LA FRANCE PITTORESQUE
Suave, mari magno
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Publié le samedi 16 juillet 2016, par Redaction
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Il est doux, quand la mer est agitée... (LUCRÈCE, Poème de la Nature, liv. II, vers 1)
 
Suave mari magno, turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem,
Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas.
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est.

Quand l’Océan s’irrite, agité par l’orage,
Il est doux, sans péril, d’observer du rivage
Les efforts douloureux des tremblants matelots
Luttant contre la mort sur le gouffre des flots ;
Et quoique à la pitié leur destin nous invite,
On jouit en secret des malheurs qu’on évite.

(Traduction de M. DE PONGERVILLE)

Ce début donne lieu d’observer combien le poète sait fouiller au fond du cœur humain. Rien n’est plus naturel, même chez l’être le plus sensible, que de contempler avec avidité les grandes catastrophes ; non pas, comme le dit judicieusement Lucrèce, que les douleurs d’autrui fassent éprouver de la satisfaction, mais parce que On jouit en secret des malheurs qu’on évite.

Pendant les tristes journées de juin 1848, quand Paris retentissait du bruit de la fusillade et ressemblait à une ville prise d’assaut, un des hommes politiques d’alors était allé se placer à l’une des fenêtres les plus élevées qui dominent la rue et le faubourg Saint-Antoine : « J’étais allé là, dit-il depuis, pour jouir de la sublime horreur de la canonnade. »

« Jamais l’innocent et intime bien-être du soldat attrapant au vol quelques bons moments, au milieu de sa vie de fatigue et d’épreuves, n’a été peint d’une façon plus sympathique et plus charmante. C’est le célèbre passage de Lucrèce : Suave mari magno... dépouillé de son égoïsme païen et éclairé d’un rayon d’amour et de charité. » (DE PONTMARTIN)

« J’aime à voir s’amasser les nuages précurseurs d’une tempête et, pour emprunter votre langage, monsieur Oldbuck, suave mari magno, etc. Mais voici le chemin qui conduit à Fairport, et il faut que je vous quitte. » (Walter SCOTT, L’Antiquaire)

« De ses forêts d’orangers, l’île de Cuba a vu, sans en être ébranlée, la tempête éclater près d’elle, à Saint-Domingue, à la Nouvelle-Grenade, au Mexique, etc. Et si elle connaît les poètes latins, ce qui, en vérité, ne me semble nullement nécessaire à son bonheur, elle a pu, dans sa riante placidité, au milieu de l’agitation universelle, chanter avec joie le suave mari magno de Lucrèce. » (Xavier MARMIER)

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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