LA FRANCE PITTORESQUE
30 décembre 1880 : mort d’Achille
Guénée, entomologiste spécialiste
des papillons
(D’après « Annales de la Société entomologique de France », paru en 1881)
Publié le vendredi 16 décembre 2016, par Redaction
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Aussi consciencieux qu’érudit, considéré comme le premier des entomologistes français de son temps, Achille Guénée, qui dans sa jeunesse se livrait avec passion à la chasse des insectes, mit dans l’étude des papillons tout ce que la nature lui avait donné d’ardeur et de talent
 

Né à Chartres le 1er janvier 1809, Achille Guénée fut élevé au collège de cette même ville, où il fit de brillantes études. Doué d’aptitudes heureuses, d’une admirable facilité, il réussit dans tous les sujets qu’il étudia ; entraîné par son ardeur de savoir, il se procura une instruction solide, aussi variée qu’étendue et que révèle presque à chaque page la lecture des ouvrages qu’il publia par la suite.

Déjà à cette époque de sa vie, il montra un goût prononcé pour l’histoire naturelle, choisissant de préférence l’étude des insectes, et parmi ceux-ci recherchant surtout les lépidoptères, ordre d’insectes dont la forme adulte est communément appelée papillon. Il est certain que son ami François de Villiers (1790-1847) le conseilla et détermina son choix, car Guenée fut exclusivement lépidoptériste.

Une fois ses études terminées, il vint à Paris faire son droit, mais sans oublier ses études favorites, et obtint le titre d’avocat qu’il se plut toujours à porter. Marié en 1833, il quitta Paris pour Châteaudun, où il résida jusqu’en 1846. A cette époque il revint à Paris pour diriger l’éducation de son fils, mais « un coup cent fois plus cruel » que toutes les afflictions dont la vie est semée, le frappa à l’improviste : il perdit ce fils qui lui donnait les plus douces espérances, et, accablé de ce revers funeste, quitta définitivement Paris.

Retiré d’abord à Chartres, il se livra avec d’autant plus d’ardeur à l’entomologie et la chargea « d’adoucir les chagrins légitimes » dont il ressentait sans cesse l’amertume. C’est à ce moment qu’il choisit Châteaudun pour résidence, demeurant une partie de l’année aux Chatelliers, où il partageait son temps entre les occupations de la campagne, l’étude et la chasse. Deux filles vinrent, sinon lui faire oublier un premier et cruel chagrin, du moins mettre un peu de joie à son foyer ; il les laissa honorablement mariées, et c’est entouré de leur affection et de celle de leur mère qu’il s’éteignit à 71 ans.

Photo extraite du Recueil des portraits de membres de la Société entomologique de France, 1855-1885

Photo extraite du Recueil des portraits de membres de
la Société entomologique de France
, 1855-1885

Nous avons dit que Guénée était admirablement doué : une intelligence très souple, concevant rapidement et sans efforts, une imagination vive et riche lui auraient assuré des succès solides en littérature. Il fit insérer une pièce de ses vers dans le Glaneur en 1829, pièce qui, outre la facilité de la versification, offre des pensées élevées et purement exprimées. Dans une autre pièce, il répond à un de ses amis, amant passionné des Muses, et il le fait avec une verve charmante. Citons à ce titre deux strophes qui contiennent une appréciation originale et un peu ironique des travaux du classificateur. Son ami l’avait salué roi des Lépidoptères :

Nos couronnes, à nous, les crois-tu plus réelles ?
Non ! ces belles tribus que nous disciplinons
Grossissent tous les ans ; mille formes nouvelles
Se glissent dans leurs rangs et brisent leurs chaînons.

La tribu trop gonflée éclate en vingt décades ;
Telle autre, en s’annexant un genre déclassé,
Forme, avec des débris, de nouvelles peuplades ;
Tous nos plans sont rompus ; notre règne est passé.

Guénée aurait pu être écrivain, poète, littérateur enfin, et nul doute qu’il eût conquis par ses qualités brillantes une place honorable et distinguée ; il préféra être entomologiste ; il mit dès lors au service de la science qu’il avait choisie tout ce que la nature lui avait donné d’ardeur et de talent. Il laissa la réputation d’un savant de premier ordre, aussi consciencieux qu’érudit. Il ne cessa jamais de faire des recherches et d’entreprendre des travaux importants sur tout l’ordre des lépidoptères ; il fut un des rares entomologistes qui n’eurent pas de ces prédilections singulières et si fréquentes qui condamnent et rejettent telle ou telle famille. Diurnes, nocturnes, microlépidoptères, il a tout abordé, et s’il écrivit moins sur une partie, ce n’est pas tant à son indifférence qu’il le faut attribuer qu’à des obstacles insurmontables à son époque et à des ménagements pour ses collaborateurs.

Guénée, dans sa jeunesse, se livrait avec passion à la chasse des insectes ; les recherches actives avaient pour lui un attrait suprême. Il visita en détail les environs de Chartres et surtout de Châteaudun. A Paris, c’est lui qui signala les deux localités d’Herblay et du bois Jacques, qui changèrent tant depuis. Le même goût lui fit entreprendre plusieurs voyages lointains : il vit les Pyrénées, le midi de la France, les Alpes. Plusieurs de ses collègues de la Société entomologique de France qui l’eurent pour compagnon, pouvaient témoigner de sa bonne humeur, son entrain et l’égalité de son caractère.

En 1870 il était en Suisse au moment où les plus grands désastres accablaient notre patrie ; son âge l’éloignait des émotions terribles de la guerre ; le pays qu’il habitait, et surtout Châteaudun, essayèrent une lutte inégale : une poignée d’hommes déterminés, soutenus par les habitants, bravèrent le torrent dévastateur, le courage personnel d’un si petit nombre de défenseurs arrêtant et faisant reculer une division prussienne appuyée de son artillerie. Les vainqueurs brûlèrent une partie de la ville après le combat, pour donner sans doute à la postérité une de ces leçons d’éternel souvenir que le génie et la supériorité intellectuelle sont seuls capables d’appliquer. Guénée retrouva, non sans étonnement, sa collection intacte ; il fut peut-être moins surpris de trouver la plus grande partie de ses boîtes numérotées et dans un certain désordre, comme si un départ précipité avait arrêté un emballage, autorisé par la force qui, comme on sait maintenant, prime le droit.

Guénée était d’une complaisance sans bornes ; nul ne s’adressait à lui sans obtenir les renseignements qu’il demandait ; il ne ménageait point sa peine et s’empressait de répondre à ses correspondants des lettres dont il n’hésitait jamais à couvrir les quatre pages d’une écriture fine et serrée.

La réputation que l’entomologiste s’était acquise était peut-être plus grande à l’étranger que dans sa patrie ; il est certain que ses travaux furent plus suivis en Angleterre qu’en France. En Allemagne, Guénée était regardé comme le premier des entomologistes français.

Nous ne devons pas passer sous silence la manière dont il avait disposé sa collection et réglé ses études. Celle-ci était rangée dans des boîtes de grandeurs diverses, vitrées et hermétiquement fermées. Les épingles, coupées très près du corps de l’insecte, permettaient de voir facilement sans être obligé d’ouvrir les boîtes. Cette méthode, qui n’est pas sans inconvénient, assurait à la collection une conservation indéfinie. Chaque boîte portait un numéro d’ordre et les noms de genre inscrits sur un des flancs, le dessous était recouvert d’une feuille de papier blanc où étaient écrits les noms des espèces, juste au revers de la place qu’elles occupaient à l’intérieur ; la synonymie, de nombreuses remarques accompagnaient chaque nom et donnaient à la collection une valeur exceptionnelle ; c’était un monument aussi impérissable que peut l’être une œuvre humaine. Un des premiers, Guénée s’occupa des lépidoptères à l’état de chenille ; il attachait une grande importance aux détails biologiques et les faisait servir à caractériser les genres.

C’est vers le milieu de sa carrière qu’il commença son grand ouvrage sur les noctuélites, ouvrage en trois volumes, qui furent bientôt suivis de trois autres comprenant les phalénites et les deltoïdes. Le travail qu’ont dû coûter ces volumes si compactes est immense. Tout y a été étudié, examiné, et l’auteur pouvait dire hardiment qu’il devait bien peu à ses devanciers : il examina, médita les descriptions, même les plus insuffisantes, comme celles de Fabricius ; il joignit à son ardeur pour le travail, une persévérance singulière, une perspicacité qui a produit l’ouvrage le plus solide qui existait alors sur les papillons nocturnes.

Guénée obtint tous les honneurs que peut donner la Société entomologique de France : reçu membre en 1832, peu de mois après la fondation de l’association, il présida ses assemblées en 1848 et en fut nommé membre honoraire en 1874. Il reçut en outre du ministre de l’Instruction publique la distinction d’officier d’Académie.

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