqu’au d’voir toujours soumis,
Un’ fois hors du champ d’bataille
J’n’ai jamais connu d’enn’mis.
Des vaincus la touchante prière
M’fit toujours voler à leur secours.
P’têt’ c’que j’fais pour eux,
Les malheureux
L’f’ront un jour
À leur tour
Pour ma mère.

(Refrain)

À plus d’un’ gentill’ friponne
Maintes fois j’ai fait la cour,
Mais toujours à la dragonne,
C’est vraiment l’chemin l’plus court.
Et j’disais quand un’ fille un peu fière
Sur l’honneur se mettait à dada :
N’tremblons pas pour ça
Ces vertus-là
Tôt ou tard,
Finiss’nt par
S’laisser faire !

(Refrain)

Mon père, dans l’infortune,
M’app’la pour le protéger ;
Si j’avais eu d’la rancune,
Quel moment pour me venger !
Mais un franc et loyal militaire
D’ses parents doit toujours être l’appui ;
Si j’n’avais eu qu’lui,
J’s’rais aujourd’hui
Mort de faim,
Mais enfin,
C’est mon père !

(Refrain)

Maintenant je me repose
Sous le chaume hospitalier
Et j’y cultive la rose,
Sans négliger le laurier.
D’mon armur’ je détache la rouille,
Si le Roi m’app’lait dans les combats ;
De nos jeun’s soldats
Guidant les pas,
J’m’écrierais :
J’suis français !
Qui touch’ mouille !

(Refrain)

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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