LA FRANCE PITTORESQUE
Champignons vénéneux :
comment les reconnaître ?
(D’après un article paru en 1865)
Publié le samedi 13 février 2010, par LA RÉDACTION
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Au mois d’octobre 1859, cinq officiers du 58e de ligne succombaient, victimes d’un empoisonnement causé par des champignons vénéneux que l’un d’eux avait cueillis dans une promenade. A la suite de ce douloureux événement, le conseil de santé des armées rédigea une instruction détaillée et mise à la portée de tout le monde, dans le but de préserver l’armée d’accidents semblables. Nous avons pensé qu’il serait utile d’extraire de cette instruction les principales règles pratiques qu’on doit suivre dans le choix des champignons comestibles.

CARACTÈRES DISTINCTIFS DES CHAMPIGNONS VÉNÉNEUX
ET DES CHAMPIGNONS COMESTIBLES

# Il ne faut pas accorder à ces caractères généraux plus de valeur qu’ils n’en méritent. Aucun d’eux, pris isolément, n’est absolu et ne permet de décider en toute sécurité si tel ou tel champignon est inoffensif ou s’il est dangereux. Mais ces mêmes caractères acquièrent une véritable importance quand on les considère dans leur ensemble.

 Les espèces vénéneuses se trouvent habituellement dans les bois et les lieux sombres et humides, tandis que les espèces comestibles croissent d’ordinaire dans les lieux élevés et aérés, dans les terrains en friche. Il y a cependant de nombreuses exceptions.

 Tout champignon dont la chair est molle et aqueuse doit être rejeté. La chair des champignons comestibles est compacte et cassante.

 Une odeur forte et désagréable est l’indice certain de qualités malfaisantes. Les bons champignons exhalent une odeur agréable ; mais ce caractère appartient aussi à quelques espèces nuisibles.

 Rejetez toujours les champignons qui sécrètent un suc laiteux et ceux dont la saveur est âcre, astringente, amère, acide ou salée.

 Méfiez-vous des champignons ornés de vives couleurs rouges, vertes ou bleues, et dont les lames sont colorées en brun ou en bleu. Exceptons cependant un beau champignon rouge, l’agaric orange, regardé comme la plus délicate des espèces comestibles.

 Les champignons dont la chair se colore par l’exposition à l’air doivent être regardés comme vénéneux. La chair des champignons comestibles reste blanche dans les mêmes circonstances.

 Quand les insectes ou autres animaux s’abstiennent de toucher à certains champignons, on doit faire de même, car l’instinct des animaux est un guide assez sûr. Cependant certains animaux se nourrissent impunément des champignons les plus vénéneux.

 En suivant strictement les règles précédentes, on peut être sûr de n’admettre aucune espèce dangereuse ; mais il peut arriver qu’on rejette certaines espèces comestibles, ce qui est sans inconvénient. Dans le doute abstiens-toi, telle est la meilleur règle à suivre à l’égard des champignons.

 Il faut absolument rejeter les épreuves suivantes, tout à fait dépourvues de certitude, quoiqu’on les ait trop souvent recommandées : Une pièce d’argent noircit au contact des champignons vénéneux. - Il en est de même des oignons blancs qu’on fait cuire avec ces champignons. Les mauvais champignons font tourner le lait. - Etc.

CARACTÈRES SPÉCIAUX PROPRES AUX ESPÈCES
COMESTIBLES LES PLUS COMMUNES

Il faut rejeter les champignons comestibles, quelle que soit d’ailleurs leur belle apparence, quand ils ont acquis tout leur développement et qu’ils commencent à s’altérer. Il faut également s’abstenir des champignons cueillis depuis plus de vingt-quatre heures. Il peut arriver, en effet, que des champignons comestibles deviennent vénéneux en vieillissant. Dans les grandes villes, on autorise seulement la vente des espèces qui ne peuvent donner lieu à aucune erreur ; cette vente est contrôlée par des agents spéciaux.

Nous décrirons avec détails chacune des trois espèces autorisées sur les marchés de Paris.

1 - Le champignon de couche (Agaricus edulis Bulliard), cultivé en grand dans les carrières des environs de Paris, où on le récolte toute l ’année, et qui suffit presque à la consommation tout entière de la capitale. A l’état sauvage, on le rencontre souvent dans les friches et même dans les terrains de toute espèce.

Une espèce dangereuse, l’amanite vénéneux ou agaric vénéneux, ressemble beaucoup au champignon de couche, surtout la variété blanche de cette espèce ; car il y en a deux autres variétés, une jaune et une verte, qui ne peuvent donner lieu à aucune méprise. Au contraire, c’est à l’agaric blanc vénéneux qu’on doit attribuer la plupart des empoisonnements par les champignons. Voici un comparatif des caractères de ces deux espèces :

 Agaric comestible :
Chapeau convexe, lisse, non visqueux, et se pelant facilement. La face inférieure du chapeau est garnie de lames rosées qui deviennent brunes en vieillissant. Le pédicule ou support du chapeau n’est pas entouré à la base par une bourse qu’on nomme volva. Odeur et saveur agréables. Croît à l’état sauvage dans les lieux secs et exposés au soleil (du moins en général).
 Agaric vénéneux :
Chapeau visqueux, souvent couvert de verrues. La peau adhère fortement à la chair. Lames toujours blanches. Ce caractère est constant et ne permet pas de confondre ces deux espèces. Le pédicule est entouré à la base par la volva. Odeur vireuse (odeur des végétaux vénéneux en général), saveur désagréable. Croît à l’état sauvage dans les bois humides.

En consultant seulement la couleur des lames, l’odeur et la saveur, on ne sera jamais exposé à confondre l’agaric comestible avec son redoutable homonyme.

2 - La morille comestible (Agaricus cantharillus L.), qu’on récolte dans les bois de juillet à août.
La forme générales des morilles de diverses espèces ne permet pas de les confondre avec les autres champignons. Et comme aucune espèce de morilles ne possède de propriété vénéneuses, il n’y a aucun inconvénient à confondre une espèce de morille avec une autre.

3 - Le bolet comestible.
La chair de ce champignon ne doit prendre aucune coloration par le contact de l’air. Ce caractère est très important ; pour le consulter avec certitude, il faut attendre quelques minutes et regarder constamment le champignon soumis à cet essai, car il arrive souvent que la coloration, qui s’était d’abord développée à l’air, disparaisse sans laisser de traces.

La saveur du bolet comestible n’est ni âcre, ni poivrée, comme celle des bolets vénéneux. Son odeur est agréable. Au lieux des lames qui recouvrent le dessous du chapeau des agarics, les bolets portent des espèces de tubes. Quand on épluche le bolet comestible, on doit toujours enlever ces tubes avec soin.

L’oronge comestible n’est pas admise sur les marchés de Paris, mais dans certains pays on en fait une très grande consommation. Il est vrai qu’on la confond souvent avec l’oronge vénéneuse, qui est un des champignons les plus redoutables. Voici un comparatif des caractères de ces deux espèces :

 Oronge comestible :
Chapeau rouge, lisse, strié sur les bords, sans verrues ni enduit visqueux. Les lames sont jaunes. Le pédicule (support du chapeau) est jaune, lisse, plein, et porte un anneau jaune renversé. Dans sa jeunesse, l’oronge comestible est complètement enveloppée dans une bourse ou volva blanche. Odeur et saveur agréables.
 Oronge vénéneuse :
Chapeau d’un beau rouge, un peu visqueux, non strié sur les bords, et ordinairement couvert de verrues blanches. Le pédicule est blanc, un peu écailleux, et porte un anneau blanc. La volva est incomplète. Saveur un peu astringente.

Ajoutons encore à la liste des champignons comestibles les mérulles chanterelles, champignons d’un jaune chamois, très communs dans la plupart de nos forêts et fort usités comme aliments dans certains cantons.

Pour cette espèce et pour d’autres espèces comestibles qui entrent régulièrement dans la consommation dans certains pays, on peut s’en rapporter à l’expérience des gens qui les récoltent habituellement.

PRÉPARATION DES CHAMPIGNONS
Si l’on conserve le plus léger doute sur la nature des champignons dont on veut faire usage, il faut les couper par tranches et les tremper pendant une heure ou deux avec de l’eau contenant trois cuillerées de vinaigre pour un litre d’eau. On lave ensuite les champignons à l’eau bouillante et on les apprête de diverses manières. Les espèces les plus vénéneuses, traitées comme nous venons de le dire, peuvent être mangées impunément. Ce fait a été prouvé par les expériences les plus positives.

Faisons seulement remarquer que les champignons ainsi épuisés par l’eau perdent nécessairement une partie de leur goût en même temps que leur propriété vénéneuse.

SYMPTÔMES DE L’EMPOISONNEMENT
PAR LES CHAMPIGNONS

Ce genre d’empoisonnement est d’autant plus redoutable qu’on ne commence à ressentir les effets que sept, huit et même dix heures après le repas, lorsque le travail de la digestion est terminé et que le poison a pu passer dans la circulation générale. Ainsi, un empoisonnement dû aux champignons peut provenir, non pas du dernier repas, mais de l’avant-dernier.

Le malade éprouve des vertiges, des nausées, des douleurs d’estomac et d’entrailles qui deviennent bientôt continues et prennent une extrême intensité. La soif est vive. Il y a souvent sueurs froides, convulsions, refroidissement des extrémités et même délire. La mort arrive ordinairement au bout de deux ou trois jours.

TRAITEMENT DE L’EMPOISONNEMENT
PAR LES CHAMPIGNONS

Le premier soin du médecin, quel que soit le moment auquel il est appelé, doit être de favoriser l’évacuation des champignons, à l’aide de l’émétique et d’un purgatif administrés en même temps.

Dans un demi litre d’eau chaude on dissout 25 centigrammes d’émétique et 20 grammes de sulfate de soude ou de magnésie ; puis on administre par portions cette solution tiède au malade, en même temps qu’on lui chatouille le fond de la gorge avec le doigt ou avec une barbé de plume, de manière à provoquer le vomissement.

Lorsqu’on soupçonne qu’une partie des champignons est arrivée dans les intestins, il faut, tout en continuant l’usage de la potion précédente, administrer des lavements purgatifs préparés avec le séné, le sulfate de soude et l’émétique.

L’expérience a démontré combien il est important de continuer longtemps l’emploi de ces moyens, et alors même qu’on pourrait croire les voies digestives entièrement débarrassées du poison.

En même temps que les vomitifs, mais surtout après qu’on a cessé leur action, on fait prendre au malade du lait, des blancs d’oeufs battus dans de l’eau ou mieux dans une boisson émolliente.

Après l’expulsion complète du poison, il convient d’employer les médicaments mucilagineux, adoucissants, les potions éthérées, les fomentations émollientes, les bains, et en général les moyens propres à calmer la douleur et à combattre l’inflammation.

Les révulsifs extérieurs, comme les sinapismes, les frictions stimulantes sur les membres et le tronc, etc., sont des moyens qu’on ne doit pas négliger tant que la réaction n’est pas opérée, et qu’il faut, au contraire, continuer avec énergie.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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