LA FRANCE PITTORESQUE
26 juillet 1346 : siège et prise
de Caen par les Anglais
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les
plus reculés jusqu’à nos jours » par Abel Hugo (Tome 4), paru en 1841)
Publié le mardi 26 juillet 2022, par Redaction
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Le pillage de la ville par les troupes du roi Édouard III d’Angleterre accompagné de son fils le Prince Noir, constitue un des premiers faits marquants de la Guerre de Cent Ans, et s’inscrit dans l’invasion de la Normandie qui avait débuté le 12 juillet précédent
 

L’année 1346 commença en France par deux assemblées d’états généraux, ceux de la langue d’Oïl réunis à Paris, par le roi Philippe, et ceux de la langue d’Oc, convoqués à Toulouse par le duc de Normandie. Ces deux assemblées consacrèrent de nouvelles levées d’impôts nécessitées par les frais de la guerre.

Le duc de Normandie, à la tête d’une armée forte de cent mille hommes, entra ensuite en Aquitaine, s’empara successivement de Miremont, de Villefranche, de Tonneins, de Saint-Jean-d’Angely, d’Angoulême ; puis il vint mettre le siège devant Aiguillon. La garnison de ce château fort se composait de quarante chevaliers, quatre cent vingt hommes d’armes et deux mille archers ; elle résistait, depuis trois mois, à tous les efforts de l’armée française, lorsque le roi Édouard III d’Angleterre s’embarqua pour venir à son secours.

Le roi d’Angleterre avait avec lui son fils, le prince de Galles, à peine âgé de seize ans, auquel il voulait faire faire ses premières armes. Ce jeune homme désirait trouver l’occasion de se distinguer, et honteux de ne l’avoir point encore rencontrée, refusait de décorer ses armes de chiffres et d’armoiries. La couleur sombre qu’il avait adoptée pour son casque, sa cuirasse et son écu lui faisait donner un nom qu’il rendit illustre, celui de Prince Noir. Édouard conduisait la plus brillante armée qu’il eût encore réunie : on y voyait sept comtes, trente-cinq barons, mille chevaliers, quatre mille hommes d’armes, dix mille archers anglais et dix-huit mille fantassins irlandais ou gallois.

Le roi d’Angleterre comptait débarquer en Guyenne ; mais les vents ayant poussé sa flotte vers la Normandie, Geoffroy d’Harcourt lui conseilla de prendre terre dans la presqu’île du Cotentin, où ses fiefs étaient situés. Édouard suivit ce conseil et débarqua, le 12 juillet 1346, à Saint-Vaast-la-Hougue. En mettant le pied sur la grève Édouard tomba, dit-on, comme César en Afrique, comme Guillaume en Angleterre ; le sang lui sortit du nez ; ses chevaliers, effrayés du présage, lui dirent : « Sire, retirez-vous en votre nef, et ne restez point à terre, car ceci est un signe contre vous. » Il leur répondit : « C’est un très bon signe, cette terre me désire » ; et il s’avança joyeusement sur le rivage désert, image, dit un historien, de ce qu’allait devenir le sol de notre patrie sous les pas des Anglais !

Prise de Caen. Enluminure extraite des Chroniques de Jean Froissart

Prise de Caen. Enluminure extraite des Chroniques de Jean Froissart

« Rien, écrit Chateaubriand, n’échappa par mer et par terre aux ravages de ce monarque qui se disait roi des Français, et qui venait pour régner sur des Français : par mer, tous les vaisseaux, depuis le plus grand navire jusqu’à la plus petite barque, furent pris et réunis à la flotte anglaise ; par terre, toutes les villes et les villages furent saccagés et brûlés. Barfleur succomba la première, et, quoiqu’elle se fût rendue sans coup férir, elle n’en fut pas moins pillée ; elle perdit or, argent et chers joyaux. Les habitants, enlevés de la ville, furent entassés sur la flotte anglaise. Cherbourg fut incendié ; le château se défendit ; Montebourg, Valogne, Carentan, furent renversés de fond en comble.

« Le corps de bataille ne faisait pas moins de mal au milieu du pays. Geoffroy d’Harcourt allait en avant de la bataille du roi avec cinq cents armures de fer et deux mille archers, et comme il connaissait bien sa patrie, c’était lui qui traçait le chemin. Il trouva le pays gras et plantureux de toutes choses, les granges pleines de bleds et d’avoines ; les maisons pleines de toutes richesses, riches bourgeois, chars, charrettes, chevaux, pourceaux, moutons, bœufs qu’on nourrissait dans ce pays-là, et les plus beaux biens du monde. Ceux du pays fuyoient les Anglois de tant loin qu’ils en oyoient parler, et laissoient leurs maisons et leurs granges toutes pleines. Ainsi par les Anglois étoit arse (brûlé), robé, gâté et pillé le bon pays de Normandie, rapportent les chroniques du temps.

« Saint-Lô, où il y avait alors des manufactures de drap considérables, périt, et les trois corps de l’armée anglaise s’étant réunis, s’avancèrent dans la plaine de Caen... On n’avait point ignoré à Paris l’armement des Anglais, mais on n’avait pu deviner sur quel point tomberait l’orage ; on n’eut pas plus tôt appris qu’il éclatait au cœur du royaume, que Philippe se hâta d’envoyer à Caen le comte d’Eu, connétable de France, et le comte de Tancarville, nouvellement arrivés du siège d’Aiguillon. Ils se jetèrent dans la ville, accompagnés de quelques hommes d’armes ; ils y trouvèrent Guillaume Bertrand, évêque de Bayeux, qui s’y était renfermé avec la noblesse restée au pays.

« Caen était une ville marchande et peuplée, pleine de riches bourgeois, de nobles dames et de belles églises ; mais ses murailles étaient ouvertes en plusieurs endroits, et son château, assez fort, ne défendait la ville que d’un côté. Trois cents Génois, commandés par le seigneur de Wargny, en formaient toute la garnison. » La flotte anglaise était parvenue à l’embouchure de l’Orne, petite rivière qui passe à Caen. Édouard, logé à deux lieues de la ville, s’attendait à trouver quelque résistance. Le comte de Tancarville voulait, avec raison, qu’on se contentât de défendre le pont sur l’Orne, le château, le corps de la ville, et qu’on abandonnât les faubourgs ; les bourgeois dirent qu’ils se sentaient assez forts pour combattre le roi d’Angleterre en rase campagne. Le connétable appuya cette bravade... Édouard, au soleil levant, prêt à exterminer une cité, entendit la messe...

« Cependant les bourgeois de Caen, rangés en bataille, ne tinrent pas ce qu’ils avaient promis. Aussitôt qu’ils virent approcher les bannières des Anglais, et qu’ils entendirent siffler les flèches, ils fuirent. Les ennemis entrèrent pêle-mêle avec eux dans la ville ; car la rivière était si basse qu’on la passait partout à gué. Le connétable se retira à sauveté avec le comte de Tancarville, sous une porte, à l’entrée du pont, devant l’église de Saint-Pierre. Quelques chevaliers et écuyers se réfugièrent dans le château. Le connétable, monté aux créneaux, aperçut, en regardant le long de la grande rue, les archers anglais tuant les habitants, et n’en recevant aucun à merci. Parmi ces soldats il reconnut un chevalier borgne, Thomas Holland, avec lequel il avait autrefois contracté amitié dans les guerres de Prusse et de Grenade. Il l’appela, et se rendit à lui avec le comte de Tancarville et une vingtaine de chevaliers.

« Les habitants, voyant qu’on ne leur faisait aucun quartier, se barricadèrent, et commencèrent à se défendre. Ils jetaient par les fenêtres et du haut des toits, sur les Anglais, des meubles, des briques et des pierres. Les Anglais enfonçaient les portes, se frayaient un chemin avec le fer et le feu, violaient les femmes au milieu des flammes, et massacraient tout sans distinction d’âge, de sexe et de condition. Chaque maison était l’occasion d’un siège où se répétaient les horreurs accomplies dans une ville prise d’assaut.

« Plus de cinq cents Anglais avaient péri dans ce tumulte ; Édouard, devenu furieux, ordonne qu’on passe tous les Français au fil de l’épée, et qu’un vaste incendie couronne l’œuvre. Geoffroi d’Harcourt se trouvait présent lorsque cet ordre fut donné ; pour la première fois il sentit quelques remords : il représenta au monarque étranger qu’il lui restait encore un grand pays à traverser, et Philippe à combattre ; qu’il lui importait de ménager ses soldats ; que les bourgeois de Caen, poussés au désespoir, vendraient chèrement leur vie ; que si, au contraire, on usait de miséricorde, il se chargeait, lui, d’Harcourt, de réduire la ville en peu d’heures.

« Ce conseil, auquel Édouard obtempéra, en épargnant quelques maux particuliers, fit un mal général à la France. Au commencement d’une invasion, un exemple de dévouement enflamme les cœurs, les fait palpiter de vertu et de gloire, inspire cet enthousiasme qui rend une nation invincible : les trois cents Spartiates sauvèrent la Grèce aux Thermopyles. Harcourt chevaucha de rue en rue, commandant, de par le roi d’Angleterre, que nul, sous peine de la hart, ne fût assez hardi pour mettre le feu aux maisons, violer les femmes, tuer les hommes qui ne feraient point de résistance. Les bourgeois cessèrent aussitôt le combat, et ouvrirent leurs portes.

« Alors commença une espèce de pillage régulier, qui dura trois jours. Édouard se réserva, sur la part du butin, les joyaux, la vaisselle d’argent, la soie, les toiles et les draps. Il acheta de Thomas de Holland, pour la somme de vingt mille nobles, le connétable et le comte de Tancarville. Ces deux seigneurs furent embarqués sur le grand vaisseau de la flotte anglaise, avec soixante chevaliers prisonniers, et trois cents bourgeois dont on espérait tirer rançon, quoiqu’ils eussent déjà tout perdu. Le vaisseau porta à Londres les captifs et les dépouilles les plus précieuses. C’était une amorce au reste des Anglais pour accourir au sac de la France. »

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