LA FRANCE PITTORESQUE
21 mai 1889 : mort de Gaston Planté,
inventeur de l’accumulateur électrique
(D’après « Célébration du centenaire de Gaston Planté », paru en 1934)
Publié le dimanche 21 mai 2023, par Redaction
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Hautement estimé et honoré comme savant et inventeur, Gaston Planté, également aimé de tous ceux qui le connurent, pour sa grande bonté et son extrême modestie, mit au point la batterie au plomb et donna au monde un rare exemple de désintéressement en ne prenant aucun brevet pour ses appareils
 

Gaston Planté occupa une place à part dans le monde scientifique ; il n’appartenait à aucune école, et n’avait aucune attache officielle ; par sa situation de fortune, qui lui assurait l’indépendance, il put toute sa vie s’adonner aux recherches sur l’électricité. fut non seulement un inventeur mais encore un pur savant. Il contribua ainsi à accroître à la fois le patrimoine moral de l’humanité par l’exemple de sa vie, et son patrimoine matériel par la découverte de l’accumulateur électrique.

Il naquit à Orthez le 22 avril 1834. Il faut croire qu’une bonne étoile devait guider la famille puisque les trois frères, tous les trois nés à Orthez, Léopold en 1832, Gaston en 1834 et Francis en 1839, devinrent tous les trois célèbres. Léopold fut en effet un des maîtres du barreau parisien ; Gaston fut le savant éminent dont nous voulons retracer ici la vie et l’œuvre ; quant à Francis, il devint un grand pianiste dont la virtuosité étonna le monde entier et qui, tandis qu’il était âgé d’environ 90 ans, dispensait sans compter son merveilleux talent au profit des œuvres humanitaires qui faisaient appel à son concours.

Gaston Planté. Portrait extrait de À Travers l'Électricité par Georges Dary (1900)

Gaston Planté. Portrait extrait de À Travers l’Électricité par Georges Dary (1900)

La famille Planté est une vieille famille béarnaise. Plusieurs Planté furent maires d’Orthez ; en particulier, l’oncle des trois frères, Raymond Planté, qui fut également député des Basses-Pyrénées. Leur père, Pierre ou Pedro Planté, s’était également fixé à Orthez. D’esprit cultivé, ayant une belle compréhension de la musique, il sacrifia l’existence tranquille que pouvait lui procurer une fortune indépendante sous le beau ciel du pays de Béarn, pour se vouer entièrement à l’éducation de ses fils.

Orthez n’offrant pas de ressources suffisantes pour mener à bien de solides études, c’est à Paris que la famille vint se fixer en 1841. Gaston, qui avait alors 7 ans, fut placé comme élève interne dans une institution puis il suivit en qualité d’externe les cours du Lycée Charlemagne. II y fut brillant élève et il obtint en 1850 le baccalauréat ès lettres et en 1853 le baccalauréat ès sciences. Il suivit alors les cours de la Sorbonne et obtint en 1855 le grade de licencié ès sciences physiques.

Mais déjà ses maîtres avaient pu remarquer sa vive intelligence et son amour des sciences. Aussi, lorsqu’en 1854, devint vacant l’emploi de préparateur du cours de physique d’Edmond Becquerel, au Conservatoire des Arts et Métiers, c’est à lui que le Général Morin, directeur de cet établissement, confia la fonction, le 1er décembre 1854.

Tout en continuant à étudier la physique, le jeune préparateur employait quelques loisirs à l’étude de la géologie et de la paléontologie. C’est alors qu’en explorant le sous-sol du bassin parisien, il découvrit les restes d’un grand oiseau fossile. La découverte fut présentée à l’Académie des sciences, par Constant Prévost le 12 mars 1855. Elle intéressa fortement les naturalistes de l’époque : Hébert et Lartet envoyèrent à l’Académie des sciences des notes à ce sujet et le directeur du British Museum, Richard Owen, lui consacra un mémoire.

Gaston Planté, qui n’avait alors que 21 ans, connut déjà la notoriété et Constant Prévost, dans la note ci-dessus indiquée, proposa à l’Académie de dénommer le nouvel oiseau fossile Gastornis parisiensis pour rappeler à la fois le nom de celui qui avait fait la découverte et le lieu de celle-ci.

Jusqu’au 1sup>er janvier 1859, Gaston Planté resta préparateur dl’Edmond Becquerel et s’occupa surtout des sciences physiques. Son habileté comme expérimentateur fut à ce point reconnue que c’est lui qui fut chargé le 28 mars 1858 de répéter les principales expériences de l’électricité devant l’Empereur et l’Impératrice au Palais des Tuileries. Son goût de la recherche scientifique le passionna pour cette science de l’électricité dont il pressentait le développement.

C’est tout d’abord à l’étude des phénomènes de polarisation voltaïque qu’il s’attaqua. Des expériences qu’il fit à ce sujet au Conservatoire des Arts et Métiers, il tira des conclusions qui se trouvent résumées dans la note Recherches sur la polarisation voltaïque qu’il présenta en septembre 1859 à l’Académie des sciences. Ces expériences l’amenèrent à découvrir l’accumulateur au plomb dont il présenta la première batterie en mars 1860, à l’Académie des sciences avec sa note Nouvelle pile secondaire d’une grande puissance.

La découverte de l’accumulateur électrique eut un grand retentissement dans le monde entier et fut le point de départ d’une industrie qui, depuis, atteignit un très grand développement. De l’œuvre de Gaston Planté, cette découverte est certainement la plus importante. Le savant poursuivit ses recherches à l’aide de ses ressources personnelles dans un laboratoire qu’il installa d’abord rue des Tournelles, puis place des Vosges et enfin rue de la Cerisaie ; mais toujours dans ce quartier du Marais qu’il affectionnait peut-être un peu parce que l’illustre Franklin y avait assisté à la fin du XVIIIe siècle à des expériences d’électricité dans l’hôpital des Célestins, mais surtout parce que ce quartier était rempli du souvenir du roi Henri IV et que son cœur de Béarnais devait tressaillir à ce souvenir de « Lou noustou Henric ».

Son activité se porta également sur d’autres questions de l’électrochimie. C’est ainsi qu’il étudia la galvanoplastie dans les laboratoires de la Maison Christofle où il fut attaché comme électro-chimiste puis comme administrateur. Les cahiers d’expériences pieusement conservés par cette Maison montrent la minutie avec laquelle Gaston Planté consigna les travaux expérimentaux qu’il entreprit de 1863 à 1866 sur tous les problèmes que posait alors le dépôt électrolytique des métaux. Les appareils de mesure étant à peu près inexistants, Gaston Planté les imaginait.

Pile secondaire de 20 éléments Planté pouvant se charger en quantité

Pile secondaire de 20 éléments Planté pouvant se charger en quantité

Parmi les progrès que cette industrie de la galvanoplastie doit à Gaston Planté, il faut citer, à côté de l’utilisation que l’on fit dans la suite des batteries d’accumulateurs comme source d’énergie pour remplacer avantageusement les piles, la substitution du plomb au platine dans les reproductions en ronde-bosse. On comprendra l’importance de ce perfectionnement en songeant que la reproduction d’une statue, par exemple, nécessitait la fabrication d’une carcasse en fils de platine épousant grossièrement le contour du moulage en gutta-percha et qu’on immobilisait ainsi un énorme capital pendant près d’un mois que durait l’opération et cela bien que le platine ne valût guère qu’un franc le gramme à cette époque.

La question de l’ozone étant à l’ordre du jour, Gaston Planté étudia la production électrolytique de ce gaz. Les résultats de ses essais sont résumés dans une note Sur la production de l’ozone qui fut présentée en 1866 par Edmond Becquerel à l’Académie des sciences.

De cette époque jusqu’à 1872, nous voyons Gaston Planté étudier plus à fond son accumulateur, en modifier le montage. De la forme cylindrique, il passe en 1868 à la forme parallélépipédique en faisant usage de plaques plates, montage le plus couramment employé par la suite. Mais il reconnaît des inconvénients à ce montage et en 1872 il revient à l’élément cylindrique avec bac en verre mais d’un montage différent de celui de son premier élément. Il étudie plus particulièrement la formation de l’accumulateur au plomb et les phénomènes dont il est le siège en charge et en décharge. Tous ces travaux furent très remarqués et nous signalerons à ce propos que l’Empereur du Brésil Don Pedro Ier avait tenu à assister en 1872 à des expériences que Gaston Planté effectuait sur ses accumulateurs au Conservatoire National des Arts et Métiers.

La grande puissance que peut fournir l’accumulateur et que ne donne pas la pile incite le savant à rechercher des applications. Il prépare des boîtes refermant un accumulateur et qui servent à la galvanoplastie et à la thérapeutique en général. La lampe électrique à incandescence n’étant pas encore inventée, ces boîtes sont appliquées aussi à la laryngoscopie et à l’éclairage des cavités obscures du corps humain en général en utilisant de petits fils de platine portés à l’incandescence et placés au foyer de petits réflecteurs de forme appropriée. Avec un fil de platine disposé aux bornes de l’accumulateur, ces boîtes sont appliquées aux usages domestiques (briquet de Saturne, bougeoir électrique). Elles sont utilisées aussi avec les sonneries.

Remarquons que pour ces applications domestiques, Gaston Planté couplait en permanence en parallèle l’accumulateur et la batterie de piles assurant la charge de celui-ci. Il réalisait donc déjà le système d’utilisation que les Anglo-Saxons ont appelé depuis floating battery et qui consiste à envoyer dans la batterie un faible courant de charge permanent calculé de façon à compenser les débits intermittents de la batterie et ses actions locales.

Des batteries d’un plus grand nombre d’éléments sont constituées en vue d’applications plus industrielles : éclairage électrique par arc, applications à la production de signaux lumineux en mer, alimentation de freins électriques pour les chemins de fer, etc.

Ces applications restèrent cependant peu importantes car l’accumulateur naquit un peu trop tôt et en réalité attendra l’application pratique de la machine dynamo-électrique pour se développer. On sait que Zénobe Gramme inventa cette machine en 1869. C’est en 1873 que Gaston Planté l’utilisa pour la première fois en chargeant avec elle son accumulateur. Il est intéressant de noter à ce sujet que dans une expérience qu’il fit alors en collaboration avec Niaudet, Planté constata la réversibilité de la machine dynamo électrique qui, recevant le courant de décharge de l’accumulateur, se mettait à tourner.

A partir de 1875, Gaston Planté s’intéressa tout particulièrement à l’étude des décharges que pouvaient lui fournir ses batteries composées d’un grand nombre d’éléments. La puissance très élevée de l’accumulateur lui permettait ainsi des expériences dont ni les piles ni les machines statiques n’auraient permis la réalisation. Si ces dernières étaient capables de fournir des tensions très élevées, les quantités d’électricité qu’elles mettaient en jeu étaient très faibles. Les piles étaient bien susceptibles de donner des quantités d’électricité plus grandes mais seulement avec de relativement faibles courants et l’obtention de tensions élevées avec elles n’était pas pratique puisque, après chaque décharge, il fallait démonter et remonter toutes les piles pour remplacer les matières actives épuisées.

Gaston Planté. Timbre émis le 15 avril 1957 dans la série Savants ou inventeurs français. Dessin de Pierre Béquet

Gaston Planté. Timbre émis le 15 avril 1957 dans la série Savants ou inventeurs français.
Dessin de Pierre Béquet

Gaston Planté entrevit les possibilités qu’allaient lui offrir les accumulateurs en tant que source d’énergie électrique pouvant donner à la fois, comme il le disait, tension et quantité. C’est ainsi qu’il réalisa ses premiers groupes comprenant 40 éléments qu’une manœuvre de tringles lui permettait de mettre en parallèle pour la charge et en série pour la décharge. C’est avec ces groupes qu’il constitua des batteries comprenant de 200 à 800 couples, donnant par conséquent des tensions de 400 à 1 600 volts, qui lui servirent à l’étude des effets électriques de haute tension. Cette étude représente, après celle des courants secondaires, la partie la plus importante de l’œuvre de Gaston Planté. On peut même dire qu’il s’y consacra presque exclusivement depuis 1875 jusqu’à sa mort.

En 1889, la santé du maître s’altéra : des maux d’yeux et des affections nerveuses l’obligèrent même à suspendre ses travaux. Il les reprit, mais le 21 mai 1889 une congestion cérébrale vint faucher prématurément sa merveilleuse intelligence. Il eut la fin digne d’un savant, la mort l’ayant frappé en plein travail, auprès de ses appareils, dans le laboratoire qu’il avait installé dans sa maison de Bellevue.

Gaston Planté faisait partie d’un grand nombre de sociétés savantes, et s’il ne fut pas membre de l’Académie des sciences, c’est parce qu’il ne voulut pas répondre aux sollicitations qui lui furent adressées. Aux académiciens qui lui conseillaient de poser sa candidature, il répondait : « Vous me faites beaucoup d’honneur et je vous en remercie infiniment, mais je perdrais bien du temps à solliciter les voix des membres de l’Institut ; je rentre plutôt dans mon laboratoire. »

Son intelligence était remarquable et se manifestait par une telle vivacité du regard que tous ceux qui le connurent en furent fortement impressionnés. O’Keenan, son préparateur, raconte que lorsqu’il vit le maître pour la première fois, en 1878, avant même de savoir qui il était, admira ses yeux noirs magnifiques, brillants comme du jais. Sa barbe en éventail comme celle du « bon roy Henri IV » complétait harmonieusement une physionomie qui bien que grave le plus souvent, attirait la sympathie.

Son érudition classique et scientifique était considérable : non seulement le grec et le latin n’avaient pas de secrets pour lui ; mais il parlait couramment les langues de tous les pays d’Europe dont il connaissait d’ailleurs à fond la littérature. Sa mémoire était prodigieuse. S’il avait pour la science un culte religieux, il adorait la musique à un plus haut degré encore et était excellent musicien lui-même. Aussi comprend-on que la tendre affection qu’il éprouvait pour son jeune frère Francis était mélangée d’une profonde admiration pour le virtuose pianiste incomparable.

Gaston Planté eut l’heureuse fortune de voir ses contemporains reconnaître ses mérites, et à sa mort un grand nombre de journaux du monde entier publièrent d’élogieux articles nécrologiques.

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