LA FRANCE PITTORESQUE
7 avril 1795 : abolition du système
de temps décimal imposé en 1793
(D’après « Réimpression de l’ancien Moniteur, seule histoire authentique
et inaltérée de la Révolution française depuis la réunion des États-Généraux
jusqu’au Consulat » (Tome 18) paru en 1860, « Quand l’homme civilise
le temps : essai sur la sujétion temporelle » (par Ali Magoudi) paru en 1992,
« Le mètre du monde » (par Denis Guedj) paru en 2000
et « Les lieux des erreurs scientifiques » (par Girolamo Ramunni) paru en 2012)
Publié le dimanche 7 avril 2024, par Redaction
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Le temps décimal avait été adopté en vertu de la loi du 24 novembre 1793, sur l’instigation de Charles-Gilbert Romme, auteur d’une charge violente contre l’ère vulgaire en dénonçant « un monument de servitude, d’ignorance, auquel les peuples ont successivement ajouté une empreinte de leurs avilissements »
 

À l’origine du calendrier républicain, Charles-Gilbert Romme (1750-1795) usa le 20 septembre 1793 d’un argumentaire acéré contre le vieux code temporel clérical, et se concentra sur l’ère chrétienne, qui selon lui « prit naissance chez un peuple ignorant et crédule, au milieu des troubles persécuteurs de la chute prochaine de l’Empire romain. Pendant dix-huit siècles elle servit à fixer, dans la durée, les progrès du fanatisme, l’avilissement des nations, le triomphe scandaleux de l’orgueil, du vice et de la sottise, les persécutions et les dégoûts qu’essuyèrent la vertu, le talent, et la philosophie (...) L’ère vulgaire fut l’ère de la cruauté, du mensonge, de la perfidie et de l’esclavage ».

Dans ces conditions, les deux premiers articles du décret de la Convention promulgué le 4 frimaire an II (24 novembre 1793) prennent tout leur sens :

« Art. Ier — L’ère des Français compte de la fondation de la République, qui a eu lieu le 22 septembre 1792 de l’ère vulgaire, jour où le soleil est arrivé à l’équinoxe vrai d’automne, en entrant dans le signe de la Balance, à neuf heures dix-huit minutes trente secondes du matin, pour l’Observatoire de Paris.

« Art. II — L’ère vulgaire est abolie pour les usages civils. »

Montre de poche révolutionnaire en argent

Montre de poche révolutionnaire en argent
© Crédit photo : Fondation de la haute horlogerie https://www.hautehorlogerie.org

Après sa charge contre l’usage généralisé de l’ère vulgaire, Romme pousse son réquisitoire contre des unités de mesure qui définissent une durée moindre mais n’en piègent pas moins un espace sacré honni : « La superstition a transmis jusqu’à nous, au grand scandale des siècles éclairés, cette fausse division du temps qui n’a pas peu servi à étendre l’influence sacerdotale par les jours de repos qu’elle ramène régulièrement et qui sont devenus, dans les vues de la cour de Rome, des jours de prosélytisme et d’initiation. Vous n’hésiterez sans doute pas à la retrancher de notre calendrier qui doit être indépendant de toute opinion, de toute pratique religieuse, et recevoir de votre sagesse ce caractère de simplicité qui n’appartient qu’aux productions d’une raison éclairée. »

Devant cette évidence, il est impérieux de décréter les nouvelles règles de division temporelle :

« Art. VII — L’année est divisée en douze mois égaux de trente jours chacun ; après les douze mois suivent cinq jours pour compléter l’année ordinaire ; ces cinq jours n’appartiennent à aucun mois.

« Art. VIII — Chaque mois est divisé en trois parties égales, de dix jours chacune, qui sont appelées décades.

Pour les mois, on a donc choisi l’égalité. Finie l’alternance pair/impair, avec en prime le redoublement juillet-août et, greffés au coeur de l’hiver, les saut 28/29 de février ! Fini d’être obligé d’égrener les mois de l’année sur les os de la main pour savoir s’ils sont de 30 ou 31 jours ! Dix jours feront une décade ; trois décades feront un mois ; douze mois et cinq jours feront une année ; quatre années et onze jours feront une franciade ; cent franciades simples, moins trois jours, feront une franciade séculaire et dix franciades séculaires, moins un jour, feront une franciade miliaire.

Le même décret rend obligatoire la division décimale du jour, et précise :

« Art. XI — Le jour, de minuit à minuit, est divisé en dix parties ou heures, chaque partie en dix autres, ainsi de suite jusqu’à la plus petite portion commensurable de la durée. La centième partie de l’heure est appelée minute décimale ; la centième partie de la minute est appelée seconde décimale. Cet article ne sera de rigueur pour les actes publics qu’à compter du 1er vendémiaire, l’an 3 de la République. »

Particulièrement attachés au système décimal qu’ils portent aux nues d’un nouvel ordre social, les révolutionnaires divisent donc chaque mois en trois décades et chaque jour en heure, minute et seconde décimales. Ce découpage original de la durée contient des avantages dogmatiques indéniables : exit la semaine de sept journées ainsi que son détestable « Jour du Seigneur » hebdomadaire à retour automatique ; exit le découpage canonique de la journée en matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, et autres complies divisant les livres d’heures qui avaient rythmé la vie des prêtres, des nonnes comme celle des laïcs.

Le décret bouleversant l’ordre séculaire établi est aboli le 7 avril 1795. Mais quoi de plus étonnant qu’un projet de décimaliser l’heure soit ressorti au moment où la France s’apprêtait à célébrer le premier centenaire de la Révolution ? Voilà donc que sous la IIIe République, cette question est posée à nouveau. En pleine époque positiviste, à côté de l’ancien argument sur l’utilité pour le monde scientifique, un argument de plus est employé : les arts de précision en ont besoin. SI les scientifiques l’adoptent, les travaux techniques seront obligés de s’en servir, rendant ainsi la nouvelle définition familière aux habitants des villes.

Montre de poche révolutionnaire de 1793 en argent, portant les heures décimales et les heures conventionnelles

Montre de poche révolutionnaire de 1793 en argent, portant
les heures décimales et les heures conventionnelles

Le moment paraît favorable, car les organisations internationales nouvelles faciliteraient l’adoption « universelle ». Argument supplémentaire, de taille, pour une République imprégnée de l’esprit positiviste : se conformer à la hiérarchie philosophique des sciences : 1. l’Arithmétique ; 2. la Géométrie ; 3. la Mécanique ; 4. l’Astronomie et ainsi de suite. Le rêve de créer une ère scientifique, cette fois-ci non plus révolutionnaire mais simplement rationnelle, sert d’argument à conviction.

Une fin de non-recevoir ayant pour titre La décimalisation du temps et de la circonférence est publiée en 1897 dans l’Année scientifique et industrielle, revue fondée par le célèbre Louis Figuier. Exposant trois propositions de promoteurs de l’idée « nouvelle », l’auteur de l’article livre ensuite les points de vue de plusieurs sociétés scientifiques : « La Société de Physique d’une part, la Société internationale des Électriciens de l’autre, ont soumis aux pouvoirs publics des rapports sur la question ; ils concluent, avons-nous besoin de le dire, au maintien du système actuel. La Société des Ingénieurs civils, plus tolérante, ne repousse que la décimalisation du temps ; quant à celle de la circonférence, elle a décidé qu’entre la division en 360 degrés ou la division en 400 grades il n’y avait pas lieu, pour les ingénieurs du moins, de préférer l’un des systèmes à l’autre. »

Et l’Année scientifique de dire qu’ « en résumé, la seconde sexagésimale est trop étroitement liée avec les plus anciennes habitudes de la vie de société, en même temps qu’avec les besoins les plus modernes de la science, pour qu’il soit possible de la changer. »

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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