LA FRANCE PITTORESQUE
17 mai 1642 : fondation de Ville-Marie,
future Montréal, par Paul de Chomedey
(D’après « Mémoires de la Société d’agriculture, sciences
et arts du département de l’Aube » paru en 1971,
« Le Petit Journal » du 19 mai 1942 et « Serviteurs et servantes
de Dieu en Canada. Quarante biographies » paru en 1904)
Publié le samedi 16 mai 2020, par Redaction
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Les titres de gloire de Chomedey ne lui furent acquis qu’avec le temps, le gentilhomme champenois plus riche de courage et de vertus que de terres et d’écus n’étant, lorsqu’il fonda Montréal avec Jeanne Mance, que simple gouverneur d’une île à peine habitée, dans une colonie embryonnaire et sans ressources suffisantes
 

Cependant le premier gouverneur de Montréal, tout humble qu’il fut, plus encore par les sentiments et par le cœur que par la position, a vu grandir avec le temps ses titres de gloire. Sa vertu, son tact, sa prudence, toutes les précieuses qualités qui ornèrent sa bielle âme ont conquis l’admiration du peuple canadien eu égard à sa mission providentielle.

Paul de Chomedey naquit en France à Neuville-sur-Vanne (Aube), près de Troyes, le 13 février 1612. Cet unique et dernier rejeton d’une des plus célèbres familles de la Champagne, entra tout jeune dans l’armée. Selon un de ses biographes de l’époque, « la Providence lui avait fait commencer le métier de la guerre dans la Hollande à l’âge de 13 ans, afin de lui donner plus d’expérience », mais tout comme Descartes qui, lui aussi, avait porté les armes avant d’écrire le Discours de la méthode, c’était loin d’être un soudard, ne frayant avec ses compagnons d’armes que lorsqu’il ne pouvait faire autrement. Il charmait ses loisirs en pinçant le luth, et il consacrait le reste de son temps à la prière.

Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. Gravure (colorisée) d'Albert Ferland (1899)

Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. Gravure (colorisée) d’Albert Ferland (1899)

Nous ne connaissons que peu de chose sur la vie de Paul de Chomedey jusqu’au jour où nous le retrouvons à Paris dans la cellule du Père Jésuite Charles Lalemant, récemment arrivé du Canada. Chomedey avait lu par hasard une de ces Relations que la Compagnie de Jésus faisait imprimer tous les ans et distribuer par toute la France. Cette lecture l’avait tellement ému, qu’il n’avait cru mieux faire que d’aller exposer au Père son état d’âme. « Mon Père, lui dit-il, vous voyez devant vous un homme bien décidé à mépriser tous les avantages que le monde pourrait lui offrir, et entièrement résolu d’aller au-delà des mers dans les contrées que vous évangélisez, consacrer son repos, ses services et sa vie au bien et à la sanctification de ces peuplades. »

Pareille confidence ne pouvait mieux tomber, car le Père Lalemant se trouvait dans un sérieux embarras au sujet du nouveau gouverneur qu’il s’agissait de nommer sans délai. Il venait même d’avoir un long entretien à ce propos avec Jérôme Le Royer, sieur de la Dauversière, receveur des domaines du roi à La Flèche, en Anjou, lequel avait conçu le noble projet de fonder une colonie dans l’île de Montréal sous le nom de Ville-Marie. Prêtre parisien qui, après avoir prêché les missions aux paysans dans ses bénéfices de Bretagne et d’Auvergne, Le Royer venait d’ouvrir un séminaire et serait bientôt curé de l’immense paroisse Saint-Sulpice.

Il s’était, dans ce but, adjoint un gentilhomme riche et charitable dans la personne de Pierre Chevrier, baron de Fancamp, ainsi que l’abbé Olier, fondateur des Sulpiciens. Le Royer et Olier s’étaient rencontrés à Meudon, dans le parc du chancelier Séguier, à la suite de circonstances fort extraordinaires. Tous deux, en effet, le même jour, un 2 février, fête de la Chandeleur, à quelques années de distance, s’étaient sentis poussés par une voix intérieure à s’intéresser aux missions lointaines, et singulièrement à celles du Canada. C’est un hôpital que Jérôme de la Dauversière songeait à fonder, qui serait d’abord desservi par des religieuses dont la congrégation serait placée sous le patronage de saint Joseph et de la Sainte Famille. C’est à faire quelque chose pour « porter la lumière aux gentils » que Jean-Jacques Olier était invité, dans le secret de son âme.

Jérôme Le Royer de la Dauversière, de La Flèche vint à Paris, fut mis en relation avec l’abbé Olier. Avec Chevrier, ils formèrent tous trois un noyau d’association, nommée depuis Société de Notre-Dame de Montréal. Paul de Chomedey fut proposé et agréé comme gouverneur de la future Montréal. Les membres de la Société de Notre-Dame l’accueillirent à bras ouverts, le présentèrent au roi, qui lui donna sa commission sur le champ.

Le 9 mai 1641, deux navires quittaient le port de La Rochelle à destination de la Nouvelle-France, emmenant la plupart des colons de Montréal avec, dans l’un Paul de Cheomedey et, dans l’autre, une femme de trempe exceptionnelle qui devait être l’infirmière et l’économe de la troupe, la célèbre et héroïque Jeanne Mance. Compte tenu des lenteurs de la navigation d’alors et de diverses difficultés dues tant à la saison d’hiver qu’aux complications d’ordre humain, la prise de possession officielle de l’île eut lieu l’année suivante seulement.

Le 2 février 1642, jour de la Chandeleur, la ville à naître fut « baptisée » au cours d’une cérémonie à Notre-Dame de Paris : elle y reçut, en l’honneur de la Vierge, le nom de Ville-Maris, les parrains étant l’abbé Jean-Jacques Olier et Jérôme Le Royer de la Dauversière.

Le 17 mai 1642, sur place, au sommet de la colline du Mont-Royal, on entonna le Veni Creator et on construisit sans désemparer un réduit provisoire avec de gros pieux, pour se tenir à couvert contre les Iroquois. Les paroles prophétiques du Père Vimont, prononcées le jour même de la fondation de Ville-Marie, devaient être réalisées au pied de la lettre : « Ce que vous voyez ici, disait-il dans son allocution à la petite troupe groupée au pied de l’autel, n’est qu’un grain de sénevé, mais il est jeté par des mains si pures et si animées de l’esprit de la foi et de la religion, qu’il faut sans doute que le ciel ait de grands desseins, puisqu’il se sert de tels instruments pour son oeuvre, et je ne fais aucun doute que ce petit grain ne produise un grand arbre, ne fasse un jour des merveilles, ne soit multiplié et ne s’étende de toutes parts ». Le lendemain 18, la grand’messe fut chantée au même lieu, et Paul de Chomedey dressa une croix qu’il avait lui-même transportée dévotement sur ses épaules

Paul de Chomedey transportant la croix qu'il dresse sur le lieu d'implantation de Ville-Marie le 18 mai 1642. Illustration réalisée à l'occasion de l'émission, le 21 février 1972, d'un timbre de la série Personnages célèbres

Paul de Chomedey transportant la croix qu’il dresse sur le lieu d’implantation de Ville-Marie
le 18 mai 1642. Illustration réalisée à l’occasion de l’émission, le 21 février 1972,
d’un timbre de la série Personnages célèbres

Inutile d’insister sur les débuts de Montréal. Tout le monde connaît à quelles épreuves furent soumis ces valeureux colons que les attaques incessantes des Iroquois avaient rendus unis et braves. Paul de Chomedey voyait à tout, prévoyait tout. Comme gouverneur, il devait veiller au maintien du bon ordre, à la conservation de la morale publique, à l’intégrité de la justice dans les différends qui pouvaient surgir entre ses gens. Naturellement tous n’étaient pas des saints, surtout parmi la soldatesque. Aussi lui fallut-il sévir de temps à autre contre certains abus provenant des boissons enivrantes, des jeux de hasard et contre les blasphémateurs. Il laissa une série d’ordonnances qui font foi de sa fermeté et de sa sagesse.

« On est surpris, dit Faillon, qu’ayant passé toute sa vie dans le métier des armes, il ait su allier ensemble et réunir en sa personne, le caractère décidé et résolu d’un gouverneur militaire toujours prêt à marcher à l’ennemi, et celui d’un juge consommé dans l’exercice de la justice, par la sagesse qui reluit dans toutes ses sentences, et qui même peut nous laisser incertains s’il a été supérieur comme gouverneur de place ou comme gouverneur. »

Au nombre des autres qualités que l’on attribue à Paul de Chomedey, mentionnons son désintéressement, la simplicité dans sa mise et sa frugalité. Dollier les relève toutes trois : « Ce brave et incomparable gouverneur, dit-il, a fait paraître en sa personne un détachement universel et non pareil, un cœur exempt de toute autre crainte que de celle de son Dieu et une prudence admirable. Mais, entre autres rares qualités, on a vu en lui une générosité sans exemple à récompenser les bonnes actions de ses soldats. Plusieurs fois, pour leur donner des vivres, il s’en est privé lui-même, leur distribuant jusqu’aux mets de sa propre table. Il n’épargnait rien pour leur procurer quelque petit bénéfice, quand les sauvages venaient en traite dans ce lieu.

« Je sais même qu’une fois, remarquant une extrême tristesse dans l’un de ses soldats qui avait fait preuve de cœur dans plusieurs actions contre l’ennemi, il l’interrogea et apprit de lui que le sujet de sa tristesse était qu’il n’avait rien pour traiter avec les Outaouais, qui étaient alors ici. Là-dessus, il le conduit dans sa chambre, et comme ce jeune homme était tailleur d’habits, il lui remet tout ce qu’il trouve d’étoffes, jusqu’aux rideaux de son lit, pour qu’il les mette en hardes, afin de les leur vendre, et ainsi il le renvoya content. Il en usait de la sorte, non pour retirer aucun lucre, mais par une pure et cordiale générosité qui le rendait digne de louange et d’amour. »

« Il ne se souciait non plus d’argent que de fumier, écrit la sœur Morin ; ce qui a paru visiblement à tout le monde. S’il eut voulu négocier, il aurait amassé de grandes richesses par la traite des pelleteries, le castor valant, en ce temps-là, jusqu’à dix et douze livres, et il aurait pu l’avoir facilement et à volonté, par un commerce licite et honnête ; mais l’amour de la pauvreté évangélique, qui était dans son cœur, en fermait la porte à tout désir de posséder des biens périssables. »

Paul de Chomedey de Maisonneuve ne voulut jamais se marier, bien que l’un des Jésuites desservant Ville-Marie lui en suggérât l’idée. Pour en avoir le cœur net, et après avoir reçu l’approbation de son directeur de conscience, il prononça le vœu de chasteté. « Ce trait, ajoute Faillon, montre à quelle haute vertu il aspirait dans la profession des armes, quelque dissipante qu’elle puisse paraître. En apparence homme du monde, il était en réalité un vrai religieux, par sa délicatesse de conscience, qui le rendait pur comme un ange, et par son humilité sincère et profonde, qui lui faisait cacher en tout le bien qu’il faisait.

« Quand il ne pouvait en dérober la connaissance aux hommes, il avait alors de saintes adresses pour leur donner à penser qu’en faisant le bien, il cédait à l’exigence des circonstances, quoiqu’il lui fût toujours inspiré par son amour pour Dieu et par le désir de ne plaire qu’à lui seul. C’était un homme de grande oraison, intimement convaincu et pratiquement pénétré des maximes de l’Évangile les plus parfaites et les plus sublimes ; et cette conviction, jointe à sa force d’âme naturelle, le rendait sans pareil en constance dans l’adversité. »

Les dernières années du gouvernement de Chomedey sont autant de pages où l’héroïsme religieux coudoie la gloire militaire. C’était une vie insoutenable pour ces pauvres colons, qui ne pouvaient s’habituer à vivre dans les affres d’une mort cruelle. Les Iroquois les harcelaient sans cesse, et ils les poursuivaient jusque sur le seuil de leurs demeures. Paul de Chomedey s’employait de son mieux à protéger son monde, et dans ce but il fit un appel au dévouement et à la piété en établissant une confrérie sous le nom de milice de la sainte famille de Jésus, Marie et Joseph. Les membres devaient s’engager à défendre l’île au prix de leur sang. Quatre jours après la publication de l’ordonnance, cent quarante hommes s’enrôlaient sous la bannière de la Sainte Famille.

Paul de Chomedey. Timbre émis le 21 février 1972 dans la série Personnages célèbres. Dessin de Pierre Béquet

Paul de Chomedey. Timbre émis le 21 février 1972 dans la série
Personnages célèbres. Dessin de Pierre Béquet

À l’arrivée au Canada d’Alexandre de Prouville de Tracy, en 1665, à titre de gouverneur de la Nouvelle-France, les affaires se trouvaient assez mêlées. Le gouverneur de Mésy venait de mourir ; il y avait dissension au Conseil souverain. La colonie semblait aux abois : chicanes à l’intérieur, guerres avec les sauvages. Le nouveau lieutenant général du roi voulut tout régler à sa manière, et il crut bien faire en renvoyant d’office Paul de Chomedey — qui avait à plusieurs reprise dû revenir à Paris pour les affaires de la colonie — « comme étant incapable de la place et du rang de gouverneur qu’il tenait. »

Cet acte d’ingratitude ne servit qu’à développer chez le premier gouverneur de Montréal les vertus dont il avait donné des preuves si palpables depuis sa naissance. Il se réfugia à Paris et là dans l’isolement et le silence, il continua à s’occuper de Ville-Marie, comme si de rien n’avait été. Il vécut encore onze ans après son départ du Canada.

On ne connaît que peu de choses de lui durant cette période. Ce fut à Paris qu’il mourut, dans son domicile, paroisse de Saint-Étienne-du-Mont, le 9 septembre 1676. Le lendemain, son corps fut transporté à l’église des Pères de la doctrine chrétienne, où ses obsèques furent célébrées.

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