LA FRANCE PITTORESQUE
24 décembre 1868 : mort du paléontologue
Adolphe d’Archiac
(D’après « Les ancêtres de nos animaux
dans les temps géologiques », paru en 1888)
Publié le mercredi 14 décembre 2016, par Redaction
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Après un début de carrière militaire, Adolphe d’Archiac se consacra à la géologie dès 1830, réalisa de nombreuses études stratigraphiques et paléontologiques et s’éleva contre le livre de Darwin sur l’Origine des espèces. Élu membre de l’Académie des sciences puis nommé titulaire de la chaire de paléontologie au Muséum, il se donna la mort le réveillon 1868, souffrant d’une dépression sévère.
 

Adolphe d’Archiac vint au monde à Reims le 24 septembre 1802, c’est-à-dire la même année que d’Orbigny, son prédécesseur dans la chaire du Muséum, et une année après la naissance de son successeur Lartet. Il fut élevé à Mesbrecourt, arrondissement de Laon ; sa préparation pour Saint-Cyr eut lieu à l’École des Pages de Versailles.

En sortant de Saint-Cyr, il entra dans la cavalerie. Pendant qu’il était au service, il fit un roman historique en trois volumes, intitulé : Zizim et les Chevaliers de Rhodes. Si ce n’est pas sa meilleure oeuvre, la sagesse de sa préface montra qu’il saurait trouver sa véritable voie : « Mon inexpérience, disait-il, a pu m’égarer dans une route que je parcours pour la première fois ; je m’en rapporterai avec confiance au jugement du public pour arrêter définitivement le mien. » Après la révolution de 1830, l’auteur de Zizim, lieutenant dans un régiment de chasseurs, quitta le service militaire. Depuis ce moment, il se livra tout entier à la géologie.

Adolphe d'Archiac

Adolphe d’Archiac

D’Archiac conserva de son premier genre de vie une habitude de précision qui donna à tous ses ouvrages un cachet vraiment remarquable. La science lui doit plusieurs importantes monographies, par exemple : les observations sur le groupe moyen de la formation crétacée ; la description géologique du département de l’Aisne ; les études sur la formation crétacée des versants sud-ouest, nord et nord-ouest du plateau central de la France ; la description des fossiles nummulitiques de Bayonne et de Dax et celle des fossiles crétacés du Tourtia de Belgique, les études géologiques sur les Corbières. En collaboration avec de Verneuil, il décrivit de nombreux fossiles dévoniens de la Prusse et de l’Espagne ; avec Jules Haime, il composa un ouvrage sur les fossiles nummulitiques de l’Inde. Avec de Verneuil et Fischer, il fit connaître les fossiles d’Asie Mineure rapportés par de Tchihatcheff ; et pendant les jours qui précédèrent sa mort, il étudiait les fossiles d’Egypte qu’un habile géologue, Delanoue, avait donnés au Muséum.

Si considérables qu’aient été ces divers travaux, les recherches qui firent surtout la réputation de d’Archiac sont ses recherches d’érudition. Tous les géologues ont lu son Histoire de la paléontologie stratigraphique et son Histoire des progrès de la géologie, ouvrage en huit volumes édité par la Société géologique de France. Si l’on veut apprendre pourquoi il a cru devoir consacrer une partie de sa vie à analyser les travaux de ses prédécesseurs et de ses contemporains, il faut lire l’introduction d’un livre qu’il publia en 1866, sous le titre de Géologie et Paléontologie : « La science, dit-il, est comme un fleuve, on ne la connaît bien qu’en remontant jusqu’à sa source. Omettre le tableau des spéculations et des recherches positives qui ont précédé celles de notre temps, ne pas indiquer les différentes voies parcourues ou tentées avant qu’on ait su découvrir la vraie, ce serait renoncer à avoir une juste idée de la science, et manquer du sentiment d’équité que nos devanciers ont droit d’attendre de ceux auxquels ils ont préparé la route. »

Les ouvrages de d’Archiac montrent d’une manière frappante les progrès de la géologie et de la paléontologie au milieu du XIXe siècle. Ils rendirent service aux savants français en leur faisant connaître les travaux qui étaient publiés à l’étranger.

De tous les services que d’Archiac rendit à la géologie, le plus important, peut-être, fut de mettre en relief la multiplicité des étages ou sous-étages paléontologiques. Il s’attacha à prouver qu’il n’y a pas eu un certain nombre d’époques bien séparées les unes des autres, mais qu’il y a eu une multitude de changements, correspondant à autant de petites couches ou de faunules, et que ces faunules se sont reliées par quelques espèces communes. C’est surtout dans son cours du Muséum qu’il développa cette manière de voir ; il passa successivement en revue la paléontologie des différents pays, donnant la liste des fossiles de chaque couche, notant avec soin les espèces spéciales et celles qui se sont continuées d’une assise à une autre.

La conviction que les êtres ont beaucoup varié suivant les régions porta d’Archiac à bien accueillir les idées de Pictet sur les lents déplacements des Mollusques dans les mers crétacées. S’il hésita à reconnaître la théorie des colonies de Barrande, c’est parce qu’elle suppose plusieurs espèces revenant après un très long espace de temps dans un pays, sans qu’aucune d’elles ait subi le moindre changement. Or, pour d’Archiac, chaque époque a eu sa physionomie propre. Il a ainsi écrit : « Les formes qui ont une fois disparu ne se montrent plus ; leur rôle est accompli ; elles font place à d’autres qui disparaissent à leur tour ; et, si Linné a dit avec raison : Natura non facit saltus, on peut dire également : Non retroit natura. »

Les ouvrages de d’Archiac renferment plus d’un passage qui révèle des tendances vers la doctrine de l’évolution. En 1833, il écrivait : « Au fur et à mesure qu’on s’élève dans les différents étages d’une formation, on remarque que les fossiles présentent des modifications graduelles et continues, telles que par leur faciès ou l’ensemble de leurs caractères les animaux de ces derniers dépôts sont plus voisins de ceux de la formation qui leur a succédé immédiatement, que de ceux des premières couches de la formation à laquelle ils appartiennent. » En 1866, il disait : « Le présent de la terre n’est que la conséquence de son passé, et cela aussi bien pour le règne organique que pour le règne inorganique. Les animaux et les végétaux qui nous entourent et au milieu desquels nous vivons, ne sont que les descendants qu les représentants de ceux qui les ont précédés. Les formes vivantes, comme celles qui sont éteintes, font partie d’une chaîne continue... »

Cependant d’Archiac s’éleva avec énergie contre le livre de Darwin sur l’Origine des espèces ; il consacra cinquante pages à réfuter non pas seulement le darwinisme, mais en même temps la doctrine de l’évolution, et il mit dans son attaque une vivacité qui n’était pas dans ses habitudes. D’Archiac ne croyait pas que la doctrine de l’évolution est loin d’entraîner l’exclusion d’un Etre infini qui a créé et dirige la nature. Il a écrit ces mots : « Les tristes impressions du fatalisme règnent d’un bout à l’autre dans le livre de Darwin. »

D’Archiac fut nommé chevalier de la Légion d’honneur à cinquante et un ans ; quatre ans après, il était membre de l’Académie des sciences ; en 1861, il devenait professeur de paléontologie au Muséum d’histoire naturelle et il recevait la croix d’officier.

Souffrant d’une dépression sévère, il se suicida le réveillon de Noël 1868 en se jetant dans la Seine, après avoir démissionné de l’Académie des sciences. On ne retrouva son cadavre, à Meulan, que le 30 mai 1869. D’Archiac compte parmi les hommes qui travaillèrent avec le plus d’ardeur et de talent à faire connaître l’histoire du vieux monde.

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