LA FRANCE PITTORESQUE
2 juin 1216 : le futur roi de France
Louis VIII le Lion se fait proclamer
roi d’Angleterre
(D’après « Histoire de France depuis les temps les plus reculés
jusqu’à nos jours » (tome 3) par Abel Hugo, paru en 1839)
Publié le mercredi 1er juin 2016, par Redaction
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Après la campagne de 1214 — marquée par la victoire française du roi Philippe Auguste et de son fils Louis lors de la bataille de la Roche-aux-Moines —, et la défaite anglaise de Bouvines (27 juillet 1214), où les alliés de leur roi Jean sans Terre éprouvèrent en Flandre un plus grand désastre que Jean lui-même en Poitou, les barons anglo-normands profitèrent du moment où le roi vaincu signait à Parthenay une trêve avec le roi de France, pour se confédérer contre lui. Ils se réunirent à Bury-St-Edmunds, dans la chapelle de l’abbaye ; là, ils promirent avec serment de s’assister mutuellement pour obtenir du roi une charte qui garantit toutes leurs libertés ; et afin de donner plus de force à leur confédération, ils élurent un chef qui prit le titre de Maréchal de l’armée de Dieu et de la sainte Église.

Victoire de Philippe Auguste sur Jean sans Terre lors de la bataille de Bouvines

Victoire de Philippe Auguste sur Jean sans Terre lors de la bataille de Bouvines

Jean essaya pendant quelques mois de lutter contre la volonté des barons, en leur refusant des libertés qui, disait-il, « devaient le rendre lui-même esclave ». Abandonné de tous les hommes nés en Angleterre, et soutenu seulement par quelques bandes de Poitevins, de Flamands et de Bordelais, il dut enfin renoncer à toute espérance. Ce ne fut toutefois qu’après avoir cherché des secours dans les pays les plus opposés, et qu’après avoir offert de tenir sa couronne en fief, soit du pape, soit du roi du Maroc qu’il se résigna à signer, le 15 juin 1215, l’acte célèbre qui est encore aujourd’hui la base de la constitution anglaise et qui porte le nom de Grande Charte (Magna Carta).

Après avoir ainsi accordé malgré lui, et signé de mauvaise foi cette charte, Jean se retira dans l’île de Wight, au sud de l’Angleterre, pour y attendre en sûreté le moment de recommencer la guerre. Il obtint du pape une dispense du serment qu’il avait prêté aux barons, et l’excommunication de ceux qui resteraient armés pour le contraindre à tenir sa parole ; mais aucun évêque, en Angleterre, ne consentit à promulguer cette sentence, qui demeura sans effet.

Le roi, avec ce qui lui restait d’argent, se procura de nouvelles troupes de Brabançons, qui, grâce à leur tactique et à leur discipline militaire, eurent d’abord quelque avantage sur l’armée irrégulière des barons et des bourgeois confédérés. Les barons, craignant de perdre le fruit de leur entreprise, résolurent de se faire appuyer, comme le roi, par des secours venus de l’étranger : ils s’adressèrent au roi de France, Philippe Auguste, et lui offrirent de donner à son fils Louis — futur Louis VIII alors âgé de près de 30 ans, la couronne d’Angleterre, pourvu que celui-ci vînt en prendre possession avec une puissante armée.

Louis, qui avait des prétentions à cette couronne du chef de sa femme Blanche de Castille, fille d’Aliénor d’Angleterre (1162-1214) — cette dernière étant elle-même fille d’Aliénor d’Aquitaine — et nièce du roi Jean — Jean sans Terre, qui règne alors sur l’Angleterre depuis 1199, était en effet le fils de feu Henri II d’Angleterre (1133-1189) et d’Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) —, accepta ces conditions et promit de passer en Angleterre au printemps de l’année suivante. En attendant, il envoya aux barons anglais des renforts qui les mirent en état de défendre jusqu’à son arrivée les places fortes qu’ils possédaient encore.

La cour de Rome s’était déclarée en faveur du roi Jean, qu’elle avait reconnu son feudataire. Le pape Innocent III envoya un légat en France, le cardinal Gualo, avec la mission d’empêcher l’expédition du prince Louis. Mais Philippe Auguste, auquel le légal s’adressa, ne voulut point reconnaître l’autorité que le pape s’arrogeait sur l’Angleterre ; toutefois, pour éviter de se brouiller avec le pontife et pour se mettre à l’abri d’une excommunication, il renvoya la décision de cette affaire à sa cour des pairs, dont en toute occasion il cherchait à relever l’autorité.

Jean sans Terre

Jean sans Terre

Les pairs se réunirent le 16 avril 1216 à Melun. Le roi Philippe Auguste, le prince Louis et le légat assistaient à l’assemblée. Tour à tour, le légat et un chevalier que Louis avait choisi pour procureur prenaient la parole et disputaient les droits respectifs de Jean sans Terre et de Blanche de Castille à la couronne d’Angleterre. Louis, comme on peut le supposer, contestait la légitimité des droits de l’oncle de sa femme ; mais le cardinal appuyait ses raisonnements de menaces d’excommunication. Philippe Auguste paraissait indécis.

Louis jugea prudent de décliner l’autorité du roi et de la cour des pairs. « Seigneur, lui dit-il, je suis votre homme-lige pour les fiefs que vous m’avez donnés en deçà de la mer ; mais quant au royaume d’Angleterre, il ne vous appartient point d’en décider : je soumets donc au jugement de mes pairs de prononcer si vous devez m’empêcher de suivre mon projet pour le recouvrer, lorsqu’il ne dépend pas de vous de me faire rendre justice. Je vous demande seulement de ne pas mettre obstacle à mes entreprises, car je suis déterminé à combattre jusqu’à la mort, s’il le faut, pour recouvrer l’héritage de ma femme. » Ayant ainsi parlé, il se retira de l’assemblée et continua ses préparatifs de départ.

Louis arriva en Angleterre avec des forces suffisantes pour contrebalancer celles du roi Jean. L’entière conformité de langage qui existait alors entre les Français et les barons anglo-normands devait diminuer, pour ces derniers, la défiance et l’éloignement qu’inspire toujours un chef étranger ; mais il n’en était pas de même pour la masse du peuple anglais, qui, sons le rapport de l’idiome, n’avait pas plus d’affinité avec les Français, soldats de Louis, qu’avec les Poitevins, auxiliaires de Jean.

L’appui du fils du roi de France ne fut pas aussi utile aux barons qu’ils l’avaient espéré ; cependant, excepté les deux châteaux de Douvres et de Windsor, tout le midi de l’Angleterre reconnut l’autorité du prince français : le roi d’Ecosse, le comte de Salisbury, frère naturel du roi Jean, les comtes de Warren, d’Arundel, et presque tous les seigneurs, sur la fidélité desquels Jean avait cru pouvoir compter, vinrent tour à tour rendre hommage au nouveau roi. Londres lui ouvrit ses portes le 2 juin 1216 avec de grandes démonstrations de joie. Les barons et les citoyens lui prêtèrent serment de fidélité. Louis se fit ainsi proclamé (mais non couronné) roi d’Angleterre et, la main sur les saintes Écritures, jura qu’il respecterait les lois et les libertés du peuple anglais.

Tout semblait favoriser le fils de Philippe Auguste. Le pape Innocent III, qui tenait sur la tête de ce prince l’excommunication suspendue, venait de mourir (16 juillet 1216), et trois mois après, le 19 octobre 1216, le roi Jean, chargé de la haine publique, descendit aussi au tombeau.

Louis VIII, par Henri Lehmann (1837)

Louis VIII, par Henri Lehmann (1837)

Cette mort, qui semblait devoir assurer la couronne au roi Louis, la lui fit perdre. Les Français qui étaient venus avec lui en Angleterre n’avaient pas tardé à s’y conduire comme en pays conquis ; à mesure que les Anglais opposèrent plus de résistance à leurs vexations, ils devinrent plus durs et plus avides ; l’accusation si fatale au roi Jean se renouvela contre Louis de France : on disait qu’il avait formé le projet, d’accord avec son père, d’exterminer ou de bannir les riches d’Angleterre, et de les remplacer par des étrangers.

Soulevés par l’intérêt national, tous les Anglais se prononcèrent pour Henri, fils de Jean sans Terre, âgé seulement de dix ans — Henri III d’Angleterre, né le 1er octobre 1207. La faiblesse du jeune prince et l’abandon où il se trouvait intéressèrent en sa faveur ; sa détresse même releva son parti. Bientôt, comme naguère le roi Jean, le roi Louis se trouva abandonné par ceux qui lui avaient montré le plus de dévouement. La seule ville de Londres lui demeura fidèle. Le pape Honorius III, suivant la même politique qu’Innocent III, embrassa ouvertement la défense du jeune Henri, et annonça l’intention d’excommunier le prince français et tous ses adhérents.

Louis ne se laissa point abattre ; il profita d’une trêve pour venir en France, chercher des troupes et de l’argent ; mais après une lutte vainement prolongée, une défaite que son armée éprouva à Lincoln (20 mai 1217), et le désastre de sa flotte battue et dispersée près de Douvres — bataille de Sandwich ou des Cinq-Îles, livrée le 24 août 1217 —, le décidèrent à renoncer à la couronne d’Angleterre.

Par le traité de Lambeth qu’il signa le 11 septembre 1217 avec les conseillers de Henri III, le prince français délia tous les Anglais des serments qu’ils lui avaient prêtés ; mais il stipula pour ses partisans l’abrogation des sentences et des confiscations prononcées contre eux, et la rentrée dans tous leurs biens. Il fit garantir la conservation des libertés et des privilèges de Londres et des autres villes du royaume, la mise en liberté sans rançon de tous les prisonniers, et l’abolition de toutes dettes non encore payées, pour rançon de captifs ou pour contribution de guerre. En stipulant ainsi les intérêts de ceux qui s’étaient dévoués à sa cause, et en négligeant ses intérêts personnels, Louis sortit honorablement d’un royaume où il avait éprouvé tant de revers, et y laissa un souvenir respecté.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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