LA FRANCE PITTORESQUE
28 février 1760 : mort du corsaire
bourguignon François Thurot
(D’après « Biographie universelle ancienne
et moderne » (Tome 19), édition de 1843)
Publié le vendredi 28 février 2020, par Redaction
Imprimer cet article
Luttant à forces inégales contre des vaisseaux de guerre, enlevant des convois marchands et devenant la terreur des Anglais, remarqué autant par sa valeur durant le combat que par sa générosité après la victoire, Thurot sut fixer l’attention du gouvernement de Louis XV
 

Capitaine de corsaires, François Thurot naquit le 21 juillet 1727 à Nuits, en Bourgogne. Son père, qui le destinait à la chirurgie, le plaça de bonne heure chez les jésuites à Dijon. Sorti de ce collège à l’âge de 16 ans pour entrer chez un chirurgien, il y passa deux années pendant lesquelles il étudia l‘art de guérir ; mais se sentant une vocation secrète pour la marine, il quitta Dijon furtivement, et se dirigea sur Dunkerque où il s’embarqua sur un corsaire comme chirurgien.

Sa première expédition ne fut point heureuse : le bâtiment qu‘il montait ayant été attaqué et pris, Thurot resta prisonnier. Étant parvenu à s‘évader, il revint à Dunkerque ; tout autre se serait dégoûté d‘un métier commencé sous des auspices aussi défavorables ; mais doué d‘une volonté ferme et d’un caractère ardent, il résolut de poursuivre sa carrière. Abandonnant la chirurgie, il s‘enrôla comme matelot. Après diverses courses en cette qualité, il devint pilote, et enfin capitaine. Les armateurs de Dunkerque n‘hésitèrent point à lui confier leurs corsaires, et il justifia cette confiance en les enrichissant par les nombreuses prises qu‘il fit sur les Anglais, et souvent après des combats sanglants. La paix, qui fut signée en 1748, vint mettre un terme à ses courses.

François Thurot

François Thurot

Ne pouvant plus commander de corsaires, il entra dans la marine du commerce, et fit, en qualité de capitaine, divers voyages très fructueux. Enfin, il se vit en état d‘acheter un bâtiment, de l’armer pour son compte, et cette opération lui procura des bénéfices considérables. Lorsque la guerre éclata de nouveau, en 1755, les armateurs le sollicitèrent de recommencer ses courses ; il se rendit à leurs instances, arma plusieurs corsaires, dont il prit le commandement, et en moins de six mois ruina le commerce anglais dans les mers du Nord.

Le bruit de la valeur et des exploits du capitaine Thurot étant parvenu à la cour, on lui offrit d‘entrer dans la marine royale. Séduit par la perspective de gloire qu’il entrevoyait, il accepta et se voua dès lors tout entier au service du roi. On lui confia le commandement de la corvette la Friponne, avec la mission de croiser dans la Manche. Pendant la campagne qu’il fit sur ce bâtiment, il se distingua dans plusieurs combats, et prit environ 60 navires du commerce.

Le maréchal de Belle-isle, qui avait apprécié ses talents, lui fit donner le commandement d’une division composée de deux frégates et de deux corvettes. Le but de cet armement était surtout d’intercepter un convoi chargé de pelleteries, venant d’Archangel, et qu‘on savait devoir relâcher aux Orcades. Thurot appareilla de Saint-Malo le 12 juillet 1757, et alla mouiller d’abord sur le Vieux-Banc. Il y était depuis quelques jours, lorsqu‘il s’empara du Rotterdam, qui venait de Saint-Christophe, chargé de sucre et de café. Le 24, une frégate anglaise se trouvant dans ses eaux, il l‘attaqua : le combat dura près de trois heures, et cette frégate fut si maltraitée qu‘elle fut obligée de relâcher à Plymouth, coulant bas d‘eau.

Thurot fit ensuite diverses prises ; mais ayant éprouvé une série de mauvais temps et de contrariétés de vents, il fut contraint de relâcher à Gothenbourg pour y réparer ses bâtiments. Sorti de ce port le 11 mai 1758, il se rendit sur la côte d‘Angleterre, où il s‘empara de six gros bâtiments chargés de charbon de terre. Il était le 26 à la hauteur d‘Édimbourg, lorsqu’il eut connaissance de quatre voiles. Croyant que c‘étaient des bâtiments marchands, il leur donna la chasse ; mais en les approchant, il s‘aperçut qu’ils étaient armés. Deux d’entre eux étaient des frégates supérieures à la sienne ; mais il n‘était pas homme à reculer : il met en panne et attend les Anglais qui avaient reviré sur lui.

Le combat fut long et opiniâtre, et la valeur égale de part et d‘autre. Le capitaine Craig, qui commandait le Solebay reçut, à la gorge, une blessure dangereuse, et le feu s’étant manifesté à bord de la frégate, il fut obligé de cesser le combat. Le Dauphin tint encore une demi-heure ; mais son capitaine ayant été tué, et la frégate étant entièrement désemparée, elle prit le large ; et Thurot, qui s‘était couvert de gloire, demeura vainqueur. Le Belle-lsle, qu’il montait, ayant besoin de réparations, il se rendit à Christiansand en Norvège, emmenant avec lui 13 navires marchands, qu‘il avait capturés.

Ses avaries réparées, il appareilla le 12 juillet. Le même jour, au soir, il découvrit environ vingt bâtiments ; il les observa toute la nuit, et au jour, il reconnut que c‘étaient des pinques armées en guerre et marchandises. Fiers de la supériorité du nombre, ces bâtiments manœuvrèrent pour entourer la frégate de Thurot, et firent pleuvoir sur elle une grêle de boulets et de mitraille. Celui-ci, que le nombre de ses ennemis n’intimidait jamais, leur riposta vivement, et son feu fut tellement bien dirigé, qu‘en moins de deux heures, il parvint à les mettre en déroute, et même à s’emparer de deux de ces pinques, qu’il conduisit à Christiansand, où il séjourna quelque temps pour vendre ses prises et laisser reposer ses équipages.

Pendant cette relâche, il apprit que le ministère britannique avait fait sortir plusieurs vaisseaux et frégates chargés spécialement de se mettre à sa poursuite, et de s‘emparer de lui. Cette nouvelle hâta son départ : il appareilla le 1er septembre ; le lendemain, il captura près d‘lsla (côtes d‘Écosse) un brick de 18 canons, et peu d‘heures après deux gros bâtiments qui sortaient du canal Saint-George.

Thurot fit encore diverses prises, et enfin, après avoir balayé la mer du Nord, et causé un tort immense au commerce anglais, il rentra dans le port de Dunkerque, le 3 décembre1758, épuisé de fatigues, mais couvert de gloire. Appelé à Versailles, il y reçut l’accueil le plus honorable : il n’était bruit que de ses exploits, et tout le monde voulait voir ce capitaine Thurot si redoutable aux Anglais. Consulté par le ministère sur les moyens de nuire le plus efficacement à l’Angleterre, il proposa de faire une descente sur ses côtes et démontra si clairement la possibilité du succès, qu’il parvint à faire adopter son projet. Le ministre de la marine Berryer en parla au roi, avec intérêt, et le monarque y donna son assentiment.

Défaite de François Thurot en février 1760

Défaite de François Thurot en février 1760

En conséquence, on ordonna l’armement, à Dunkerque, de cinq frégates et une corvette, dont Thurot devait prendre le commandement. On embarqua sur cette escadre un corps de 1 500 hommes choisis dans différents régiments, et qui furent mis sous les ordres de Flobert, brigadier d‘infanterie. Le 15 octobre 1759, Thurot appareilla de Dunkerque, et alla mouiller le soir même dans le port d’Ostende. Le lendemain il en sortit à la faveur d‘une brume épaisse qui le déroba à la croisière anglaise, se dirigea sur les côtes de la Hollande et du Jutland, et entra dans le Catégat.

Un coup de vent violent, qu‘il éprouva vers les premiers jours de décembre, le sépara de trois de ses bâtiments, et son escadre se trouvait ainsi réduite de moitié, lorsqu’il arriva, le 10 janvier suivant, dans la baie de Carrick-Fergus. Il débarqua immédiatement ses troupes, réduites alors à environ 1 000 hommes, et la place fut investie. Après un siège de quelques jours, elle se rendit, et la garnison, prisonnière de guerre, fut embarquée sur les frégates.

Thurot, privé de trois de ses bâtiments, ne put se livrer à d’autres entreprises ; il rembarqua ses troupes, et appareilla pour revenir en France. Un autre coup de vent le sépara de deux de ses bâtiments. Rencontré, près de l’île de Mars, par trois frégates anglaises, il ne put leur échapper malgré l‘habileté de ses manœuvres. Le combat qui s‘engagea fut très meurtrier ; Thurot se battit en désespéré ; mais atteint, vers le milieu de l’action, d‘une balle de pierrier qui le frappa dans le creux de l‘estomac, il expira le 28 février 1760.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE