LA FRANCE PITTORESQUE
Pain (Le)
(D’après un article paru en 1865)
Publié le vendredi 15 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Le pain est en quelque sorte le type de l’aliment, non seulement à raison de l’extrême diffusion de son usage, mais surtout parce qu’il contient tous les principes nutritifs que la physiologie considère comme indispensables pour la réparation et l’entretien des forces : de la fécule, du sucre, des matières grasses, et des substances azotées, notamment du gluten.

C’est un aliment complet, dans le sens que l’hygiène attache à ce mot ; c’est-à-dire qu’employé comme nourriture exclusive, il offre sinon les éléments d’une réparation très riche, du moins d’un entretien suffisant pour la prolongation en quelque sorte indéfinie de la vie. Dans ce cas, il peut devenir insuffisant par monotonie du régime, mais non par pénurie des ressources alimentaires qu’il présente.

Les Grecs avaient, au reste, exprimé cette idée en faisant dériver le mot pain d’un verbe qui signifiait nourrir. Ils appelaient le pain, panos, l’aliment, comme ils appelaient les écritures saintes, Biblos, le livre par excellence. Aussi l’usage du pain se retrouve-t-il au berceau des civilisations les plus anciennes. La découverte des villages lacustres ou aquatiques de la Suisse en a fourni une preuve nouvelle. On a trouvé, en effet, dans le lac de Constance, un ancien magasin contenant cent mesures d’orge et de blé en épi et un pain à demi consumé par le feu, fait avec de l’orge grossièrement broyée.

Sans vouloir se lancer dans une supputation aventureuse du nombre de siècles auquel il est loisible de faire remonter cette civilisation lacustre, il est impossible au moins de ne pas la considérer comme fort ancienne. Du reste, la malédiction qui atteint Adam sur le seuil de l’Eden et qui le condamne à gagner son pain à la sueur de son front, consacre encore mieux que tout autre témoignage historique l’ancienneté de l’usage de cet aliment, et, dans presque toutes les langues, il exprime encore métaphoriquement, non seulement l’alimentation dans son ensemble, mais encore tous ce qui constitue les besoins essentiels de la vie.

Chez les peuples les plus anciens, le pain proprement dit, c’est-à-dire le pain préparé par fermentation, n’existait pas : le grain était simplement concassé ou pulvérisé d’une manière grossière ; on en faisait une pâte avec de l’eau et on la faisait cuire soit dans des fours, soit plus habituellement sous la cendre, ainsi que l’indique l’Ecriture pour les pains qu’Abraham servit aux anges. Ce mode tout primitif de fabrication du pain existe, du reste, encore de nos jours chez certains peuples.

On a longuement agité la question de savoir si les peuples les plus anciens connaissaient et utilisaient l’art de faire du pain fermenté. Le seul fait de l’emploi des pains azymes pour certaines cérémonies religieuses implique nécessairement l’idée que les Hébreux connaissaient le pain au levain. Les pains de proposition, déposés tous les samedis dur les tables d’or placées dans le sanctuaire, et la fête des Azymes, instituée en souvenir de la sortie d’Egypte, en sont la preuve. Au reste, un passage de l’Exode lève tout doute à cet égard : « Vous mangerez, dit le Seigneur, des pains sans levain pendant sept jours. Dès le premier jour, il ne se trouvera point de levain dans votre maison. Quiconque mangera du pain avec du levain depuis le premier jour jusqu’au septième périra du milieu d’Israël. »

Quant à l’origine de l’emploi de la levure, elle paraît impossible à déterminer, et il est très probable que cette découverte, si importante au point de vue de l’hygiène, est, comme tant d’autres, le résultat du hasard. Les Grecs usaient du pain avec plus de parcimonie que nous, et il est remarquable qu’Homère, si prolixe quand il s’agit de décrire les repas de ses héros, oublie presque toujours de signaler le pain au milieu de l’énumération des boissons et des viandes dont ils faisaient usage. Toutefois cet aliment est indiqué à deux reprises dans l’Odyssée : dans la description du festin donné par Eumée à Ulysse, et de celui offert par Ménélas à Télémaque.

L’usage du pain se répandit au contraire beaucoup chez les Romains, qui acquirent l’art de le faire avec une certaine perfection et qui en varièrent les formes et les aspects avec une fertilité d’imagination que nos boulangeries de luxe ne désavoueraient pas. Les pains de premiers choix se préparaient avec du blé de Campanie.

Le pain bis était fait avec une farine grossière de laquelle on ne séparait pas le son. Auguste le préférait à tout autre, et les Romains connaissaient à merveille ses propriétés laxatives, remises en honneur de nos jours. Le licteur Habinnas, dans le Festin de Trimalcion, les signale en des termes qui montrent que le latin ne brave pas toujours impunément l’honnêteté. Il est probable que le panis gradilis, qui se distribuait publiquement au nom des empereurs les jours de largesse, n’était qu’une sorte de pain bis. Le pain était arrondi ou allongé en flûte. Dans la boulangerie (pistrinum) découverte à Pompéi, on a trouvé plusieurs pains de cette forme, ayant à peu près 0,25m de diamètre, dont la face supérieure était bombée et sillonnée par des rayons. L’un de ces pains portait en relief l’empreinte siligo granii (farine de froment), et les autres è cicera (farine de pois chiches). Cette précaution, prise pour garantir la fidélité du débit, mériterait certainement d’être renouvelée de nos jours. L’artopticus était une flûte cuite dans un petit moule.

Les Romains cuisaient leur pain dans un vase en poterie percé de trous (clibanus), ou dans une sorte de four de campagne (artopta). Ils employaient aussi des pains sans levain, soit comme aliment de goût, soit pour la préparation des biscuits durcis, tout à fait analogues à notre biscuit de mer, et que les soldats emportaient dans leurs expéditions lointaines.

On donne un peu abusivement le nom de pain à tout aliment préparé par la cuisson d’une farine ou plutôt d’une fécule pétrie avec de l’eau ; tels le pain de froment, de maïs, de manioc, de pomme de terre, etc. Des tentatives nombreuses, ayant pour but de panifier la plupart des fécules, ont été faites et sont encore continuées ; mais elles n’ont abouti qu’à des produits qui, au point de vue de l’aspect et surtout des qualités hygiéniques, ne méritent pas le nom de pain. Il doit être réservé au résultat de la cuisson des pâtes de céréales ayant subi un commencement de fermentation. C’est là le véritable pain ; tous les autres n’en sont que des pastiches imparfaits.

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