LA FRANCE PITTORESQUE
Cannes (Alpes-Maritimes) : lumière
sur une histoire tumultueuse
(D’après un texte paru au XIXe siècle)
Publié le mardi 17 mai 2011, par LA RÉDACTION
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Jusqu’au commencement du XIXe siècle, Cannes était restée une humble petite bourgade, simple village de pêcheurs. Son industrie et son commerce étaient insignifiants. Sa population était restreinte, et rien ne faisait pressentir un changement prochain à son obscure situation.
 

Mais en 1831, un célèbre étranger qui, après une vie livrée à toutes les agitations de la politique, cherchait le repos, découvrit, nouveau Christophe Colomb, ce coin ignoré de la terre française. Il s’y établit, et, dès lors la fortune de Cannes fut assurée.

Boulevard près de la côte, d'après une photographie du début du XXe siècle

Boulevard près de la côte,
d’après une photographie du début du XXe siècle

Lord Brougham fut un véritable bienfaiteur pour la ville. L’éclat de son nom y attira une foule de visiteurs. Et puis, l’exemple est contagieux. D’autres propriétés s’élevèrent. Avec la population, les revenus s’accrurent et permirent des améliorations qui rendirent le séjour plus agréable. En 1865, Cannes était un chef-lieu de canton comptant près de 10 000 habitants. A la fin du XIXe siècle, la petite bourgade était devenue une belle et bonne ville tenant une place honorable parmi les cités de France.

L’histoire nous enseigne qu’à partir du XVIe siècle, la Provence fût le théâtre de guerres au milieu desquelles Cannes ne fut pas épargnée. C’est d’abord, en 1524, le connétable de Bourbon qui vient sur les bords du Var à la tête des troupes espagnoles. Le malheureux, que ses talents militaires eussent couvert de gloire si sa trahison ne l’avait couvert de honte, faillit être tué là d’un coup de canon qui renversa son cheval. En 1536, Charles-Quint en personne envahit la Provence et vient loger à Cannes dans une maison qui n’a été détruite qu’en 1875. Cette seconde invasion fut plus terrible que la première et donna lieu à des scènes épouvantables. Laissons parler l’auteur lui-même :

« De Cannes, l’empereur se porta sur Grasse. Il n’y trouva que des ruines. Le comte de Tende, gouverneur de la Provence, avait fait démanteler et brûler cette ville. Charles-Quint se rendit alors à Fréjus. La marche du reste de l’armée se fit sur ce point par la route ordinaire, à travers les montagnes de l’Esterel. Embusqués dans les parages les plus dangereux de ces montagnes, les paysans de notre contrée, auxquels le désespoir avait fait prendre les armes, firent subir une grande perte d’hommes à l’ennemi. Celui-ci, rendu furieux par cette guerre de partisans, massacrait, non seulement les hommes pris les armes à la main, mais aussi les gens inoffensifs. Un grand nombre d’habitants du pays s’étaient réfugiés, avec leurs femmes et leurs enfants, au sommet d’une montagne de l’Esterel ; un détachement d’ennemi les entoura, mit le feu au bois et tua sans pitié ou repoussa dans les flammes tous ceux de ces malheureux qui tentèrent de s’échapper. ».

Mais les choses changèrent bientôt de face. On connaît le détail de cette terrible campagne de 1536. La Provence, ravagée par les Français eux-mêmes, n’offrit plus à l’ennemi qu’un vaste désert. Les moissons étaient brûlées, les puits comblés, les sources gâtées. Toutes les villes, sauf Arles, Marseille et Tarascon furent détruites. L’empereur, ne pouvant atteindre un ennemi insaisissable, harcelé sans cesse par des corps de cavalerie qui enlevaient ses traînards, et voyant son armée fondre pour ainsi dire par la disette et les maladies, dut abandonner un pays qui préférait la ruine à la domination étrangère. Il battit en retraite et arriva presque en fugitif à Cannes où il était entré une première fois en vainqueur. C’est là qu’il se serait embarquer pour Nice, dans un frêle bateau de pêche. La France était sauvée.

Après la guerre étrangère vinrent les guerres de religion puis la peste. En 1580, vingt mille personnes périrent à Marseille. C’est de Cannes qu’était parti le fléau. Un navire venant du Levant avait déposé dans cette bourgade une femme atteinte du mal.

Le Grand Hôtel, d'après une photographie du début du XXe siècle

Le Grand Hôtel,
d’après une photographie du début du XXe siècle

L’auteur raconte un fait qui montre à quels excès peuvent conduire l’ignorance et la peur : « Un pauvre ermite nommé frère Valéry, dit-il, allait, soignant Ies malades partout où sévissait le fléau. Le peuple vénéra d’abord pet homme comme un saint, mais ensuite l’accusa de porter méchamment la peste avec lui et d’en prolonger la durée, bien loin de la guérir. Le Parlement d’Aix condamna l’ermite comme sorcier et espion du roi d’Espagne, et le malheureux fut brûlé vif. »

Pendant les guerres de la Ligue, Cannes se vit de nouveau livrée à l’invasion étrangère. Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, après avoir saccagé Antibes, prit d’assaut le château de Cannes d’où ses troupes furent d’ailleurs chassées, peu de temps après, par d’Epernon. Après le duc de Savoie, les Espagnols. Le 13 septembre 1635, une flotte espagnole s’empara des îles de Lérins. Une misérable rivalité entre le comte d’Harcourt et le maréchal de Vitry retarda de d’eux années la reprise de ces îles. Puis ce sont les Piémontais. En 1707, le prince Eugène de Savoie passa le Var, marchant sur Toulon. La vive canonnade des îles vint le retarder dans sa marche. Toulon ne put être pris, et les Piémontais poursuivis perdirent beaucoup de monde au passage de l’Estérel.

Trente-neuf ans plus tard, c’étaient les Allemands qui entraient à Cannes en conquérants. Le 30 novembre 1746, le général Brown, à la tête des troupes autrichiennes, envahit le pays. Cette occupation eut tous les caractères d’un pillage en règle. Là, comme toujours, les Allemands procédèrent par intimidation. Le quartier général de l’armée ennemie, établi d’abord à Vence, fut transféré peu de temps après à Biot, que les habitants avaient abandonné. Les Allemands enfoncèrent les maisons, pillèrent tous les objets qu’on n’avait pu emporter, et se servirent, pour alimenter le feu, des meubles, des portes et des fenêtres. Les caves et les jarreries étaient livrées à la discrétion du soldat.

Ils ne se contentaient pas de piller. Ils imposaient partout de lourdes contributions, ne quittant un canton que lorsqu’il était entièrement épuisé. A Grasse, on répondit aux notables qui se permettaient quelques réclamations : « Vous avez raison, sans doute, mais nous avons pour nous le droit canon. » De toutes les occupations étrangères que la ville de Cannes eut malheureusement à subir, l’occupation allemande fut, de beaucoup, la plus insupportable. Vint la Révolution. Cannes n’eut que peu à souffrir de la tourmente. Pas une goutte de sang n’y fut versée. Heureuse ville !

Boulevard de mer, d'après une photographie du début du XXe siècle

Boulevard de mer,
d’après une photographie du début du XXe siècle

Sous le Premier Empire, Cannes resta dans l’obscurité. Les sentiments royalistes de sa population ne lui permettaient guère d’espérer la bienveillance du pouvoir central. Pendant la première restauration ces sentiments se firent jour, mais l’essor en fut tout à coup arrêté. Le 1er mars 1815, Napoléon débarquait au golfe Juan et passait la nuit à Cannes. Ce séjour donna lieu à un incident qui, s’il avait abouti, aurait bien changé la face des choses. Un Cannois tenta d’assassiner Napoléon. Il s’était glissé derrière un mur et essayait de viser l’Empereur avec une carabine. On le désarma.

L’accueil fait à Napoléon avait été plus que froid. La Restauration s’en souvint et sa bienveillance fut acquise à la petite bourgade. Une bienveillance qui, conjuguée à l’impulsion donnée par Lord Brougham, conféra à Cannes sa prospérité et lui permit de s’agrandir.

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