LA FRANCE PITTORESQUE
Arbre à pain (L’)
(D’après un article paru en 1833)
Publié le vendredi 15 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Les botanistes français placent cet arbre précieux dans le genre des jaquiers (artocarpi), arbres de la famille des figuiers, dont les feuilles sont simples, entières ou découpées, et les fleurs très petites, incomplètes, car les fleurs mâles n’ont point de corolles, et les autres manquent de calice. Toutes se développent sur le même arbre, vers l’extrémité des rameaux. Les espèces de ce genre, peu nombreuses, sont remarquables soit par leur organisation, soit par leurs propriétés.

Le jaquier à feuilles découpées est le véritable arbre à pain, végétal que les voyages dans l’Océanie ont rendu si célèbre, et qui a été l’objet d’expéditions destinées uniquement à faire l’acquisition de quelques pieds de cet arbre précieux pour en doter les colonies anglaises de l’ancien et du Nouveau-Monde. Si les premiers explorateurs avaient eu le soin de mettre quelques boutures dans des pots, de les transporter à bord de leurs vaisseaux, et de ne pas leur épargner les arrosements, ils auraient hâté de plusieurs années des jouissances que l’on n’a pu se procurer que beaucoup plus tard, et à grands frais. Bougainville eût pu le porter aux colonies françaises, et plus tard Cook aurait épargné à l’Angleterre l’expédition malheureuse du capitaine Bligh, narrée plus loin.

L'arbre à pain

L’arbre à pain

Cet arbre s’élève à une quarantaine de pieds, sur un tronc droit, de la grosseur du corps d’un homme ; la cime est ample, arrondie, couvrant de son ombre un espace d’environ trente pieds de diamètre. Le bois est jaunâtre, mou et léger. Les feuilles sont grandes, profondément incisées de chaque côté en sept ou neuf lobes. Les fleurs mâles et femelles viennent sur le même rameau. Les fruits sont globuleux, plus gros que les deux poings, raboteux à l’extérieur ; les rugosités présentent une disposition assez régulière en hexagones ou en pentagones mêlés de triangles ; sous la peau, qui est épaisse, on trouve une pulpe qui, à une certaine époque avant la maturité, est blanche, farineuse, et un peu fibreuse ; la maturité change sa couleur et sa consistance ; elle devient jaunâtre, succulente, ou gélatineuse.

Quelques-uns de ces fruits sont sans noyaux ; les arbres de l’île d’Otahiti n’en portent point d’autres ; mais dans les autres îles de l’Océanie, on trouve des variétés plus agrestes qui contiennent encore des noyaux anguleux, presque aussi gros que des châtaignes.

L’arbre à pain donne ses fruits pendant huit mois consécutifs. Pour les manger frais, on choisit le degré de maturité où la pulpe est farineuse, état que l’on reconnaît par la couleur de l’écorce. La préparation qu’on leur donne consiste à les couper en tranches épaisses que l’on fait cuire sur un feu de charbons. On peut aussi les mettre dans un four bien chaud, et les y laisser jusqu’à ce que l’écorce commence à noircir. De quelque manière qu’on les ait fait cuire, on ratisse la partie charbonnée, et le dedans est blanc, tendre comme de la mie de pain frais, d’une saveur peu différente de celle du pain de froment, avec un léger mélange de celle de l’artichaut.


Pour faire usage de cet aliment pendant toute l’année, les insulaires de l’Océanie profitent du temps où les fruits sont plus abondants qu’il ne faut pour la consommation journalière, et ils préparent avec l’excédant une pâte qui fermente, et qui peut être conservée longtemps sans qu’elle se corrompe. Lorsque les arbres cessent de produire du fruit, on se contente de cette pâte que l’on fait cuire au four, et qui donne une sorte de pain dont la saveur acide n’est pas désagréable.

L’histoire de l’expédition anglaise pour aller chercher l’arbre à pain à Otahiti, et le distribuer dans les colonies de la Grande-Bretagne entre les Tropiques, mérite une mention particulière. Les relations de tous les voyageurs, surtout celle du capitaine Cook, avaient donné la plus haute opinion des avantages que procurait la culture de l’arbre à pain ; les colons anglais supplièrent le gouvernement de leur procurer cet arbre merveilleux, et leur demande fut accueillie.

Un excellent vaisseau de 250 tonneaux fut destiné à Otahiti, sous le commandement de M. Bligh, alors simple lieutenant, et qui parvint ensuite jusqu’au grade d’amiral. Il avait accompagné Cook dans ses voyages, et donné en plusieurs occasions des preuves de grands talents et d’une bravoure à toute épreuve. L’expédition partit en 1787, et après dix mois de navigation elle était à Otahiti. Les insulaires l’accueillirent avec empressement ; plus de mille pieds d’arbres à pain furent mis dans des pots et des caisses, et embarqués avec une provision d’eau suffisante pour les arroser. Les travaux que ces approvisionnements exigeaient durèrent cinq mois, en sorte que l’expédition ne fut prête pour le retour qu’au commencement de 1789.

Jusque là, tout l’avait favorisé ; mais après le départ d’Otahiti, la trahison en fit perdre tout le fruit. Un complot formé par la majeure partie de l’équipage, et enseveli jusqu’alors dans le plus profond secret, éclata après vingt-deux jours de navigation : le commandant, dont les révoltés connaissaient la bravoure, fut saisi pendant qu’il dormait, et mis dans une chaloupe avec dix-huit compagnons d’infortune qui lui restèrent fidèles ; les révoltés leur laissèrent quelques instruments pour guider leur navigation, des vivres et de l’eau pour quelques jours, un peu de vin et de rhum, et les abandonnèrent à leur destinée, emmenant le vaisseau, qui fut bientôt hors de vue.

Voilà donc les dix-neuf délaissés dans une embarcation non pontée, au milieu de l’Océan, à une distance prodigieuse de toute terre connue ! Ils ne perdirent pas courage, et Bligh leur donnait l’exemple d’une inébranlable fermeté, dirigeant la chaloupe, continuant ses observations, écrivant des notes.

Après des fatigues et des souffrances extrêmes auxquelles un seul de ces infortunés succomba, ils arrivèrent à Ceupang, dans l’île de Timor : ils avaient fait dans leur chaloupe une navigation de plus de 1200 lieues. Le gouverneur hollandais les reçut avec l’intérêt que leurs aventures et leur situation excitaient à tant de titres, et bientôt douze d’entre eux furent en état de se rendre en Europe. Le commandant Bligh obtint en Angleterre la justice qu’il méritait ; loin qu’on lui imputât le mauvais succès de l’expédition, il fut promu au grade de capitaine de vaisseau, et chargé du commandement d’une seconde expédition plus considérable que la première, pour le même objet.

Celle-ci ne fut troublée par aucun événement fâcheux : la traversée jusqu’à Otahiti ne fut que de huit mois ; au bout de trois mois, plus de 1200 pieds d’arbre à pain étaient à bord, et après deux ans d’absence les deux vaisseaux de l’expédition arrivèrent en Angleterre sans avoir perdu un seul homme de leurs équipages.

Ainsi les colons anglais sont en possession de l’arbre à pain depuis près de quarante ans. Les espérances que cette acquisition avait fait concevoir n’ont pas été tout à fait réalisées ; ils comptaient sur les produits de l’arbre nouveau pour la nourriture de leurs esclaves, mais ceux-ci préférèrent les bananes, et le bananier peut être cultivé aussi facilement, rapporte plus tôt, et produit davantage.

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