LA FRANCE PITTORESQUE
25 février 1656 : mort de la mystique
Marie des Vallées
(D’après « Saint Jean Eudes, missionnaire apostolique » paru en 1936
et « Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie », paru en 2007)
Publié le lundi 25 février 2019, par Redaction
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Considérée par certains comme une sorcière, par d’autres comme une sainte bien que jamais officiellement canonisée, Marie des Vallées, née d’une famille de paysans pauvres, se donna à Dieu afin de « souffrir les peines de l’Enfer »
 

Rien de triste et de sombre comme le milieu familial dans lequel naquit et grandit Marie, qui vit le jour le 15 février 1590 à Saint-Sauveur-Lendelin, près de Coutances (Basse-Normandie). « Son père était un pauvre laboureur de la même paroisse, nommé Julien des Vallées, et sa mère, Jacqueline Germain, était de la paroisse de Catz, proche Carentan. Elle n’a eu aucune instruction au lieu de sa naissance, ni de la part de ses parents, qui n’étaient pas méchants, mais fort ignorants, ni de la part d’aucune autre personne. Car ceux qui, par leur condition, étaient obligés de travailler au salut des âmes de cette paroisse, faisaient profession de les perdre, ou étaient en réputation de la plus haute malice et impiété qui puisse être. À raison de quoi, l’ignorance des choses du salut et les plus horribles vices y régnaient au dernier point. » (Manuscrit de Québec, livre I, chapitre 1, article 1).

Ainsi, Marie est issue de la noblesse ruinée par la conjonction des fléaux de l’époque (guerres, famines, épidémies), et est la troisième enfant du couple, précédée de Guillemette et de Nicolas. Sa famille, bien que croyante, n’est guère pratiquante. Dès l’âge de deux ans, elle a une vision de « la Grâce divine » sous les traits d’une « belle princesse la tenant par la main » (Manuscrit de Québec, ch. 1). Marie est préparée à la première communion par un cordelier qui pourrait être Benoît de Canfeld. Le fait qu’elle privilégiera la spiritualité de ce maître rend plausible cette hypothèse (père Lelièvre).

Marie des Vallées, d'après un portrait réalisé par Philippe de Champaigne

Marie des Vallées, d’après un portrait réalisé par Philippe de Champaigne

Marie reçoit très tôt le sacrement de confirmation et, de ce jour, se livre sans retour à la volonté divine. C’est en empruntant les mots de la prière du père Cotton, jésuite de la Cour, qu’elle exprime ce don d’elle-même. Son existence est un tissu d’épreuves, une trame de douleurs, greffées intimement à celles du Christ. Elle vit la privation dès l’âge de huit ans, due à la misère des temps, mais elle porte de surcroît la détresse spirituelle des siens. Le 26 août 1604, son père meurt, suivi de peu par son frère Nicolas. Marie et sa mère se retrouvent seules, Guillemette étant morte quelques années auparavant. Sa mère se remarie le 1er mai 1605, avec un homme « barbare, cruel et furieux » (Manuscrit de Québec, livre I, chapitre 1, article 7) du nom de Gilles Capolain, boucher de profession, entre les mains de qui la petite orpheline devient bientôt un vrai souffre-douleur. Marie désapprouve cette union.

Sa position n’est rapidement plus tenable ; et, pour échapper aux mauvais traitements dont son indigne beau-père l’accable, elle quitte en 1606 et sur les conseils de sa mère la demeure familiale, puis entre au service d’un gentilhomme de Saint-Pellerin et de son épouse. Le couple vit dans la débauche. Nouvelle épreuve pour Marie qui les quitte pour se réfugier chez son oncle, Yves de Beuvry, et son épouse, Jacqueline des Vallées. Elle y est reçue avec affection, mais ses cousins lui sont hostiles et finissent par l’inciter à quitter la maison.

Elle travaille alors chez des journaliers agricoles. Ces gens sont pauvres, et la femme, pour pallier leur indigence, participe à des « parties » avec le châtelain des environs. Marie réussit à la convaincre de renoncer à ces pratiques, et l’épouse se convertit. Entre-temps, Marie est rappelée par Yves de Beuvry et retourne finalement au foyer de sa tante.

En 1609, elle est victime d’un « charme jeté sur elle par un prétendant éconduit ». Elle est saisie de douleurs fulgurantes et victime de convulsions violentes. Durant trois ans (de dix-neuf à vingt-deux ans), elle souffre de douleurs physiques et mentales intolérables. Elle est ensuite victime « d’un second charme lancé sur elle par un sorcier des environs ». L’évêque de Coutances, Mgr de Briroy, tente des exorcismes, sans résultat. L’enquête menée ne révèle rien. Les exorcismes pratiqués par d’autres ecclésiastiques n’ont pas plus d’effet.

En 1612, Mgr de Briroy prend Marie sous sa protection et « envoie des hommes intelligents dans la paroisse pour y faire information de sa vie et de celle de ses parents, afin de connaître si eux ou elle n’avaient pas donné sujet à l’esprit malain de la posséder, soit en la lui donnant par quelque colère, soit en commettant quelque autre faute, en punition de laquelle Dieu aurait permis et ordonné cette affliction, tant sur la fille que sur le père et la mère.

« Mais, après un soigneux examen, on ne peut rien trouver de semblable. On continue donc à l’exorciser. On connaît de plus en plus qu’elle est possédée. Ce qui a été confirmé depuis en diverses occasions, spécialement lorsqu’elle était à Rouen, en 1614, là où elle fut exorcisée en grec et en hébreu, tant par Mgr l’archevêque de Rouen que par plusieurs grands docteurs qui, tous, ont affirmé que la possession était véritable » (Manuscrit de Québec, livre I, chapitre 2). En effet, Marie est menée au parlement de Rouen pour répondre de l’accusation de sorcellerie portée contre elle. Elle y souffre de cruels traitements de la part des geôliers et des prisonniers, mais elle y connaît une extase de huit jours, qui plonge les témoins de la scène dans la stupéfaction. Après examen, Marie sort du tribunal lavée de tout soupçon de sorcellerie, reconnue innocente et réellement possédée.

Elle est accueillie à Coutances à la mi-décembre 1614, dans un climat de liesse. Elle regagne l’évêché où elle est l’objet de protections particulières. Le père Le Rouge, à la réputation d’ascète, assure désormais sa direction spirituelle. Marie s’offrit « à souffrir mille enfers s’il le faut » pour sauver sorciers et magiciens. Le Christ lui révèle : « Vous êtes ma Croix sur laquelle Je souffre... » (Manuscrit de la Bibliothèque nationale 11949, moine de Barbery).

Devant le saint sacrement, Marie reçoit la « vision de la Divine Volonté », à qui elle renouvelle sa donation. Elle est alors prévenue qu’elle pourrait avoir à renoncer à la liberté de communier : elle accepte. Elle sera privée de communion pendant trente-trois ans.

Le 4 juillet 1617, elle supplie saint Martin d’intercéder auprès de Dieu pour que lui soient accordées les « peines de l’enfer ». Elle reçoit la vision de « la beauté des âmes sorties des mains du Créateur ». Elle sent la « séparation de son âme et de son corps s’opérer en elle ». Le 27 novembre 1617, puis les deux jours suivants, elle « voit l’enfer ». Elle se croit réellement morte et damnée. De 1618 à 1621, Dieu atténue ses tourments. Elle reçoit « l’annonce de la conversion générale ». Un « carreau [flèche] de foudre lui transperce le cœur ».

À la mi-carême 1621, elle a une vision du Père qui lui « offre une coupe de soufre et de feu parallèlement à celle du Fils entouré de consolation ». À l’exhortation de la Vierge, elle fait le pèlerinage à l’église de Saint-Sauveur-Lendelin. À la fin de 1621, elle reçoit les stigmates. Ceux-ci restent visibles jusqu’en juillet 1634, selon saint Jean Eudes.

En 1648, la Vierge lui annonce « qu’elle lui a planté un couteau dans le cœur, renouvellement de la douleur de la Passion ». Le 8 février 1652, c’est « l’échange des Cœurs » : « Voilà votre cœur. C’est celui de ma Mère, mais c’est le vôtre aussi, car enfin, Moi, ma Mère et vous, nous n’en avons qu’un que voilà ! » (Manuscrit 11949, moine de Barbery). Le 8 avril 1654, les « démons la poignardent en présence de la Vierge Marie en paiement de la rançon pour les péchés du monde [...] », puis « la Vierge lui enlève avec une extrême douceur le carreau de foudre fiché dans son cœur ».

Le 25 mars 1654, une « voix céleste » lui annonce la fin prochaine de sa passion. Le 21 septembre suivant, elle a une vision de la nature humaine déchue représentée sous la forme « d’une créature monstrueuse ». Huit jours avant sa mort, elle ne disait plus que ces trois monosyllables : « Je m’en vais, je m’en vais. » Elle les répétait presque continuellement. « Où donc allez-vous ? » lui demanda quelqu’un. Et la Sœur Marie de répondre : « Je m’en vais en ma maison ; il y a gloire et délices en ma maison. »

Le jeudi 24 février 1656, elle fut prise de la maladie qui conduisit son corps au tombeau et ne dura que vingt-quatre heures. Ce fut une espèce de léthargie accompagnée de fièvre modérée ; ce qui ne lui ôta nullement l’usage de son esprit et de ses sens, car elle en eut toujours l’usage parfait depuis qu’elle fut revenue de son état d’enfance, c’est-à-dire dix-huit mois avant sa mort. Aussi répondit-elle, toujours fort à propos, oui ou non, à tout ce qu’on lui demanda.

Sur le soir de ce jeudi 24, le Père Eudes, voyant qu’elle ne pouvait communiquer à cause de sa léthargie, lui demanda si elle désirait qu’on lui donnât l’extrême-onction. « Oui », dit-elle. Son directeur se mit aussitôt à lui administrer ce sacrement. « Toute la nuit du jeudi et la matinée du vendredi se passèrent ainsi dans une continuelle agonie. A une heure du matin, le Père Eudes, voyant la mort approcher, se ressouvint que la Soeur Marie lui avait dit autrefois que, s’il ne lui eût resté qu’une demi-heure à vivre, elle l’eût employée à dire son Rosaire. Il en informa tous les assistants, qui commencèrent aussitôt à le réciter à l’intention et au nom de la malade. »

Marie des Vallées s’éteignit le 25 février 1656, à douze heures quinze, « après quarante-sept ans de souffrances inexplicables » (Manuscrit 11944, moine de Barbery). La spiritualité de Marie est essentiellement christocentrique et mariale. Ses deux principales dévotions sont le rosaire et le psautier. Marie sait que le chemin le plus direct vers le Christ passe par sa Mère. Elle est dotée d’une intelligence claire, profonde, juste et subtile. Elle possède une connaissance saisissante de l’âme humaine et discerne les consciences. Son esprit est aussi profond que son cœur, ce qui explique cette extraordinaire capacité d’accueil intérieur, d’amour et de souffrance.

Ses rares biographes soulignent, outre l’extrême pénétration et la justesse de son jugement, sa capacité rare à résoudre les conflits entre les personnes. Ils soulignent également sa douceur et sa patience héroïque dans les situations intolérables. Bien que quasiment illettrée, elle comprend le latin qu’elle apprend de manière intuitive à force de compulser son psautier. Elle parvient même à lire les ouvrages de Benoît de Canfeld. Elle connaît les saintes mystiques et parle d’elles comme d’amies et d’interlocutrices.

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